Pour notre journaliste Joan Tilouine, le chef de la diplomatie française « va à contresens de l’histoire et de l’évolution du continent africain ».
Notre journaliste Joan Tilouine a répondu aux questions des internautes à la suite de la victoire de Félix Tshisekedi à l’élection présidentielle en République démocratique du Congo.
Fnacki : Pourquoi la France conteste le résultat des élections ? Et quel est l’intérêt de la France à contester ces résultats ?
Joan Tilouine : C’est une déclaration étonnante du ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, jeudi 10 janvier au matin, contestant les résultats proclamés dans la nuit par la commission électorale. La France, tout comme l’Union européenne, n’avait aucun observateur électoral en RDC et M. Le Drian s’appuie sur les évêques de l’Eglise catholique congolaise.
Ces derniers ont déployé 40 000 observateurs électoraux dans tout le pays et ont déclaré, il y a une semaine, être en mesure de dire quel candidat l’a emporté. Et le nom de Martin Fayulu, le rival de l’opposition à Félix Tshisekedi, a été livré aux diplomates. Le chef de la diplomatie française a été maladroit dans cette déclaration. Car il va à contresens de l’histoire et de l’évolution du continent africain où l’ingérence occidentale et les jugements à l’emporte-pièce sont très mal perçus et appartiennent d’ailleurs au passé.
La France, comme les autres partenaires occidentaux de la RDC, ont été tenus à l’écart de ce processus électoral intégralement financé par le gouvernement congolais. Et si depuis la fin du dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila, en décembre 2016, les Occidentaux ont multiplié les pressions diplomatiques et le recours à des sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis visant des caciques du régime, cela a échoué.
Et ce sont bien les pays voisins, les organisations sous-régionales, comme la Communauté de développement d’Afrique australe et l’Union africaine, qui ont redoublé d’efforts pour permettre cette première alternance pacifique de l’histoire du pays. Il faut reconnaître que les diplomates africains se sont montrés plus habiles, efficaces et plus au fait des complexités que leurs homologues occidentaux qui ont même gêné leur travail, à un moment.
Hugo : Bonjour, quels sont les recours possibles de Martin Fayulu ?
Martin Fayulu se trouve dans une situation délicate. Comme les trois grands candidats à la présidentielle, il était persuadé de sa victoire, conforté par les observations de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco). Il a d’ailleurs dénoncé dans la nuit un « hold-up électoral » et a appelé la Cenco à publier les « vrais résultats » dont elle est censée disposer.
Cet après-midi, les évêques ont fait savoir que ces résultats provisoires proclamés par la Commission électorale « ne correspondaient pas » aux données collectées par ses observateurs à partir des bureaux de vote et de dépouillement. Elle appelle les candidats à contester « par des moyens de droit, conformément à la Constitution ».
Il en va de même de l’Union africaine (UA) pour qui il « est important que toute contestation des résultats proclamés, notamment celle portant sur leur non-conformité avec la vérité des urnes, se fasse pacifiquement, par le recours aux procédures prévues par les textes en vigueur et le dialogue politique entre toutes les parties prenantes », comme l’a déclaré le président de la commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat.
Okapi : De quels soutiens Tshisekedi et ses alliés disposent-ils actuellement au sein de l’armée et l’appareil sécuritaire ? Y a-t-il un risque de coup de la part de généraux inquiets de ce changement de pouvoir au sommet ?
Félix Tshisekedi n’a pas de soutien particulier ni d’entregent au sein de l’armée et c’est l’une de ses faiblesses. Il n’a d’ailleurs pas de culture militaire et ne dispose pas, parmi ses conseillers proches, d’expert en la matière. Les puissants généraux mis en place ou valorisés par Joseph Kabila pourraient bien garder la main sur l’appareil sécuritaire. S’ils sont brutalement limogés, ils risquent de constituer une véritable menace pour M. Tshisekedi qui va devoir composer avec ces hauts gradés qui se sont considérablement enrichis.
