Le président de la République française décomplexé réécrit l’histoire en expliquant, le jeudi 10 juin, que la responsabilité du rapatriement des 5100 soldats français engagés au Sahel est à rechercher du coté des États africains alliés de la France. Élégant!
Comme il est éloigné ce temps béni où « Papa Hollande », dont Emmanuel Macron était alors un proche conseiller, affirmait en 1993 qu’il vivait à Bamako « le plus beau jour de sa vie politique »! Et que penser aujourd’hui, avec le recul, des certitudes d’un Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, convaincu que la France avait apporté la démocratie au Mali! Le bilan calamiteux de huit ans d’intervention de l’armée française au Sahel, le voici: des groupes djihadistes qui depuis 2017 ont quitté le Nord du Mal pour gagner le centre du pays; la jonction dans la zone dite des « trois frontières » avec des mouvements terroristes au Niger et au Burkina; des menaces désormais sur le Golfe de Guinée, notamment au Nord de la Côte d’Ivoire; des coups d’état au Mali et au Tchad; et enfin cinq cent civils assassinés dans le Sahel depuis le début de 2021. Sans même mentionner la présence des troupes tricolores en Centrafrique, dans la foulée de l’opération Serval, qui a du céder la place à Vladimir Poutine, désormais maitre chez lui à Bangui.
Courage, fuyons!
Depuis le début du quinquennat en 2017, Emmanuel Macron est conscient qu’il lui faut trouver une porte de sortie, ne serait ce qu’en raison du cout budgétaire exorbitant de ce qu’il est convenu d’appeler « les Opérations Extérieures ». C’est pour cette raison qu’à peine élu, le président français avait nommé à la tète du ministère de la Défense devenu celui des armées, Florence Parly, une énarque de la direction du Budget qui présida à la création du RMI puis de la CSG. Autant d’antécédents qui la destinaient évidemment aux enjeux géo politiques de l’Afrique sub saharienne. Sa tâche? Ce sera a départ de resserrer les comptes des dispendieuses forces armées françaises, avec comme seule feuille de route, en diminuer le montant.
Notons à ce sujet que le nombre de soldats de l’opération Barkhane n’est pas de 5100, comme il est écrit partout, mais bien plus proche de 30000. Il faut tenir compte en effet du « turn over » du contingent présent sur place et de la logistique qui, depuis Paris, accompagne de tels transferts de troupes. Les chiffres réels sur l’intervention française sont rarement donnés par les journalistes spécialistes des questions de défense, qui restent sous la coupe du tout puissant service de presse de l’armée.
Habité au début de son quinquennat par le projet libéral qu’il avait promis aux Français, Emmanuel Macron s’offre en juillet 2017 un premier bras de fer avec la hiérarchie militaire, qui voit le chef d’état major, Pierre de Villiers, démissionner après avoir protesté contre les coupes budgétaires envisagées. La bronca d’une partie des hauts gradés contre le chef de l’état, le livre à succès que publie Pierre de Villiers pour justifier son bilan et les manoeuvres d’un Jean Yves Le Drian, qui possède sous Hollande comme sous Macron les clés du pré carré africain, vont amener le Président français à modifier du tout au tout sa première feuille de route. Les crédits de l’armée vont connaitre finalement une progression sensible et le combat contre le terrorisme au Sahel réaffirmé comme un dogme.
Une porte de sortie à tout prix
Durant quatre ans, Emmanuel Macron s’épuise à trouver une porte de sortie à ce conflit qui s’éternise. Les éléments de langage se succèdent, sans prise réelle avec les réalités africaines mais sans que la classe politique française ne lui cherche des poux dans la tète. L’armée française reste une vache sacrée.
Passons sur la conviction, vraie ou feinte, des autorités françaises d’avoir réussi à exporter la démocratie au Sahel. La France agit comme si ses interlocuteurs -les IBK, Aziz, Issoufou et Déby- avaient été régulièrement élus après des campagnes électorales libres. Or les démocraties d’opérette minées par le clientélisme que la France a portées à bout de bras au Sahel ont contribué à jeter les populations locales dans les bras des groupes djihadistes.
Plus grave, Macron et le Drian ont voulu croire que les armées locales du G5 Sahel allaient prendre le relais des forces françaises dans la lutte contre le terrorisme. Ce qui n’a pas été le cas. Les retards accumulés en termes de formation et la corruption qui a marqué l’achat d’équipements militaires ont rendu impossible la mise à niveau des armées alliées.
