Abdoulaye Pona : « Tiémoko Sangaré et une association se sont sucré plusieurs centaines de millions sur le dos de l’Etat et de la Chambre des Mines ». Le torchon brûle entre le ministre des Mines, Pr Tiémoko Sangaré et le président de la Chambre des mines du Mali, Abdoulaye Pona. Le point de discorde : la vente parallèle des cartes professionnelles de la chambre des mines par le ministre et ses sbires dans l’illégalité la plus totale. Ce business apporte au ministre près de 700 millions de nos francs. Face à cette pratique anarchiste, qualifiée d’escroquerie par les orpailleurs, le président de la Chambre des mines du Mali rompt le silence et crache ses vérités au ministre Tiémoko à travers une interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder dans son bureau, en marge d’une assemblée générale avec l’ensemble des miniers de la filière artisanale de toutes les régions du pays. Sans détour, Abdoulaye Pona répond à toutes nos questions et démontre comment le ministre Tiémoko Sangaré fait le deal avec un orpailleur.
L’Enquêteur : Bonjour Monsieur le président. Pourriez-vous nous rappeler comment vous êtes arrivé dans le secteur des mines ?
C’est une question un peu complexe et ça demande de la discrétion. Mais cela étant, Pona est un Malien à cent pour cent, né dans le cercle de Bankass ayant fait ses études primaires dans le village de Wori Marka avant de poursuivre ses études dans les années 1964 à l’école de la mission catholique de Mopti. Après le DEF, j’ai fait le lycée de Sévaré et celui de Badalabougou avant d’intégrer l’Ecole Normale Supérieure (ENSUP). Ensuite, j’ai fait une maitrise en Sciences politiques et de Relations internationales, des stages de pilotage en Yougoslavie. Puis, je suis revenu au Mali par la force des choses. Je me suis intéressé à l’achat de l’or et c’est dans cette période-là qu’il y a eu le changement de régime avec le coup d’Etat de 1991. Mais, j’étais déjà opérateur minier. Je travaillais dans l’artisanat minier et j’avais déjà eu ma fortune. C’est ainsi que nous avons constitué pendant la transition un groupe très fort et j’ai été impliqué dans l’élaboration des textes législatifs et réglementaires du secteur minier. Donc, j’accumule aujourd’hui 32 ans de carrière dans ce secteur que j’ai fouillé de fond en comble pour me retrouver aujourd’hui à la tête de l’institution consulaire que le Mali a créée : la Chambre des mines du Mali.
Monsieur le président, de 2013 à nos jours, vos relations ne sont pas les meilleures avec les différents ministres en charge du département des Mines… Comment l’expliquez-vous ?
C’est une question qui me dépasse moi-même, parce que cela me fait plus de 30 ans dans le secteur minier. Je vous avoue que depuis la deuxième République au temps des militaires, j’étais dans ce secteur jusqu’à l’avènement de la 3ème République et le coup d’Etat de mars 2012. J’ai connu beaucoup de directeurs nationaux de la géologie et des mines, j’ai connu beaucoup de ministres. Je n’ai jamais eu de brouilles avec personne. J’ai toujours travaillé loyalement. Je suis surpris moi-même que depuis 2013, ma cohabitation avec certains responsables est difficile. La réponse est simple : moi, je travaille dans le cadre de la traçabilité. Tout ce qui est traçable et qui respecte les normes du pays. Mon combat est également pour la promotion, l’émancipation, la diversification, l’épanouissement, la responsabilisation et l’implication des nationaux dans le secteur minier. Cela est extrêmement important. Parce que dans ma logique, je me rends compte qu’aucun pays ne peut avancer si ses enfants n’ont pas la mainmise sur l’exploitation de leurs richesses. Je n’empêche pas les autres investisseurs de venir dans notre pays, nous respectons les conventions et les relations internationales. Donc, il n’y a pas de raison que nous refusions que les autres viennent dans notre pays. Parce les Maliens vont ailleurs aussi, mais il ne faudrait pas que nous, les nationaux, soyons pris pour la cinquième roue du carrosse. Je défends l’intérêt de mon pays et des nationaux mais on dirait que mon combat est incompris.
Actuellement, il existe un bras de fer entre vous et le ministre des Mines, Pr Tiémoko Sangaré autour de la vente des cartes d’accès aux sites d’orpaillage. Peut-on savoir les raisons de ce malentendu ?
