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Dr. Lamine Keita, économiste, sur la sortie du Mali de la CEDEAO : “Le Mali évitera une perte de plus de 120 milliards de F CFA en droits de douane”

Dr. Lamine Kéita est un économiste et ancien vérificateur à la retraite. Il est en même temps auteur de plus d’une dizaine de livres en économie, surtout l’économie dotée de la mesure, une économie qui connait son objet. Dans cet entretien, il revient sur le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cédéao surtout les opportunités économiques et nos relations futures avec nos anciens voisins de la Cédéao.

Mali Tribune : Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cédéao est-il opportun, notamment pour le Mali ?

L’opportunité de la décision appartient aux autorités qui bénéficient de tous les cadres prudentiels de décision pour conduire toute action en conformité avec les intérêts stratégiques du Mali.

Mali Tribune : Qu’est-ce que cette décision peut apporter à notre pays comme avantages ?

Il convient de comprendre que votre question aujourd’hui a un sens grâce à la situation actuelle de ces trois pays regroupés au sein de l’AES, l’Alliance qui aura pris cette décision de s’écarter de la Cédéao, organisation à la création de la laquelle ces pays auront contribué, afin qu’elle apporte sa part technique dans le développement de l’ensemble de l’Afrique occidentale.

Par conséquent, avant de savoir ce que cette décision peut apporter à notre pays, il serait prudent et essentiel de prendre un recul pour comprendre ce que cela coûterait à notre pays de rester au sein de la Cédéao au lieu d’aller contribuer à créer une autre institution.

En effet, le constat est connu de notoriété publique que cette Cédéao a subi des déviations dans l’exécution de sa mission et qui l’auront amenée à s’éloigner de son rôle technique, consistant à faciliter l’intégration économique des pays, pour décider des sanctions illégales, injustes et inhumaines contre la population du Mali ou encore un embargo complet contre le peuple nigérien, y compris sur les médicaments.

Au même moment, en ce qui concerne le Mali, depuis longtemps en lutte comme le terrorisme, l’insécurité aura touché plus de 80 % de notre territoire, malgré la présence massive des armées étrangères dont les radars, drones et satellites n’arrivent jamais à détecter les terroristes se déplaçant, comme en toute sécurité, pour venir attaquer les camps abritant nos armées.

Une telle situation, malgré sa gravité, n’aura suscité de la part de la Cédéao aucune manifestation de solidarité pour la population malienne ou de compassion, y compris après l’attentat aveugle, barbare criminel contre le bateau transportant des civils innocents.

Le même scénario d’insécurité touchait les pays voisins, dont les frontières poreuses étaient devenues des passerelles pour terroristes qui paraissaient, selon les dires d’un officiel, mieux guidés, mieux aguerris pour attaquer les soldats des pays dans leurs camps pour ensuite disparaitre comme par enchantement, en traversant les frontières en l’absence de droits de poursuite au-delà des frontières nationales.

Il s’agit donc d’un Mali meurtri, bafoué et humilié, qui aura vu se déclencher un vaste mouvement populaire de mécontentement organisé autour de la sauvegarde nationale, en ébranlant les autorités politiques du pays, faisant trainer le pouvoir dans la rue et incitant ainsi les cinq colonels patriotes, dans un travail de sursaut national, à récupérer ce pouvoir, entérinant ainsi un coup d’Etat social et militaire, qui aura mis en place une transition consensuelle.

Désormais, les nouvelles autorités, sous le leadership des cinq colonels appuyés de leur soutien populaire, ont confirmé la voie à suivre, très claire, rappelant les pères de l’indépendance résistant aux envahisseurs coloniaux et consistant en tout premier lieu à rétablir l’intégrité territoriale du pays et la liberté de circulation sur l’ensemble du pays.

Ainsi, la Transition, forte de l’appui et du soutien populaire, aura su fonder une méthodologie géopolitique, au moment où le pays était presque disloqué avec de surcroît la présence massive des armées étrangères hostiles.

Elle aura réussi, dans cet élan populaire, à susciter et galvaniser l’éveil patriotique dans lequel le Malien aura retrouvé l’estime de soi, l’espoir, l’enthousiasme et la confiance. Ce faisant, le Mali exige désormais le respect mutuel et les principes d’égalité dans les rapports étatiques, ce qui exigera de la part de chaque Malien, l’engagement ferme de s’opposer à toute forme d’asservissement ou de domination.

