C’est presque dans l’anonymat que l’ancien président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, affectueusement appelé par ses initiales, IBK, s’est éteint d’une crise cardiaque, le 16 janvier 2022, à l’âge de 76 ans. Il allait avoir 77 ans dans quelques jours, plus précisément le 29 janvier, date de son anniversaire. ” Jamais je ne fuirai mon pays “, disait-il à des chefs d’Etat qui lui proposaient son exfiltration, peu avant son arrestation par les militaires, dans l’après-midi du 18 août 2020, vers 16 h 30 mn. Un grand intellectuel est ainsi parti sur la pointe des pieds, après avoir passé une bonne partie de sa vie sous les lambris dorés du pouvoir.
Après le renversement de son régime, malgré les différentes sollicitations de ses amis chefs d’Etat pour négocier avec la junte militaire sa sortie du Mali, afin de vivre tranquillement à l’étranger, en exil, comme le font beaucoup de chefs d’Etat évincés suite à une rupture de l’ordre constitutionnel dans leur pays, IBK a décliné cette offre, affirmant qu’il ne sentirait jamais mieux ailleurs que dans son pays qu’il aime tant, le Mali.
La preuve, quelques semaines après sa chute, pour raison médicale il a pu se rendre à Abu Dhabi, avec l’accord des Autorités de la Transition. La plupart des Maliens pensaient en ce moment-là que cette évacuation médicale n’en était pas une, mais plutôt un prétexte pour sortir du territoire. De ce fait, ils étaient prêts à jurer qu’IBK n’allait pas revenir au pays. En d’autres termes, il allait se soustraire de la forte pression qui s’exerçait sur lui, notamment à travers des procès et arrestations tous azimuts qui s’abattaient sur ses proches et anciens collaborateurs. Mais comme pour faire mentir tout le monde, IBK est bel et bien revenu à Bamako, pour vivre tranquillement dans sa résidence de Sébénicoro, désertée par la horde de courtisans qui s’y bousculaient quelques mois seulement auparavant.
Envahi par les visiteurs du crépuscule
Quelques rares fidèles amis s’aventuraient encore dans ce domaine cossu où Ibrahim Boubacar Keïta passait ses derniers jours à se consacrer à sa passion favorite : la lecture. Pourtant, ceux qi sont souvent à ses côtés suite à sa chute avaient du mal à avoir accès à son domicile lorsqu’il était encore aux affaires, parce qu’envahi par les visiteurs du crépuscule (pour paraphraser Jacques Attali parlant de la vie de président de François Mitterrand). Ces visiteurs professionnels du soir ne laissaient pas la possibilité aux vrais amis et se servaient bien souvent de relations taillées sur mesure avec la Première dame ou un de ses enfants pour faciliter leur accès au châtelain de Sébénicoro.
La résidence de Feu l’ex président Ibrahim Boubacar Keïta, jadis si grouillante, à cause de l’activité du personnel qui y était en activité et aussi des nombreux va-et-vient des visiteurs, était finalement plongée dans un silence de sanctuaire. Et en passant devant cet édifice majestueux, on avait encore du mal à penser qu’âme y vivait encore.
Ses nombreux thuriféraires volatilisés
Le kankélentigui, comme on aimait l’appeler du temps de sa splendeur, était subitement délaissé, oublié en si peu de temps, comme s’il n’a jamais existé dans l’histoire du Mali. Les nombreux thuriféraires qui chantaient ses louanges à longueur de journées se sont volatilisés comme par enchantement. Ce qui doit pousser le colonel Goïta à faire attention aux souteneurs zélés, sans aucune conviction en réalité, mais pour uniquement se tailler une situation de rente.
De toute façon, on a vu comment le président ATT, au lendemain de sa chute, a été humilié, comme s’il était le dernier des dirigeants du Mali en termes de bilan et de performances. Mais après son décès, le discours a changé et il a bénéficié d’une réhabilitation d’outre-tombe, même de la part des autorités qui l’avaient ignoré, le laissant vaquer aux activités de sa fondation, comme ferait un simple citoyen.
La question qui se pose est de savoir ce qu’il en sera de Feu le président IBK, de son vivant moins populaire que le président ATT qu’il a voulu traduire en justice pour haute trahison. Même si l’Assemblée nationale n’a pas suivi cette demande, qui est un des premiers actes posés par IBK après son élection au poste de président de la République en 2013.
