L’enlèvement d’une centaine de jeunes filles par des combattants présumés de Boko Haram à Dapchi, dans le nord-est du Nigeria, démontre que le groupe jihadiste possède encore la capacité de monter des opérations d’envergure, quatre ans après le kidnapping des lycéennes de Chibok.
Alors que l’armée nigériane quadrille la région, dévastée par neuf années d’insurrection, comment ont-ils pu enlever plus de 100 élèves, sans rencontrer la moindre résistance et s’évanouir dans la nature ?
Une semaine après le raid nocturne du 19 février, de nombreuses questions subsistent, même si les témoignages et analyses recueillis par l’AFP font penser à une attaque « bien planifiée » ciblant l’école publique pour filles de Dapchi, dans l’Etat de Yobe.
Les habitants de cette localité poussiéreuse, proche de la frontière avec le Niger, ont décrit l’arrivée d’un convoi d’ »au moins 10 à 15″ véhicules, à l’heure où la plupart se trouvaient à la mosquée pour la prière du soir.
Les hommes armés qui en sont descendus ont aussitôt pris la direction de l’internat pour filles, sans montrer d’agressivité particulière envers la population, qui s’est terrée chez elle, tandis que des centaines d’élèves fuyaient en brousse dans l’obscurité. Au total, 111 d’entre elles restent introuvables.
Cette attaque, mais aussi la confusion qui a suivi, rappelle l’enlèvement de 276 lycéennes à Chibok en avril 2014 qui avait donné une tragique notoriété internationale à Boko Haram – dont le nom signifie « l’éducation occidentale est un péché » en haoussa.
Le groupe était alors à l’apogée de sa puissance, contrôlant de vastes territoires. S’il est aujourd’hui affaibli par les offensives de l’armée nigérianes, qui a annoncé à maintes reprises avoir « écrasé les terroristes », Boko Haram possède encore une évidente force de frappe.
« S’ils ont enlevé plus de 100 filles, cela signifie qu’il y avait une logistique importante en amont et un endroit sûr où les emmener ensuite. Il ne peut pas s’agir d’un acte spontané », estime Yan St Pierre, consultant en contre-terrorisme au Mosecon (Modern Security Consulting Group).
Autre élément troublant, révélé par Ibrahim Gaidam, le gouverneur de l’Etat de Yobe: les soldats qui tenaient des postes de contrôle stratégiques à Dapchi avaient quitté la ville le mois dernier pour être redéployés ailleurs.
La ville avait donc pour seule défense les effectifs habituels de forces de police, « qui ont fui en brousse » à l’arrivée des jihadistes, confirme un habitant, Mohammed Adam, 27 ans.
Un autre résident de Dapchi, qui ne souhaite pas être identifié, se dit inquiet de l’existence d’éventuelles complicités locales: « Je crois que des informateurs les ont avertis que les troupes s’étaient retirées, ce qui leur a permis d’entrer ».
– Rapprochements tactiques –
La ville était jusqu’alors épargnée, bien que Boko Haram continue de mener des raids sanglants dans l’Etat de Yobe, comme celui du 25 décembre contre un poste militaire, qui a coûté la vie à neuf soldats. Il a été revendiqué par la faction dirigée par Abu Mossad Al Barnaoui, affiliée au groupe Etat islamique.
Cette faction dissidente de celle du leader historique de Boko Haram, Abubakar Shekau – surtout active dans l’Etat voisin du Borno et à la frontière du Cameroun -, opère dans un vaste territoire aux confins du lac Tchad et du Niger, incluant l’Etat de Yobe.
Selon certains observateurs, l’attaque de Dapchi porte la signature de Barnaoui qui, contrairement à Shekau, à l’origine de nombreux attentats-suicide dans les marchés et les mosquées, a la réputation d’éviter de s’en prendre aux civils musulmans.
« Aucun civil n’a été blessé, ce qui ressemble à son mode opératoire », souligne un responsable d’une milice engagée aux côté de l’armée contre Boko Haram. « Même dans les villages qu’ils ont attaqué dans la zone (…) ils n’ont touché personne, ils ont juste pillé des vivres ».
L’enlèvement reste toutefois une pratique courante pour Boko Haram, toutes tendances confondues, depuis le début du conflit qui a fait 20.000 morts et près de 2,6 millions de déplacés dans le nord-est, rappelle Yan St Pierre.
« Il est très difficile de savoir qui est derrière cette attaque, car les divisions ne sont plus ce qu’elles étaient », affirme le chercheur, qui évoque des « rapprochements tactiques », voire « des opérations conjointes » menées ces derniers mois par les combattants de Shekau et de Barnaoui.
Des médias nigérians citant des sources sécuritaires locales ont de leur côté affirmé lundi qu’une partie des otages auraient été emmenées au Niger voisin, pour empêcher l’armée nigériane de les pourchasser.