Cet élan souverainiste et contagieux aura fait école au Burkina Faso et au Niger en permettant de susciter et de consolider cette heureuse initiative humaine de la création de l’Alliance des Etats du Sahel destinée à protéger leurs populations et à sauver les ressources immenses de leurs sols et sous-sols.

Ainsi est né ce contexte, un véritable renouveau pour les trois pays, avec une communauté de destin des populations, toutes essoufflées et abandonnées devant leur sort face à un terrorisme imposé, mais restées debout et indignées devant ces sanctions illégales et inhumaines administrées par cette institution désormais tortionnaire de la Cédéao.

En effet, cette institution, conçue à l’origine comme technique pour appuyer le développement des pays et le rapprochement des peuples, s’est trouvée transformée en une institution politique, au-dessus des Etats, administrant des sanctions contre des peuples souverains, et cela à la grande satisfaction de ses bailleurs européens, donneurs de leçons et fiers d’exhiber leur ingérence incestueuse dans les affaires de nos pays, en finissant par convaincre une bonne fois pour toutes, que la Cédéao a échappé à ses créateurs.

Cette Cédéao est désormais dans un rôle de déstabilisation aux mains des puissances colonisatrices, heureusement en perte de vitesse dans un cadre désormais multipolaire de la gestion du développement des pays. Il était donc important pour ces pays de l’AES de tirer les leçons de l’échec de la Cédéao ainsi que de celui des acteurs politiques ayant dirigé pendant plus de trente ans ces pays en manquant d’objectifs de développement et de vision stratégique.

Il nous apparait donc très salutaire, de chercher à s’échapper de ces atteintes graves et manifestes à leur souveraineté, et dont la Cédéao est devenue le centre d’instrumentalisation au mépris de tous ses textes.

Par conséquent, s’il y a un gain certain à attendre de cette décision des pays de l’AES, c’est d’avoir eu le courage de choisir, de créer une nouvelle organisation, quand celle qui existe ne répond plus à sa mission initiale et ne s’en cache même plus.

Mali Tribune : N’ayant pas de débouché direct sur la mer, le retrait du Mali de la Cédéao ne va-t-il pas rendre la vie plus chère pour les Maliens ?

Vous savez, le Mali s’est toujours déclaré pour l’intégration en Afrique et qu’il est même prêt à céder partie de son territoire si les besoins l’exigeaient. Donc le Mali ne participe pas forcément à un projet d’intégration parce qu’il y trouve un gain économique. Tel est bien le cas avec la Cédéao.

En effet, il faut dire que dans l’esprit du colon, les pays continentaux sont considérés comme une source de pourvoyeurs de produits bruts et comme marché pour les industries qu’il a  placées sur la côte.

Ce faisant, l’intégration permet d’alléger les droits de douane sur ces produits industriels d’exportation pour élargir leurs marchés de consommateurs et aussi pour bénéficier des matières premières à bon marché. Dans un cas comme dans l’autre, le Mali subit une grosse perte sur les droits de douane tout en compromettant la naissance de l’industrie nationale.

En retrouvant sa liberté de négociation hors de la Cédéao qui confirme le caractère colonial de ces montages institutionnels en son sein, le Mali évitera une perte de plus de 120 milliards de F CFA en droits de douane et tout en bénéficiant d’une rentrée de plus de 20 milliards supplémentaires sur son budget, selon les projections du gouvernement malien.

Par ailleurs, les pays avec littoral auront investi en infrastructures parce qu’ils en attendent la rentabilisation par l’utilisation qui en sera faite par les pays continentaux et non pas par les pays du littoral. Contraint de retrouver sa liberté d’action et en jouant pleinement la concurrence, le Mali sera largement bénéficiaire quand en plus il disposera de la liberté de fixer une fiscalité de porte plus incitative que dans le cadre de l’intégration et plus respectueuse de sa politique d’industrialisation.

De plus, en s’ouvrant sur le marché international, le Mali pourrait facilement trouver des alternatives à des importations locales en provenance de ces pays voisins tout en développant une politique d’infrastructure plus adéquate, quand en même temps, il pourrait arrêter cette pratique de subvention de la consommation des pays de la Cédéao en produits de bétail et autres produits de base.

Mali Tribune : Le Mali est un pays de migration par excellence, quelles peuvent être les incidences de ce retrait sur nos compatriotes qui vivent dans les pays de la Cédéao ?