Il n’y a pas de point d’achoppement entre le ministre Tiémoko Sangaré et moi. Seulement, c’est une question d’incompréhension ou une méconnaissance des textes. Il n’a pas lu certainement les textes. Le département est notre tutelle, s’il veut encadrer, organiser et même enregistrer les acteurs de l’orpaillage, il dispose des faîtières comme la Chambre des mines du Mali. Pourquoi ne pas nous appeler pour nous confier cette mission. On ne peut le refuser. Mais, nous mettre en dehors de tout le système et s’approprier nos missions cardinales, c’est ce que je n’ai pas compris. A propos, on a fait des correspondances pour attirer son attention sur les missions cardinales de la Chambre des mines du Mali. Ce, pour éviter également qu’ils viennent empiéter sur nos prérogatives. Ce qui n’a pas plu au département. Qu’est que vous vous que l’on fasse ? On est régi par des lois. Il n’y a pas de de raison que l’on se taise ou croise les bras et qu’ils nous piétinent.
Quelle différence il y a-t-il entre les deux cartes ?
Elle est énorme. La loi N°04-006 du 14 janvier 2004 portant création de la Chambre des mines du Mali, dans son article 1er de l’Arrêté N°2013-32665/MM-SG du 6 août 2013, dit clairement qu’il est institué à la chambre des mines un registre appelé registre de la Chambre des mines du Mali. En son article 3 l’inscription sur ce registre donne droit à une carte de membre contre le paiement de 5000 FCFA pour les orpailleurs, les exploitants individuels de carrière artisanale et les exploitants individuels traditionnels de sable et gravier. Et c’est cela qui fait d’eux des électeurs et des élus. Et la loi est très claire : « elle (carte) est unique et confère à son titulaire la qualité de membre de la Chambre des mines du Mali. Donc, vous voyez la différence ? Elle est énorme ! C’est la loi qui nous donne la légitimité d’enregistrer, de faire des cartes de membre et de les vendre aux orpailleurs et aussi d’organiser le secteur de l’artisanat minier. Et les autres structures donnent le permis minier. Si c’est pour connaitre le nombre des miniers artisanaux, le département doit passer par nous pour la banque de données. La carte du ministre n’a aucun sens parce qu’il n’a aucun support juridique. Je veux organiser le secteur mais ce n’est pas suffisant. Ce n’est pas parce qu’on est département qu’on se permet tout. On ne peut pas soi-même aller sur le terrain pour dire qu’on va organiser en laissant les faitières. La Chambre des mines, c’est l’Etat qui l’a créée aussi. Elle a des missions et des objectifs.
Il se dit qu’il existe un deal entre le ministre des Mines et une coopérative…De quoi s’agit-il ?
Ce n’est ni plus ni moins que pour de l’argent. Il est inadmissible que le département pactise avec une fédération pour soutirer de l’argent aux orpailleurs au nez et à la barbe de la faitière créée par l’Etat à cet effet. La clé de répartition entre le ministre et la fédération en question indique clairement que leur motivation n’a rien à voir avec l’organisation du secteur. Dans leur clé de répartition, il est clairement dit que 18% de la vente des cartes reviennent à l’Etat, 10% aux collectivités et 72 % pour la seule fédération représentée par un seul individu en la personne de M. Seydou Kéita. C’est la totale ! Si nous faisons un petit calcul : 70 000 cartes vendues à 10.000 F CFA, cela fait un total de 700 millions de francs CFA. Sur les 700 millions, l’Etat, qui a confectionné ces cartes, ne peut avoir que 18% soit moins de 150 millions. Et plus de 500 millions à une association… Mais, même s’ils n’ont pas pris l’argent de l’Etat, le ministre a dû profiter de son influence pour trouver l’argent ailleurs pour confectionner ces cartes. Un ministre de la République qui prend de l’argent avec d’autres structures pour faire du business. Il y a des non-dits. Parce qu’il n’y a aucune traçabilité dans l’opération de vente. Un véritable délit d’initié.
Le Ministre Tiémoko Sangaré pense que « l’orpaillage sert à financer le terrorisme au Mali ». Qu’en diriez-vous ?
Je n’ai pas de commentaire. Ces propos n’engagent que celui qui les tenus. Maintenant, il faut lui demander d’apporter des preuves. Parce que c’est la conditionnalité qu’il a posée. Pour moi, il devrait même ne pas poser cette conditionnalité. Parce que normalement, quand on gère un département, on doit être capable de connaitre la structure. Si l’orpaillage sert à financer le terrorisme c’est à lui d’en tirer les conséquences en tant que ministre de tutelle.
Entretien réalisé par Habi Kaba Diakité
Source: L’Enquêteur