Pourtant, même s’il a pris la gestion du pays dans un contexte particulièrement difficile, voie compliqué, alors que sa santé ne lui a pas permis d’être à hauteur des trop grands espoirs placés en L’Homme de poigne que le Mali voyait en lui pour justifier son choix en 2013, au détour d’un quasi plébiscite, IBK a quand même marqué un pan de l’histoire du Mali parce que personne ne peut effacer d’un trait de plume son passage glorieux à la Primature où il a joué, avec loyauté et engagement, le rôle de rempart du régime du président Alpha Oumar Konaré contre la grogne dévastatrice des élèves et étudiants, des milieux religieux devenus finalement ses plus grands alliés lors de son accession à la magistrature suprême…
De toute façon, IBK appelé à Dieu, c’est un personnage controversé qui s’en est allé. Controversé dans son franc-parler qui dérangeait parfois, controversé dans son mode de vie considéré – à tort ou à raison- comme plus européen qu’africain, controversé comme trop sentimental, voire trop émotif pour une autorité de son rang à cause de ses glandes lacrymales prolixes à souhait, controversé…controversé…
Des qualités humaines et sociales
Mais c’est cela aussi les grands hommes qui ne sont pas faciles à cerner. Dans le fond, contrairement à ceux qui pensaient à des larmes de crocodile, IBK était d’une énorme sensibilité sur fond d’une grande générosité. Un homme au cœur large !
S’il reste encore un tant soit peu d’honnêteté à tous ceux qui ont bénéficié de ses largesses, ils ne devraient pas hurler avec les loups de la médisance, mais témoigner de ses qualités humaines et sociales, même s’il s’est avéré finalement un piètre politique. Surtout au vu de son bilan du crépuscule de sa longue carrière politico-administrative. Le poids de l’âge ont dit certains, son état de santé ont dit d’autres. La trop grande immixtion de sa famille dans les affaires de l’Etat, dira le commun des Maliens.
Un grand intellectuel
Mais un grand intellectuel, IBK le fut ! Parti en France à l’âge de 13 ans pour y faire ses études secondaires au lycée Janson-de-Sailly à Paris, il séjourna quelques mois seulement à la Faculté des lettres de l’université de Dakar, avant de faire cap sur l’université Panthéon-Sorbonne et à l’Institut d’histoire des relations internationales contemporaines (IHRIC), rattaché auprès de la même université. Maîtrise d’histoire puis Diplôme d’études approfondies (DEA) en politique et relations internationales, il fut ensuite chargé de recherche au Centre national de recherches stratégiques (Cnrs) et cumulativement, il enseignait les systèmes politiques du tiers monde au centre Pierre-Mendès-France qui est une annexe de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Rentré au Pays, il fut nommé par la Communauté économique européenne au poste de conseiller technique principal du Fonds européen de développement (FED), chargé de la mise en œuvre du premier programme de micro-réalisations au Mali, avant de devenir directeur-représentant pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger, de l’Ong Terre des Hommes France.
Record de longévité au poste de PM
Directeur adjoint de la campagne d’Alpha Oumar Konaré qui fut élu président de la République du Mali en 1992, après donc la chute de Moussa Traoré, IBK fut nommé en juin 1992 conseiller diplomatique, porte-parole du président de la République du Mali. Devenu en novembre 1992 ambassadeur du Mali auprès de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Burkina Faso et du Niger, il fut nommé par Alpha Oumar Konaré, successivement, ministre des Affaires étrangères, des Maliens de l’extérieur et de l’Intégration africaine en novembre 1993 ; Premier ministre le 4 février 1994. Il détient le record de longévité à ce poste de chef du gouvernement où il est resté six ans, puisqu’il sera démis de ses fonctions par le président Alpha Oumar Konaré, au mois de février 2000. Président de l’Assemblée nationale en 2002, IBK sera élu président de la République en 2013, avant sa réélection en 2018. Ce second mandat sera malheureusement écourté par un coup d’Etat militaire en août 2020. Assigné en résidence surveillée chez lui à Sébénicoro, IBK est coupé définitivement de la vie publique. Interné dans une clinique de la place le 1er septembre 2020, à la suite d’un accident vasculaire cérébral, il put obtenir des Autorités de la Transition l’accord pour un séjour médical à Abou Dhabi, mais qui ne pouvait excéder trois mois. Retourné au Mali le 21 octobre 2020, Ibrahim Boubacar Keïta vivait paisiblement dans son château de Sébénicoro, loin des lambris dorés du pouvoir. Il a beau lutter contre le mal, notamment contre son cœur malade, il a fini par mourir dans l’anonymat pour un ancien chef d’Etat, parce que les Maliens n’avaient plus aucune de ses nouvelles. Mais il est mort entouré des membres de sa famille présents à Bamako.
IBK est donc parti sans jamais pouvoir s’exprimer après le renversement de son régime. Il emporte avec lui tous ses secrets, laissant derrière lui d’anciens collaborateurs et hommes de main de tous les milieux y compris religieux, qu’il a enrichis au moment où ils lui jouaient du tam-tam, mais qui sont devenus finalement ses plus grands détracteurs, jouant aux girouettes et ventilateurs pour tourner avec le vent. Ne dit-on pas que celui qui élève son bélier risque d’être la première victime de ses coups de cornes ? Ah, le jour du jugement dernier !
Amadou Bamba NIANG
Source: Aujourd’hui-Mali