D’abord, la Cédéao n’a pas de pays, ce sont les pays qui ont mis en place la Cédéao pour une mission précise, celle d’assister les Etats dans leur effort d’intégration et de rapprochement des populations.

Chacun vit dans la Cédéao en tant que ressortissant de tel ou tel autre pays. Donc les agissements de la Cédéao sans respect pour ses textes affectent tout ressortissant d’un pays membre de la Cédéao au même titre que les populations de l’Alliance.

Ainsi, les fermetures de frontières et les embargos n’ont pas affecté que les pays de l’AES visés. Les populations, dans certains pays ont été amenées à lever les barrières quand leurs autorités n’ont pas supplié les autorités de l’Alliance pour la reprise des activités.

Par conséquent, les pays soucieux de la situation de leurs ressortissants, s’attelleront avec les autorités des pays de l’AES pour décrocher des arrangements dans l’intérêt bien compris des populations des deux pays, aussi bien au plan microéconomique que macroéconomique.

Il s’agira d’une occasion supplémentaire de rapprochement des autres pays de la Cédéao avec l’AES, ce qui serait de nature à susciter l’élargissement de cette alliance ainsi que cela fut pour sa création.

Les pays de l’AES garderont l’initiative d’appliquer, selon les situations, soit la réciprocité, soit l’efficacité de la réplique qui devra être envisagée à chaque occasion.

Mali Tribune : Qu’est-ce que ce retrait de la Cédéao change dans les relations entre le Mali et ses voisins de la Cédéao.

La Cédéao est fondée sur des accords qui n’auront jamais été respectés causant des désagréments aussi bien aux pays de l’AES qu’aux autres pays encore membres de la Cédéao. Ce retrait signifie la création de nouvelles opportunités avec les autres pays membres de la Cédéao, chacun étant soucieux de ses intérêts propres.

En effet, la Cédéao ne rend pas compte à une population, mais cela n’est pas le cas pour les Etats soucieux de leur souveraineté et qui auront l’occasion de revisiter des intérêts coloniaux qui avaient été jusqu’ici préservés au sein de la Cédéao. Donc une occasion est offerte pour ces pays de l’AES pour avoir des relations plus équilibrées et plus justes avec les autres pays partenaires.

Mali Tribune : Si vous étiez conseiller du président de la Transition, lui auriez-vous conseillé de quitter la Cédéao ?

Le rôle du conseiller n’est pas de gérer selon ses sentiments personnels, mais en fonction d’éléments objectifs conformes à l’intérêt supérieur de la nation et aider ainsi le président à se placer haut dans la réalisation des hauts faits pour la nation. Donc, la décision du président ne peut être liée à la réponse versatile d’un individu, fût-il conseiller.

Mali Tribune : En tant qu’économiste, quelle mesure suggérez-vous aux autorités pour que la population ne soit pas trop affectée par ce retrait de la Cédéao ?

Il s’agit tout simplement de remplacer une institution défaillante par une autre dans la préservation des intérêts stratégiques bien compris du pays. Le Mali comme chacun des pays encore membres de la Cédéao ont tous intérêt à se rapprocher pour de meilleurs rapports plus bénéfiques pour tous et pour chacun.

Mali Tribune : Quel est le mot de la fin ?

Je me réfère à une idée bien exprimée chez nos pères fondateurs de l’indépendance, selon laquelle, si le colon vous félicite, c’est que vous avez trahi votre pays. A présent, nous devons comprendre que si le colon vous insulte et avec persistance, c’est que vous êtes sur la bonne voie.

L’histoire est encore toute fraiche pour nous faire comprendre la différence entre ceux-là de nos dirigeants que la France a ouvertement félicités et les autres qu’elle continue d’insulter, malgré leur humilité, leur gentillesse et leur détermination à respecter les autres et à exiger simplement qu’on les respecte également.

Par conséquent, cette Transition aura posé tellement de jalons importants, qu’en ce jour, nous ne pouvons que demander la mobilisation de nos populations dans un élan citoyen souverainiste, pour rendre entier et irréversible notre processus de libération totale, en cours, et qui semble tellement faire honte à l’Occident, et montrant que toute l’Afrique devrait prier pour sa propre victoire finale, celle qui commence dans les pays du Sahel.

Propos recueillis par

L K.

Mali Tribune

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