En Afrique, tout le monde n’est pas content de l’élection du Sud-Africain Patrice Motsepe à la présidence de la Confédération africaine de football (CAF). Vendredi dernier, lors d’une assemblée générale de la CAF à Rabat, le milliardaire sud-africain a bénéficié du retrait des trois candidats ouest-africains en sa faveur. Mais pour le Sénégalais Abdoulaye Thiam, qui est rédacteur en chef de « Sud Quotidien » et qui préside l’Association de la presse sportive du Sénégal, la politique et l’argent ont pris le pas sur le football. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Pourquoi c’est Patrice Motsépé qui a gagné ?
Abdoulaye Thiam : C’est Patrice Motsépé qui a gagné pour la bonne et simple raison que c’est le candidat de Gianni Infantino. La deuxième chose, c’est parce que les autres challengers ont décidé, suite au protocole de Rabat, de retirer leur candidature. Je veux nommer maître Augustin Senghor [du Sénégal], Jacques Anouma de la Côte d’Ivoire et Ahmed Yahya de la Mauritanie.
Mais le jour du vote vendredi 12 mars à Rabat, votre patriote Augustin Senghor avait l’air triste…
Triste ? Je ne saurais le dire. En tout cas, pour beaucoup de Sénégalais, la déception était très grande. Et il n’y a pas que les Sénégalais, il y a aussi beaucoup d’Africains qui comptaient sur Augustin Senghor pour remettre la Confédération africaine sur les rails. Mais comme on le sait très bien, le fait d’avoir la probité intellectuelle et morale, d’avoir une certaine compétence n’a pas suffi. Il y a eu la diplomatie, la géostratégie, la géopolitique qui se sont invitées dans cette élection et qui ont fait qu’aujourd’hui, c’est Patrice Motsépé finalement qui a été porté à la tête de cette confédération.
Quand vous parlez de « géopolitique », pensez-vous à l’influence du président de la Fédération internationale de football (Fifa), Gianni Infantino ?
Oui, pour cette élection-là quand même, personne n’ose dire qu’il n’a pas vu l’implication, l’ingérence même du président de la Fifa, Gianni Infantino : il a sillonné beaucoup de pays africains, il a battu campagne pour Patrice Motsépé. Mais au-delà de Gianni Infantino, je peux vous citer par exemple cette alliance contre nature que personne n’arrive à comprendre entre l’Afrique du Sud et le Maroc. Tout le monde se souvient quand même du désistement de l’Afrique du Sud lors de la CAN Futsal qui devait se dérouler à Laâyoune au Sahara occidental. C’est une question très complexe sur laquelle beaucoup de chefs d’État africains font très attention pour ne pas frustrer les Marocains. Mais les Sud-Africains ont été les premiers à dire qu’ils n’y vont pas à 15 jours de la compétition. Mais finalement, les Marocains ont accepté de s’aligner derrière la Fifa, derrière Patrice Motsépé !
Est-ce que derrière cet accord, il peut y avoir un deal secret entre le président Cyril Ramaphosa et le roi du Maroc, Mohammed VI ?
Je n’irai pas jusque-là. Ce qui est clair aujourd’hui, c’est quand même que les chefs d’État africains ont joué un très grand rôle. On parlait de Kigali avec Paul Kagame, qui a choisi depuis très longtemps Patrice Motsépé. Les gens aussi se souviennent des déplacements de Gianni Infantino au niveau de Brazzaville et au niveau de la RD Congo, il a été reçu par l’actuel président en exercice de l’Union africaine qui se trouve être [Félix] Tshisekedi ; il y a aussi l’accord entre Patrice Motsépé et son ami Moïse Katumbi [le président du club congolais tout puissant Mazembé]. Pour vous dire, tout simplement, qu’il y a eu la géopolitique qui a fait aujourd’hui qu’en fin de compte, on n’a pas choisi peut-être le candidat que tout le monde espérait être le meilleur. La politique et la géostratégie ont pris le dessus forcément sur le choix d’Augustin Senghor.
Et lors de son dernier déplacement en Afrique de l’Ouest, Gianni Infantino, le président de la Fifa, a été reçu par le Sénégalais Macky Sall et le Guinéen Alpha Condé, non ?
Oui. Là aussi, tout le monde s’est interrogé. Au XXIe siècle, là où on pensait qu’on allait effectivement vivre totalement de notre indépendance, surtout sur le plan footballistique, mais là c’est un Suisse qui vient en Afrique pour tout simplement être reçu avec les honneurs et qui dicte qui doit diriger effectivement notre confédération. C’est triste parce qu’on ne verra jamais les gens comme Gianni Infantino au niveau de l’UEFA, qui est la confédération européenne. On ne le verra pas au niveau de la Concacaf, qui est la confédération sud-américaine. Ce n’est pas possible.
Et pourquoi Gianni Infantino et la Fifa ont-ils autant de pouvoir sur les fédérations africaines ? Est-ce une histoire d’argent ?
Oui, c’est une histoire d’argent, parce qu’en Afrique, il faut aussi le relever : nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. Aujourd’hui, l’organisation d’une Coupe d’Afrique des nations à 24 équipes, exceptés l’Afrique septentrionale, l’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud, au moment où nous parlons, il n’y a aucun pays au sud du Sahara qui est capable d’organiser une telle coupe d’Afrique à 24. Effectivement comme on dit chez nous en wolof, « celui qui vous prête les yeux, forcément va vous dire où vous devrez regarder ».
Qui paye, commande…
Qui paye, commande. Exactement.
Est-ce que ces audiences de Gianni Infantino chez plusieurs chefs d’État africains, ce n’est pas aussi la preuve que la politique s’ingère dans le football et que finalement, dans chaque pas, c’est le président de la République qui dit à la fédération ce qu’elle doit faire ?
Exactement, parce que le sport, le football en particulier, est géré par les États. Ce sont les États qui ont les stades, ce sont les États qui entretiennent les équipes nationales, les fédérations ne sont pas autonomes financièrement.
On sent votre déception. Est-ce que Patrice Motsépé peut être un mauvais président pour la CAF ?
Non. J’ose espérer tout simplement que ce qu’il a réussi avec Mamelodi Sundowns [le club sud-africain dont il est propriétaire] et aussi dans les affaires, j’espère qu’il puisse le réussir au niveau de la Confédération africaine de football.
Mais est-ce qu’il connaît le footbal ?
Il ne connaît pas le football à l’image d’Augustin Senghor, à l’image de Jacques Anouma, à l’image d’Ahmed Yahya. D’ailleurs, il n’était même pas intéressé par la présidence de la Confédération africaine de football. C’est Gianni Infantino qui est allé le chercher.
À cause de l’argent qu’il y a derrière lui, c’est ça ?
C’est forcément à cause de l’argent. Je crois qu’il est très bien entouré. On peut espérer effectivement que, d’ici quatre ans, la Confédération africaine de football puisse retrouver son lustre d’antan et qu’on ne puisse pas vivre sous la tutelle tout simplement de la Fifa comme ce fut le cas ces quatre dernières années avec Ahmad [Ahmad].
Source : Rfi.fr