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Enlèvements au Mali : Une stratégie d’Aqmi pour contrer la guerre des drones ?

 drone americain

Début février 2013, l’Associated Press (AP) mettait la main sur les fragments d’un « combat hand book » (fascicule-guide du combattant) d’AlQaida au Maghreb Islamique (AQMI) trouvé dans les décombres d’un bâtiment abandonné par les forces insurrectionnelles à Tombouctou au mali. Ce fascicule précisait les conduites et actions à mener pour contrer la surveillance et les attaques de drones. Pour venir à bout des drones, ce document, signé et daté de 2011, prône comme « solution en or » de kidnapper des Occidentaux « où que ce soit dans le monde »! L’information était passée presque inaperçue en ce début d’année, mais elle risque de revenir en force au regard de l’actualité quasi concomitante entre l’enlèvement des deux journalistes Ghislaine Dupont et Claude Verlon assassinés au Mali et l’imminence de la mise en service du drone américain « Reaper » par les forces militaires françaises.

 

Stratégie d'AQMI sur les dronesStratégie d’AQMI sur les drones © AP

La découverte de l’Associated Press (téléchargeable ici) précéda de quelques jours celle de journalistes de RFI et de Libération qui découvrirent l’ensemble des documents associés. Les médias firent alors principalement écho à l’information majeure qui en ressort : AQMI dispose d’une stratégie politique et militaire globale au Mali (Libération en date du 25 février 2013).

Bien loin de l’image souvent véhiculé d’une horde de barbares sanguinaires, de fous de Dieu, AlQaida apparaît clairement comme un groupe structuré à ramifications internationales, armé de têtes pensantes capables d’élaborer des stratégies et plans d’action complexes allant du court au long terme. Leurs réflexions puisent leur source dans le retour d’expérience tiré de tous les théâtres sur lesquels ils ont opéré. Et ils sont en capacité de les diffuser à toutes leurs branches.

Ainsi, l’expérience acquise des attaques de drones subies en Afghanistan et au Pakistan a permis la rédaction de ce guide très pragmatique. Initialement destiné au théâtre Yéménite, il se retrouve entre les mains des jihadistes au Mali et guide les combattants d’AQMI.

Composé de 22 actions d’application relativement aisée, il propose des biais aussi variés que le camouflage des véhicules, le brouillage des communications des drones, l’interception de ses communications à partir de moyens et logiciels en vente libre sur Internet pour quelques centaines d’euros, des consignes de conduite individuelle (se mettre à couvert d’arbres ou de bâtiments, fuir du véhicule en cas de suspicion de présence de drone…).

Ayant longtemps sous-estimé les capacités d’AlQaida à maîtriser les technologies permettant d’intercepter et de brouiller le systèmes de communication (et donc de guidage) de leur drones, les Américains furent désagréablement surpris de retrouver en 2009 sur Internet des films de l’œil de leur drone « Predator » postés par ce groupe. Cela met en avant la très grande vulnérabilité du système de télécommande de l’arme drone, son talon d’Achille en quelque sorte : il semble pouvoir être perturbé avec des moyens limités. Tout du moins, il apparaît parfaitement probable que l’adversaire puisse, par l’écoute des émissions hertziennes satellitaires relativement aisée sur un théâtre comme le Sahel, où le ciel est assez faiblement encombré d’émissions parasites, identifier la présence d’un drone (même sans le voir) et adapter son comportement pour ne pas être vu, utiliser un bouclier humain, ou peut-être même réunir les conditions pour qu’un groupe de civils soit pris pour cible et bombardé, créant des dommages collatéraux auxquels ils tireraient un bénéfice certain, la politique des drones se retournant dès lors contre leurs adversaires.

 

Mais c’est surtout dans le dernier paragraphe du document d’Aqmi que figure la stratégie la plus problématique pour nos décideurs, la sécurité de nos militaires et de nos ressortissants en Afrique. Partant du principe que le principal argument d’emploi des drones par les puissances occidentales est d’éviter le développement d’une opinion publique anti-guerre puisque leurs seules pertes possibles ne peuvent être que matérielles et non plus humaines, AlQaida prône de ramener l’homme dans la boucle par une stratégie éprouvée : puisque ne disposant plus de combattants contre qui combattre, il convient de mettre en œuvre tous les moyens pour récupérer des otages dont l’emploi coule de source comme monnaie d’échange ou bouclier humain. De surcroît, il est précisé que ceux-ci peuvent être capturés partout dans le monde !

Sans vouloir chercher absolument à ramener l’assassinat de nos deux journalistes de RFI à cette stratégie, il est tout de même impossible de ne pas s’interroger compte tenu de l’imminence de l’arrivée du « french Reaper » au Mali. Cet élément de cette guerre pourrait tout à fait avoir été un mobile d’enlèvement. Mais dans ce cas, ces otages étant d’une valeur inestimable, la thèse qu’ils aient été assassinés par Aqmi semble pour le moins contradictoire. Ce groupe terroriste aurait eu tout à gagner à démontrer sa capacité à les garder vivant et en bonne santé. Aussi la revendication qu’un tel acte ait pu être perpétré par AQMI est d’autant moins crédible. Dans tous les cas, la mise en place du drone de combat français accroît l’insécurité de nos ressortissants sur le sol africain et laisse craindre malheureusement de nouvelles prises d’otages dans un futur proche.

 

Comme l’explique Edwy Plenel dans son dernier billet, il n’est point de « Barbares » mais des êtres-humains perpétuant des actes barbares. Le terrorisme est souvent assimilé à ceux qu’on désigne, par simplification réductrice, de Terroristes, alors que c’est un moyen d’action, hautement condamnable bien sûr, mais déshumanisant les groupes qui en font usage. Ce faisant, nier l’humanité de l’Autre, aussi horrible que soient ses actes, conduit souvent à sous-évaluer, voir oblitérer son intelligence et sa capacité de riposte. Ainsi, la mise en place de nouvelles armes ou stratégies militaires antiterroristes, évaluées en fonction de leurs effets, oublie-t-elle souvent de mesurer leur efficacité au regard de leurs conséquences. D’autant que celles-ci ne laissent guère à l’adversaire de choix de réaction s’il ne dispose pas des mêmes moyens techniques.

Tel risque d’être le cas avec l’avènement du drone de combat français sur le théâtre malien si nos stratèges de la Défense ne prennent pas la pleine dimension des stratégies anti-drones développées dans le fascicule d’AQMI.

Hélas, la guerre(illa) au Mali ne fait que commencer. Les mois précédents n’auraient-ils été qu’un simple échauffement ?

 

Source: Mediapart

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