Après une grève de 6 longs mois, les enseignants sont enfin de retour dans les classes. Les élèves aussi. Il faut certes s’en réjouir, mais pas trop. Car, il ne suffit pas de reprendre la craie. Il faut aussi en faire un bon usage et surtout être compétent, exemplaire, rigoureux et consciencieux.
De cela, la plupart de nos enseignants en sont très loin.
Chaque année, des élèves réclament des professeurs de qualité, intellectuellement suffisants et moralement irréprochables. Mais que constatons-nous actuellement dans nos établissements scolaires ?
Des sortants du CFP qui donnent des cours dans les cycles de formation CAP (certificat d’Aptitude Professionnelle) des diplômés de l’ECICA qui enseignent à l’ECICA et cela, la même année de leur qualification, des biologistes (diplômés de l’ENSUP) qui dispensent des cours de français, de comptabilité et de mathématique dans les écoles.
Aussi c’est un véritable exercice d’équilibriste qui nous attend lorsqu’il s’agit de faire la différence entre un enseignant et un élève. Cela non pas à cause de leurs gabarits respectifs, ni de leurs comportements vestimentaires, mais uniquement par les attitudes de ces deux acteurs de l’école.
Les enseignants abordent les filles dans la cour de l’établissement prétextant des explications rapides sur un passage important du cahier, alors qu’en réalité, c’est uniquement (parfois) pour les inviter à les rejoindre plus tard dans un endroit réservé pour… autre chose. Et le professeur qui arrive à se jouer du plus grand nombre de jeunes filles au sein de son établissement sera sûrement le plus en vue à l’école.
L’enseignant qui se singularisera dans ce tohubohu par son amour pour le travail, est quant à lui, traité de villageois au réflexe de ‘’bosseur’’, habitué aux durs travaux champêtres.
Au niveau du fondamental, les enseignants ont trouvé une astuce pour se faire de l’argent. Il s’agit en effet d’organiser des cours à l’attention des élèves de leurs propres classes. Ceux qui y participent, bénéficient directement de toutes les largesses du maître, même en classe et surtout pendant les compositions mensuelles ou trimestrielles où ils traitent les sujets quelques jours avant les épreuves proprement dites. Ceux qui n’auraient pas eu la possibilité de s’y inscrire, se verraient très fortement pénalisés. Mieux, ou pire parmi les inscrits eux-mêmes, il existe une certaine ségrégation qui consiste à faire la part belle à ceux dont les parents n’oublient pas, de façon régulière, de glisser quelques billets de banque supplémentaires dans les poches toujours ouvertes du maître.
C’est tout simplement la corruption qui gangrène nos écoles et qui pousse les éducateurs à la course vers l’appât du gain facile.
C’est cela la désolation, le manque de civisme, l’inconscience professionnelle. S’il faut en plus de tout cela, ajouter l’inassiduité et le non ponctualité de ces mêmes messieurs, il y a de quoi s’inquiéter de l’avenir de nos enfants.
Au niveau de l’enseignement secondaire général, technique et professionnel, c’est le scandale.
Lorsque les élèves, sortis pour raison de grève, décident de rejoindre les classes, c’est pour automatiquement remettre le relais à leurs enseignants qui en profitent ou menacent de prendre en otage des compositions ou même les examens de fin d’année si leurs revendications ne sont pas prises au sérieux, et immédiatement.
On assiste à ce genre de mouvement de complicité entre élèves et enseignants depuis belle lurette. La question que l’on se pose finalement est de savoir si réellement les enseignants ne ressemblent pas à s’y méprendre à leurs élèves au point de s’y identifier. Une chose est sûre : les élèves actuels ne valent ni plus ni moins, que leurs enseignants.
Ainsi, à tous ces niveaux d’enseignant, il est lamentable de constater que beaucoup d’enseignants ne préparent pas les cours et se contentent de préparations vieilles d’une décennie, lorsqu’ils ne se servent pas tout simplement d’anciens cahiers de leurs élèves.
