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En Tunisie, « toute structure indépendante dérange, c’est systématique »

Un projet de loi en discussion à l’Assemblée tend à restreindre le dispositif légal en matière de contrôle des associations. Selon le directeur du centre El Kawakibi pour la transition démocratique, cette tentative de mise sous contrôle pourrait avoir des effets très négatifs sur les libertés civiles.

Avis de gros temps sur la société civile tunisienne : un nouveau projet de loi prévoit de placer les associations sous le contrôle du pouvoir. Sans distinction, celles-ci sont clouées au pilori par le président Kaïs Saïed qui estime que les subventions reçues de l’étranger par certaines d’entre elles constituent un motif légitime de suspicion. L’initiative provoque un tollé au sein de la société civile.

Directeur du centre El Kawakibi pour la transition démocratique, Amine Ghali rappelle que c’est le dispositif juridique existant, et les mécanismes de contrôle qu’il prévoit, qui a permis à la Tunisie d’être retirée, en 2019, de la liste noire des États non-coopératifs en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Une liste établie par le Groupe d’Action Financière (Gafi), qui l’y avait inscrite en 2018. Il plaide donc pour le maintien de l’équilibre, tout en pointant les paradoxes de la position de l’État.

Jeune Afrique : Que prévoit le nouveau projet de loi sur les associations ?

Amine Ghali : Actuellement, il y a trois ou quatre projets sur le sujet. Depuis 2017-2018, les initiatives pour changer le cadre législatif des associations se multiplient tant et plus qu’elles se sont mobilisées pour défendre le maintien du décret 88. Ce texte est un acquis qui répond à tous les standards internationaux et nationaux de promotion de la liberté d’association, mais aussi de contrôle de cette liberté. Tout cadre législatif nouveau n’est qu’une tentative pour la réduire et non, comme l’assurent les autorités, pour améliorer la situation administrative. Les entités associatives sont régies par le décret 88 mais également par toutes les lois de ce pays. Finalement, tout le corpus législatif du pays est utile à la gestion et au contrôle de la vie associative.

Il est donc faux de suggérer que les associations peuvent échapper à la loi ?

Exactement. Nous constituons une entité de ce pays au même titre que les entreprises ou les professions libérales. Les associations sont une composante civile, citoyenne, qui contribuent à la construction de cet État du point de vue démocratique.

Pourquoi cette offensive alors que certaines associations prises en faute ont été dissoutes en toute légalité ?

Le discours quasiment haineux envers la société civile, envers une frange de la société tunisienne, envers une entité qui est intermédiaire entre l’État et le citoyen est regrettable. Faut-il rappeler que des centaines d’associations, même internationales, présentes en Tunisie travaillent avec les autorités ? L’État tunisien lui-même est partenaire non seulement d’associations tunisiennes recevant des fonds étrangers, mais aussi d’institutions internationales – et même onusiennes – qui sont actives en Tunisie. Ces propos vindicatifs ne font qu’envenimer la relation existante. Accuser à tort 30 à 40 000 Tunisiens travaillant dans ce secteur d’atteinte à la sûreté de l’État, de trahison, n’est pas le meilleur des discours.

N’est-il pas paradoxal de constater que l’État, qui dit souhaiter plus de contrôle, a mis fin en 2021 aux activités de l’Instance contre la corruption (Inlucc) ?

Tous les acteurs de la société civile et les dirigeants des associations avaient obligation de déclarer leur patrimoine à cette instance. C’était un outil additionnel mis à la disposition des autorités publiques pour surveiller les dépassements. Les moyens de contrôle existent et nous demandons aux autorités d’y recourir et de sanctionner ceux qui méritent de l’être. Mais sanctionner tout un secteur économique parce que finalement il dérange, notamment sur des questions de démocratie et de droits de l’Homme, c’est un recul de notre transition démocratique qui souffre déjà.

C’est-à-dire ?

