REPORTAGE Files d’attente, bureaux fermés ou déplacés… Des milliers d’électeurs maliens n’ont pas pu voter pour ce scrutin organisé par Bamako pour ses expatriés.
«C’est du n’importe quoi, je veux voter !» s’enflamme Maimouna Diallo, sa carte électorale à la main. Comme des centaines d’autres Maliens réunis devant le consulat de Bagnolet, la jeune femme perd patience. En ce dimanche d’élection présidentielle, accomplir son devoir civique relève du parcours du combattant à Paris et ses alentours pour la population malienne expatriée en France. Alors que près de 29000 personnes sont inscrites sur les listes électorales (sur les 200000 Maliens de France), moins d’une centaine a pu voter au consulat à la mi-journée. «Je tiens le bureau de vote sans être électeur, se désole Lassana Niakaté, qui n’a pu obtenir sa carte d’identification biométrique, j’ai pourtant été recensé en 2010.»
Président de l’association des Maliens de Montreuil, il devait tenir le bureau de vote du Foyer Bara, près de chez lui. «On m’a dit là-bas qu’il n’y avait pas assez de cartes d’électeurs distribuées et qu’ils refusaient d’accueillir les isoloirs», regrette-t-il. La plupart des bureaux de vote de Montreuil ont ainsi été déplacés au dernier moment à Bagnolet, sans que les électeurs en soient avertis. «J’ai orienté des dizaines de personnes qui ne savaient pas où voter», poursuit-il, alors que la confusion gagne un peu plus les abords du consulat.
«Des gens réorientés vers Meaux, Paris et même Bordeaux»
Au premier étage, des centaines de personnes attendent depuis le début de la matinée, dans l’espoir d’accomplir leur devoir de citoyen, déplorant la manière dont la représentation diplomatique de Bamako a organisé le scrutin en France. «C’est vraiment mal organisé, se désole Boisse Traoré, un habitant de Montreuil. La plus grande communauté malienne vit ici en France. Nous ignorer, c’est ignorer une partie du Mali», peste-t-il. Un homme le coupe : «Je ne sais pas où voter, on ne me l’a pas dit, je vais d’un bureau de vote à l’autre sans succès.» Le site Internet mis en place par la délégation électorale sature, face à la demande. Impossible pour beaucoup d’en savoir plus.
«Des gens ont été réorientés vers Meaux, Paris et même Bordeaux, déclare Boubacar Traoré, qui tient un bureau de vote dans une arrière-salle du consulat. Dix personnes seulement ont voté ici». Quelques mètres plus loin, le ton monte. Des électeurs s’agacent devant des représentants du consulat, qui semblent bien incapables de donner une réponse à leurs problèmes. «Le Mali ne se relèvera pas comme ça, proteste un jeune homme, dans la longue file menant aux isoloirs. C’est la fraude organisée, on en a marre de subir, il y en a assez maintenant.»
La peur d’un vote illégitime
Le scrutin doit pourtant sortir le pays d’une crise dans laquelle il s’enlise depuis 18 mois. «C’est d’autant plus dommageable que la plupart des Maliens étaient très motivés par cette élection», souligne une mère de famille qui quitte les lieux bredouille. «Ce scrutin est capital pour soutenir le pays dans cette grave crise, rajoute Lassana Diakaté.Malheureusement, les Maliens sont privés de leurs droits civiques». La très faible participation à laquelle devrait faire face l’ambassade du Mali en France fait déjà bondir les électeurs massés devant le bâtiment consulaire. «Cela m’attriste de voir ça, aujourd’hui j’ai honte», lâche un vieil homme alors qu’une bousculade s’empare de la rue Hoche, aux abords du consulat. «Cela me parait impossible que les 29000 personnes inscrites sur les listes électorales votent, poursuit Lassana Niakaté. Il y aura à peine 10% de votants ici en France, ce qui remet quand même en cause la légitimité du scrutin.»
THOMAS LIABOT
Source: liberation.fr