Comportement extrêmement grave car un enseignant à le devoir de préparer ses cours avec les données nouvelles.
Mon oncle me racontait que pendant qu’il était en 4è année en 1954, qu’il avait un enseignant qui, chaque matin, et de bonne heure, après la séance d’éducation physique, procédait à la révision générale et complète de la dernière leçon. Chaque élève interrogé était tenu de réciter correctement et rapidement sa leçon au risque de recevoir des coups de fouet ou autres corrections redoutées des élèves.
Souvent, le maître pouvait décider de surseoir à toute nouvelle leçon tant que la majorité de la classe ne lui aurait pas donné satisfaction. Personne n’osait se coucher la veille avant d’apprendre correctement sa leçon du lendemain.
Moi-même, lorsque j’étais en 6è année de l’enseignement fondamental, (en 1973) au Groupe Scolaire Khasso ‘’A’’ (GSKA) de kayes, j’avais une peur bleue du jeudi et du Samedi pour la simple raison que ces deux jours étaient réservés respectivement à l’arithmétique et à la dictée de contrôle. Sacrés jours que ces deux-là. Le jeudi, après avoir traité une dizaine d’opérations et un problème pratique, on passait au gros morceau. Il s’agissait de résoudre le grand problème d’application au risque de passer toute la journée à l’école, si on n’arrivait pas à trouver la solution juste.
Le Samedi, la grande difficulté était qu’on recevait autant de coups de fouets pour autant de fautes commises ; c’est le calvaire et personne ne dormait la veille, rien qu’avec la psychose que cela nous procurait.
Tout près de nous, il y avait un maître qu’on appelait monsieur Modibo. Il était chargé de cours en 6è année au Groupe Scolaire Légal Ségou (GSLS). Cet enseignant réputé très sévère, a fait écrire sur les cahiers de chacun de ces élèves la célèbre phrase : ‘’je réussirai cette année à mon examen, je le jure !’’ Et, tenez-vous bien, en fin d’année, à part une fille malade qui n’a pas pu se présenter à l’examen, il a fait les 100%. Monsieur Modibo faisait venir les enfants à l’école même pendant les congés de noël et de pâques.
Imaginez un peu un enseignant qui aurait aujourd’hui le courage d’un tel sacrifice ! C’est tout simplement utopique.
Des droits, mais aussi des devoirs
Les maîtres tiennent actuellement trop à leurs droits et oublient très souvent qu’ils ont des devoirs envers ce pays qui fait tout son possible pour que les enfants soient bien encadrés.
Ces anciens maîtres responsables de bons résultats ont cessé d’être la référence de leurs remplaçants. Ils ont pourtant réussi à mener une existence normale en se contentant uniquement de leurs maigres salaires et des conditions de travail des plus désuètes.
Aujourd’hui, nos enseignants, en plus de leurs salaires, ont la possibilité de donner des cours dans les nombreux établissements privés de la place et cela avec la bénédiction de leurs responsables d’école.
Toutes ces faveurs permettent à l’enseignant de nos jours de faire face, de manière suffisante aux nombreuses charges qu’il supporte dans la vie.
Le comportement des enseignants actuels est une vitrine qui nous permet de comprendre toutes les difficultés que traverse l’école malienne dans son cycle de crise. L’honnêteté de nos éducateurs est à fleur de peau de nos jours.
Rien qu’en jugeant par le nombre élevé de syndicats au sein de l’éducation, on se rend compte que le corps enseignant est à la recherche de ses propres repères.
Leur responsabilité dans les séries de crises scolaires est indéniable aujourd’hui. Pour preuve, aucun syndicat d’enseignants n’a proposé de façon spontanée, une solution de sortie de crise, au prétexte qu’ils n’ont pas été préalablement associés à la gestion de la situation. C’est tout simplement regrettable et hypocrite.
Il devient impérieux pour ces premiers responsables de l’éducation de nos enfants, de cesser de véhiculer cette image négative qui porte tant de préjudices à toute la société.
Boubacar Traoré
Enseignant à la retraite. Bamako
Source: Le 26 Mars