Les démocraties modernes se caractérisent par l’existence d’une Constitution qui définit les règles relatives à l’organisation et à la transmission du pouvoir ainsi que les droits et libertés des citoyens. En plus, elle organise les rapports entre pouvoirs publics constitutionnels et leurs moyens d’action réciproques.
Le droit de dissolution de l’Assemblée nationale du Président de la République et la motion de censure du Parlement à l’encontre du Gouvernement rentrent dans cet objet. Mais avant tout développement sur ce sujet, il convient de préciser le sens dans lequel ces deux expressions seront entendues en droit constitutionnel. Le droit de dissolution est une procédure caractéristique des régimes de séparation souple des pouvoirs, permettant à une autorité exécutive d’interrompre le mandat d’une assemblée parlementaire élue, ce qui entraine l’organisation de nouvelles élections législatives. Il est énoncé par l’article 42 de la Constitution du 25 février 1992 “Le Président de la République peut, après consultation du Premier Ministre et du Président de l’Assemblée Nationale, prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale. Les élections générales ont lieu vingt et un jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
L’Assemblée Nationale ne peut être dissoute dans l’année qui suit ces élections”. Néanmoins, ce droit est encadré en ce sens que la Constitution énonce trois séries de limites. La première est contenue dans l’article 42 lui-même : il s’agit de l’interdiction d’une nouvelle dissolution dans l’année qui suit les élections législatives après dissolution. Quant à la deuxième, elle concerne la période d’intérim (article 36) et enfin, la dernière interdiction est prévue dans l’article 50 relatif aux pouvoirs exceptionnels du Président de la République. En droit constitutionnel, le droit de dissolution est vu comme le corollaire de la “Motion de Censure“ qui est “l’instrument de mise en jeu explicite de la responsabilité du Gouvernement par une Assemblée dans un régime parlementaire, qui est un régime de collaboration des pouvoirs par excellence”. Enoncée dans l’article 78 alinéa 2 de la Constitution, elle fait également l’objet d’un encadrement rigoureux “ …L’Assemblée Nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée Nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des deux tiers des membres composant l’Assemblée. Si la motion de censure est rejetée, les signataires ne peuvent en proposer une nouvelle au cours de la même session …”.
En faisant l’économie du débat sur la légitimité en droit constitutionnel et en Science Politique qui est une question éminemment complexe et divise la doctrine, on pourrait simplement admettre à la suite du doyen George Burdeau que, la réponse à cette question est exclusivement juridique : “L’origine de l’autorité des gouvernants c’est la régularité constitutionnelle de leur investiture”. De ce fait, l’appréciation de la légitimité des parlementaires relèverait de la compétence de l’interprétateur authentique véritable à savoir les juges de la Cour constitutionnelle. Sous le bénéfice de ces précisions, l’exercice de ces deux moyens d’action réciproques caractéristiques des régimes de collaboration des pouvoirs soulève de mon point de vue la question centrale suivante :
Le Président peut-il dissoudre immédiatement l’Assemblée la motion de censure ?
Il est possible de répondre par la négative. En clair, le Président de la République ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale immédiatement après le vote d’une motion de censure sans avoir procéder à la nomination d’un nouveau Premier Ministre. Cette thèse qui est contraire à la décision française du 6 octobre 1962 semble être plus en phase avec l’esprit de l’article 42 de la Constitution ainsi que le respect de la logique institutionnelle. En effet, pour dissoudre l’Assemblée nationale ? L’article 42 prévoit la consultation du Premier Ministre et du Président de l’Assemblée nationale. Il s’agit une consultation obligatoire non assortie d’exigence d’avis conforme c’est-à-dire que l’avis de ces consultés ne lie pas le Président de la République. Mais ce qui peut paraître évident est que, la Constitution ne prévoit que la consultation d’un Premier Ministre et d’un Président de l’Assemblée nationale en exercice et non celle d’un Premier Ministre et d’un Président de l’Assemblée nationale démissionnaires. C’est à ce niveau que des interrogations demeurent : Quelle est la valeur juridique de la consultation d’un Premier Ministre ou d’un Président de l’Assemblée nationale démissionnaire ? Or, on le sait, le seul cas de dissolution que nous avons connu sous la Troisième République est celui du décret n°97-103/P-RM du 03 Mars 1997 portant dissolution de l’Assemblée nationale. La procédure a été respectée parce que le Premier Ministre consulté était en n’était pas démissionnaire. La même procédure est-elle possible avec un Premier Ministre démissionnaire ? En droit constitutionnel, un Gouvernement démissionnaire à une compétence limitée même si en vertu du principe traditionnel de la continuité de l’État, il continue à expédier les affaires courantes : les décisions d’administration quotidienne et les décisions immédiates. Néanmoins, certains pourront rétorquer en disant que la démission du Premier ministre est liée à l’acception du Président de la République conformément à l’article 38.
La grandeur des Institutions réside dans le respect que leur accorde le Président
Elle est aussi conforme à la logique institutionnelle car la grandeur des Institutions constitutionnelles réside aussi dans le respect que leur accorde le garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République. Par-delà, la dissolution de l’Assemblée nationale à titre de sanction pourrait créer une situation juridique inconfortable pour le Président de la République pour deux séries de raisons. En premier lieu, elle constituerait un obstacle à la procédure de révision de la Constitution. En effet, l’article 118 fait de l’Assemblée nationale un passage obligé pour la procédure de révision “… Le projet ou la proposition de révision doit être voté par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers de ses membres. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum…”. En second lieu, la dissolution de l’Assemblée nationale imposerait l’organisation d’élections législatives dans un délai assez limité “…Les élections générales ont lieu vingt et un jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution”. En somme, en cas de vote d’une motion de censure et pour rester dans l’esprit de la Constitution, la dissolution de l’Assemblée nationale à titre de sanction ne devrait pas intervenir avant la nomination d’un nouveau Premier Ministre. La consultation d’un Premier Ministre démissionnaire semble être contraire à l’esprit des articles 42 et 79 de la Constitution et participerait de facto au processus d’affaiblissement des Institutions constitutionnelles. On peut également se demander si le décret de dissolution est contestable devant une juridiction au Mali. Sur ce plan, la doctrine est unanime, un décret de dissolution de l’Assemblée nationale rentre dans les rapports entre pouvoirs publics. De ce fait, il est classé dans la catégorie des actes de gouvernement consacrés par le juge administratif malien dans l’arrêt Ibrahim Diakité de la Cour Suprême du 27 février 1992. En France, Conseil constitutionnel 13 juillet 1988 A.N, Charente-Maritime ; Conseil d’Etat, 20 février 1989, Sieur Allain.
Paul Traoré,
Docteur en Droit Public,
Maitre-assistant/ Faculté de Droit Public,
Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako.
Mali Tribune