Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, en poste depuis à peine deux mois, a pris le monde de court en annonçant des réformes majeures au risque, selon les analystes, de susciter de faux espoirs dans la population et de s’aliéner une partie de l’establishment.
M. Abiy, 41 ans, a ordonné la libéralisation de pans entiers de l’économie du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, décidé de mettre un point final au différend avec l’Érythrée et opéré un important remaniement de responsables sécuritaires.
« Ma crainte, c’est qu’il aille trop vite, dans un pays qui ne dispose pas des garanties institutionnelles pour mettre en œuvre ces réformes », a expliqué à l’AFP Awol Allo, spécialiste de l’Éthiopie et enseignant à l’université de Keele en Angleterre.
Mais « il y a des attentes politiques de la part de la population pour des changements rapides », a ajouté l’universitaire.
Le nouveau Premier ministre a pris les rênes du pays à un moment où, selon de nombreux observateurs, la coalition au pouvoir depuis 1991, et à laquelle il appartient, s’est retrouvée dos au mur.
Confrontée au plus important mouvement de protestation en 25 ans, et à la mobilisation des deux principales ethnies du pays (oromo et amhara), le pouvoir a d’abord répondu par la répression (plus de 1.000 morts, un état d’urgence de 10 mois), avant de lâcher du lest, avec la démission du Premier ministre Hailemariam Desalegn en février, puis la nomination de M. Abiy.
Et même si ce dernier, Premier chef du gouvernement éthiopien issu de l’ethnie oromo, était perçu lors de sa nomination comme un rénovateur, peu d’observateurs s’attendaient au train de réformes des dernières semaines.
« Je m’attendais à des changements, mais seulement à pas comptés. Mais (des changements) si rapides, si profonds, c’est stupéfiant », reconnaît Pierre Lefort, chercheur indépendant sur l’Éthiopie.
Pour ce dernier, l’Éthiopie n’a pas connu de tels bouleversements – s’ils se concrétisent – depuis la prise du pouvoir du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF) avec le renversement du régime dictatorial de Mengistu Hailé Mariam en 1991.
M. Abiy a annoncé l’ouverture au secteur privé du capital des grandes entreprises publiques du pays comme la compagnie aérienne Ethiopian Airlines ou Ethio Telecom, une inflexion majeure pour cette économie dirigiste.
De façon tout aussi surprenante, il a déclaré que l’Éthiopie respecterait désormais l’accord d’Alger de 2000, qui avait mis fin à la guerre avec l’Érythrée voisine (1998-2000).
Puis le Premier ministre a remplacé plusieurs hauts responsables dans l’armée et les renseignements.
« Ces gens font partie du système depuis bien trop longtemps et sont largement rendus responsables des problèmes (du pays) par la population », selon M. Awol.
Mais pour les analystes interrogés par l’AFP, la mise en œuvre de ces mesures ne se fera pas sans susciter des tensions.
L’Érythrée n’a certes toujours pas officiellement réagi à la main tendue d’Addis Abeba, mais la perspective que l’Éthiopie rétrocède à Asmara des portions de territoires frontaliers pourraient susciter en Ethiopie la réprobation des Tigréens, frontaliers de l’Érythrée, mais aussi des Amhara, traditionnellement partisans d’un État centralisé fort.
AFP