On assista ensuite aux disgressions de l’Élysée sur la nécessité d’impliquer l’Europe dans la guerre contre le terrorisme. Le 27 mars 2020, la task-force européenne Takuba, annoncée en 2019, est enfin créée. «Ce sera le sabre qui armera les forces armées maliennes, affirme la ministre française des Armées, Florence Parly, en pointe sur cette initiative, sur le chemin de l’autonomie et de la résilience». Résultat, la force européenne Takuba comprend seulement 600 hommes, des Estoniens et des Polonais qui n’ont guère une connaissance approfondie du terrorisme en Afrique. Pour justifier leur lâchage en plein désert, les autorités françaises ont servi à nouveau la rengaine improbable d’une implication forte des Européens.
L’exercice aura été d’autant plus difficile à conduire qu’aucun attentant n’a été commis dans les pays occidentaux par les groupes armées africains. Et cela contrairement au « story telling » servi par l’État major français à François Hollande au moment du lancement de l’opération Serval en 1993. Les djihadistes maliens étaient sur le point de provoquer des attentats en France, martelaient les services de renseignement de l’armée. Ce qu’ils n’ont jamais fait !
Les militaires français ont simplement confondu les stratégies des groupes terroristes en Afrique et en Syrie.
La faute aux Africains, forcément
Comment alors sortir du bourbier? Comment éviter qu’en pleine campagne présidentielle française, Emmanuel Macron ne se voit reprocher l’échec de la lutte contre le terrorisme en Afrique? La parade du président français, la voici: nous avions affaire à des incapables et à des opportunistes, a-t-il proclamé en substance. Ce qu’un Nicolas Sarkozy, un visiteur du soir de Macron, avait prétendu à sa façon, en affirmant que « l’Afrique n’était pas entrée dans l’Histoire »
En un coup de poignard bien ajusté dans le dos des cinq États alliés de la France, Emmanuel Macron a tenté, le jeudi 10 juin, de botter en touche. « Nous ne pouvons pas sécuriser des régions, a-t-i déclaré le 10 juin, qui retombent dans l’anomie parce que des États décident de ne pas prendre leurs responsabilités ». Et c’est peu dire que Macron n’a pas négocié avec les intéressés le retrait des troupes françaises comme il se devait de le faire, alors qu’il prend un tournant à 180 degrés par rapport à ses déclarations les plus récentes. Au sommet de N’djamena en février, Emmanuel Macron déclarait d’un ton martial, plus chef de guerre que jamais. « Dans les prochains mois, notre présence militaire au Sahel ne changera pas et nous allons lancer d’autres opérations majeures ». Comprenne qui pourra!
Les éléments de langage distillés par la Macronie depuis l’annonce de la fin de l’opération de Barkhane, les voici: nos alliés africains sont à la tète d’États faillis incapables d’apporter l’eau et l’électricité aux populations locales; ils multiplient les coups d’état, au Mali notamment, en tournant le dos au modèle démocratique qui est le notre; et enfin, ils envisagent même aujourd’hui d’offrir une paix des braves à certains groupes islamistes qui combattent l’armée française.
Le Sahel tel qu’il est
Paradoxalement, les amis d’Emmanuel Macron commencent à décrire le Sahel tel qu’il est et non tel que la France l’a fantasmé depuis trop d’années.
–La faillite des États du Sahel est une réalité. Elle a débuté depuis trente ans au moins, et elle a pour nom: l’héritage colonial, la mise sous tutelle des ressources naturelles par des groupes étrangers; la tradition de la Françafrique qui s’est servie en Afrique, tout en soutenant des régimes corrompus; la priorité donnée par le budget français aux dépenses militaires sur l’aide au développement, alors que la Chine ou les monarchies du Golfe, ces puissances montantes, ciblent leur coopération vers la société civile et les grands équipements..
–Les coups d’état se multiplient, c’est vrai. Et c’est tant mieux, a-t-on envie de dire! Ces coups de force sont souvent initiés, comme au Mali, par des officiers supérieurs soucieux du bien public et les seuls à même de provoquer une alternance dans un pays dirigé par des élites discréditées et sombrant dans une crise sans fin. Mieux vaut des militaires débutants mais de bonne volonté que des pouvoirs répressifs, aveugles et immuables comme ceux que la France de Sarkozy, de Hollande et de Macron ont soutenu au Tchad, au Gabon, au Congo, au Cameroun.
–Les régimes du Sahel cherchent un compromis avec certaines forces islamistes. Pourquoi le nier? Mais comment réagir ace à la progression des groupes islamistes et à leur influence grandissante auprès de populations de plus en plus fondamentalistes, au Sahel comme dans le reste du monde musulman? Faut-il négocier des compromis avec les mouvements islamistes les plus articulés et les moins sectaires, comme le font les régimes malien et burkinabé dans une recherche d’union nationale? Ou s’agit-il de poursuivre une guerre globale et sans fin contre une idéologie qui gagne chaque jour du terrain, comme l’envisageaient volontiers les militaires français?
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Source: MondAfrique