L’Afrique de l’Ouest est encore sous le choc avec l’attaque d’Inates, au Niger. Au moins 71 militaires nigériens tué. Cette attaque, d’une extrême violence, impliquant des centaines d’assaillants, a été revendiquée par le groupe État Islamique (EI). Soumeylou Boubeye Maïga, l’ancien Premier ministre malien, répond aux questions de Laurent Correau.
RFI : Le groupe État islamique attribue l’attaque d’Inates à l’État islamique en Afrique de l’Ouest, est-ce que c’est une revendication qui vous surprend ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Pas du tout, quand on observe les actions qui se sont déroulées ces derniers temps, on voit que l’État islamique a accru sa mobilité, son pouvoir et son accès aux ressources dans cette région. Ils contrôlent pratiquement toutes les ressources prélevées sur les trafics de poissons, de charbons et d’autres produits comme les flux migratoires depuis la région du lac Tchad.
Est-ce qu’Inates fait partie des zones dans lesquelles l’État islamique en Afrique de l’Ouest est bien implanté ?
Oui, on a vu depuis le mois de septembre une recrudescence des attaques dans la région de Tillabéri, on a vu que dans sa politique de purge de ces espaces qu’il essaye de contrôler, l’EI s’en est pris non seulement aux forces gouvernementales, mais même au leadeur sociaux comme les chefs religieux, les chefs de village qui peuvent faire obstacle à sa propagande et le désengagement des forces qui relèvent du G5 dans cette zone qui était dans un processus de réarticulation, ce désengagement-là a créé aussi une sorte de vacuum dont ils ont pu profiter.
Est- ce que selon vous l’EI en Afrique de l’Ouest a pu agir seul dans cette attaque d’Inates ?
D’une manière générale, ce qu’on observe c’est que même quand les attaques sont revendiquées par tel ou tel groupe, elles se font en alliance entre les principales organisations, parce que le Sahel, pour le moment, est le seul théâtre sur lequel ces organisations coopèrent. Elles ne cherchent pas à contrôler des territoires, elles ont des cibles identiques.
Ce genre d’alliance a pu opérer lors de l’attaque d’Inates ?
Quand vous regardez l’importance de l’attaque, la combinaison des armements, etc., cela dénote qu’il y a forcément une coalition. Je pense qu’aucun des groupes en particulier n’a les effectifs nécessaires pour opérer une attaque d’une telle envergure.
Au moins 71 morts dans l’attaque d’Inates au Niger, il y avait eu 49 neufs morts à Indelimane côté malien… Le nombre de victimes se compte désormais par dizaines, comment est-ce que vous expliquez ce changement d’échelle dans les bilans des combats entre groupes jihadistes et forces gouvernementales ?
Je crois que le changement d’échelle est dû en grande partie au fait que les groupes terroristes se sont renforcés, considérablement… Non seulement en termes de combattants, en termes de ressources, en termes d’encadrement. Ils reçoivent des renforts de combattants étrangers qui proviennent d’autres fronts, en particulier on voit bien que la tactique utilisée est semblable à celle qu’on a observée sur le front irako-syrien notamment. La deuxième chose c’est qu’ils ont pu complètement s’intégrer dans l’économie de la région en développant de nouvelles routes de trafic, en s’imposant aux populations qui se sont retrouvées précarisées par l’allègement progressif du dispositif étatique. Cette économie de trafic qui est totalement imbriquée dans la logique terroriste procure des ressources importantes, une importante base de recrutement…
Qu’est-ce qui fait que les groupes jihadistes parviennent à augmenter leur recrutement dans les zones dans lesquelles ils opèrent ?
Ils ont beaucoup de ressources, que ce soient les armes, la drogue, les flux migratoires qui se développent dans cette zone. D’après les estimations qui sont faites, ça rapporte à peu près 5 millions de dollars par mois, sur lesquels rien que la province ouest-africaine de l’État islamique (PAOEI/Iswap) a des revenus nets de deux millions de dollars et comme, dans ces zones, il y a une grande précarité économique, ce sont des ressources importantes pour procéder à des recrutements.
Est-ce que pour vous il y a une cohérence dans le choix des localités qui ont été ciblées par ces groupes ? Est-ce que vous diriez comme certains que les jihadistes creusent une sorte de couloir dans cette zone des trois frontières dans laquelle ils essayent de se mouvoir en toute liberté ?
Quand vous regardez l’évolution de la cartographie des violences au Burkina, elle avait évolué progressivement, jusqu’à sa frontière avec le Bénin, parce que tous les trafics qui ne pouvaient plus passer par le nord du Niger notamment, ont essayé d’ouvrir un nouveau corridor, pour déboucher sur l’est du Mali, ou emprunter le centre du Mali pour longer le fleuve et remonter vers Tombouctou et même Taoudéni notamment. Je crois que l’interconnexion avec les trafics est fondamentale dans la résilience des groupes, les trafics ont besoin d’un environnement de violence et de pagaille pour pouvoir prospérer.
RFI