Certains ont cyniquement orchestré la déstabilisation de certaines zones, en activant en sous-main des groupes armés, tout en préservant l’unité du pays. Il en va ainsi de l’incontournable général John Numbi, nommé, à l’été 2018, inspecteur général des armées alors qu’il est visé par des sanctions internationales. Sa connaissance fine des acteurs, du territoire, des secrets et des coups tordus est à double tranchant pour M. Tshisekedi. Mais il est fort probable que les stratèges de Joseph Kabila aient préservé leur influence voire leur mainmise sur l’appareil sécuritaire.
Simaro : L’élection de Tshisekedi ouvre-t-elle la voie à une réelection de Joseph Kabila lors des prochaines élections ?
Joseph Kabila a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’excluait pas de revenir sur le devant de la scène politique, en 2023 pour briguer un nouveau mandat. Il est probable qu’il prenne la tête du Sénat et devienne ainsi le numéro deux de l’Etat. En fonction des résultats à l’élection législative, sa coalition politique pourrait bien aussi maîtriser la primature.
Félix Tshisekedi pourrait donc bien évoluer dans un environnement institutionnel délicat, avec une marge de manœuvre limitée. S’il joue le jeu du « partenaire » de Joseph Kabila pour l’instant, réussira-t-il à réajuster sa position pour s’imposer comme l’opposant au pouvoir qui tient les rênes et décide vraiment sur les grandes questions stratégiques ? De quelle protection et de quelle immunité, en dehors de celle de sénateur, Joseph Kabila disposera-t-il ? Félix Tshisekedi peut-il prendre l’avantage et dépecer le système de son prédécesseur ? L’avenir le dira.
Antinéa : Quels pays semblent soutenir Joseph Kabila ?
Joseph Kabila dispose toujours de soutiens dans la région même si la plupart de ses parrains ont fini par le presser de céder le pouvoir. Parmi ses alliés traditionnels et toujours à ses côtés, il y a le Zimbabwe dirigé par Emmerson Mnangagwa, un ami de la famille Kabila qui fut très actif en RDC, durant la guerre.
Le Zimbabwe est aujourd’hui le dernier véritable soutien de la mouvance Kabila qui se sent liée par une fraternité idéologique, renforcée par un sentiment anti-occidental grandissant. « C’est grâce à eux qu’on est au pouvoir, et ils sont avec nous », admet volontiers un dignitaire du régime de Laurent-Désiré Kabila devenu l’un des stratèges de son fils. En plus du Zimbabwe, on peut citer le Rwanda de Paul Kagamé qui, ces dernières semaines, a laissé entrevoir sa position de soutien à Joseph Kabila tout en l’incitant à quitter le pouvoir de manière honorable.
Koffee : Felix Tshisekedi est-il partisan d’une ouverture aux capitaux étrangers dans le secteur minier ou cherchera-t-il à nationaliser ce secteur et reprendre la mainmise sur les ressources naturelles, au risque de s’attirer les foudres de ses puissants voisins tels le Rwanda ?
La RDC est plutôt ouverte aux capitaux étrangers dans le secteur minier mais aussi dans d’autres secteurs de l’économie dominés par des groupes libanais, belges, indiens… Ce ne sont plus forcément les Occidentaux qui en profitent le plus. Sous Joseph Kabila, qui s’est lui-même considérablement enrichi avec sa famille, des entreprises chinoises, ou encore l’homme d’affaires israélien visé par des sanctions américaines Dan Gertler, ont bénéficié des largesses du régime et se sont vus octroyer des permis miniers dans des conditions parfois – voire souvent – douteuses.
Joseph Kabila a promulgué, en début d’année 2018, le nouveau code minier, qui augmente la redevance de 2 % à 10 % sur les minerais stratégiques, à commencer par le cobalt dont la RDC est le premier producteur et exportateur mondial. « En 2019, on va, à nouveau, multiplier par deux ou par trois nos redevances », a déclaré au Mondele président sortant.
Félix Tshisekedi ne devrait, a priori, pas revenir sur les grandes lignes de ce nouveau code minier qui reste avantageux et offre aux multinationales minières des conditions tarifaires parmi les plus avantageuses au monde. Mais la RDC est dans une situation économique fragile et Félix Tshisekedi va devoir composer avec des multinationales agressives qui disposent de « cash » en devise, ce qui manque terriblement dans le pays englué dans une profonde crise politique depuis deux ans.
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