À l’échelle nationale, on observe une atteinte systématique à tous les corps intermédiaires : les partis politiques, les instances indépendantes, le gouvernement local. Mais par rapport aux associations, l’idée qui prévaut actuellement est qu’être en contact avec l’étranger est, en soi, une trahison. Pourtant des sociétés tunisiennes travaillent avec l’étranger, l’État tunisien travaille avec l’étranger, la primature travaille avec l’étranger… La Tunisie est un pays ouvert qui ne peut pas se couper de son environnement régional et international. Si on accuse les associations d’avoir reçu un financement étranger, alors qu’on accuse l’État ou les entreprises, qu’on accuse les universités, qu’on accuse tous ceux qui reçoivent un financement étranger !

Vous alertez sur les risques de remplacement du décret 88 qui régit actuellement les associations.

La société civile tunisienne a reçu la meilleure note possible attribuée par le Gafi. Cette instance super puissante, ultra exigeante en matière de contrôle du blanchiment d’argent, a spécifié que nous n’avions pas besoin de changer la loi, mais qu’il était nécessaire d’améliorer la relation de l’État avec la société civile en matière de prévention du financement du terrorisme et du blanchiment d’argent. En clair, quand une nouvelle mission viendra en Tunisie en 2025, en 2026, elle constatera que la Tunisie n’a pas respecté la recommandation du Gafi. La note tunisienne pourrait alors être réduite, au risque pour le pays de se retrouver à nouveau sur une liste grise ou noire pour n’avoir n’a pas tenu compte des recommandations faites du Gafi en matière de société civile.

La nouvelle loi n’est pas encore adoptée que vous signalez déjà des freins à l’activité associative. De quoi s’agit-il ?

La création d’associations, les relations entre associations et structures de l’État, l’accès au financement national et international, parfois même une simple location d’espace ou la tenue d’évènements, sont contrariés par des mesures prises par l’administration, mais qui sortent du cadre légal. S’il en va ainsi avec une bonne loi, qu’en sera-t-il avec un nouveau texte qui entérinera une réduction des libertés des associations ?

À votre avis, qu’est-ce qui dérange le pouvoir ?

Toute structure indépendante dérange, c’est systématique. Depuis 2021, l’État s’est attaqué à une structure plus ou moins indépendante, celle du Parlement. Il s’est ensuite attaqué aux partis politiques, à l’indépendance de la justice, aux syndicats, aux médias avec le décret 54. Et ce n’est pas fini : les organes de presse seront les prochains sur la liste. L’État s’en prend aux instances indépendantes dont l’Inlucc, l’instance des droits de l’Homme, l’instance de contrôle des médias (Haica). On est dans une approche systématique de destruction de toutes les structures intermédiaires entre l’exécutif et le citoyen. Les associations font, par définition, partie de la liste.

Quelle est la place de la société civile en Tunisie ? Pourquoi les autorités s’en méfient-elles tant ?

La société civile est une composante de l’État, elle fournit un service citoyen et de proximité, si bien qu’elle est amenée à remplacer, dans certaines conditions, l’autorité publique quand elle est défaillante. C’est la société civile qui prend soin des enfants souffrant de trisomie 21, c’est encore la société civile qui pourvoit au transport des élèves dans les régions reculées ou qui est active dans la lutte contre la désertification. La liste est longue : elle aide les populations fragiles, les jeunes et les plus démunis.

Les associations sont connues pour leurs interventions sur les catastrophes naturelles mais au quotidien elles soutiennent, en partie, trois millions de Tunisiens qui vivent le drame de la pauvreté. La contribution de la société civile à la construction de ce pays est avant tout un service non négligeable donné au citoyen. Attaquer la société civile, c’est aussi attaquer le peuple tunisien.

Croyez-vous, comme on l’entend parfois, que l’État veut avoir la mainmise sur les fonds que reçoivent les associations ?

C’est une erreur de calcul. La coopération internationale ne va pas rediriger ces fonds, dont le montant total reste d’ailleurs minime par rapport à ce que reçoit l’État. Les agences de coopération octroient à la société civile entre 1 et 3 % de ce qu’elles destinent à l’État. L’objectif du nouveau projet de loi, c’est juste d’attenter aux libertés.

jeuneafrique

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