Le Challenger : 33 ans après les évènements de mars 91 que vous inspire l’état de la Nation ?
Dr Kassim Barry : C’est la décadence. On devait être plus loin après les événements de mars 91. Votre interview coïncide encore avec une période de transition. Ce recul démocratique dénote quelque part de la défaillance des démocrates.
Pensez- vous que les acquis démocratiques sont menacés ?
Evidemment, mais, cela ne date pas d’aujourd’hui. Je me rappelle sous IBK, quand j’étais revenu sur le banc pour me spécialiser, les jeunes médecins avaient organisé une marche pacifique qui a été violemment réprimée en son temps par la police. En tant qu’acteur du mouvement démocratique de 1991, quand j’ai fait remarquer au commissaire, un certain Sidibé, que leur acte constituait un recul démocratique, il a répliqué en ces termes : «qu’il en soit ainsi !».
Constatant aujourd’hui la dissolution des associations, des partis politiques, des restrictions à la liberté d’expression et d’opinions, je dirai oui ! Les valeurs démocratiques chèrement acquises sont en danger. Et c’est inquiétant.
La démocratie a-t-elle un avenir au Mali ?
Le retour à l’ordre constitutionnel traîne, nous sommes dans une transition qui dure. L’essentiel pour moi est qu’on aille aux élections, même si un militaire doit se porter candidat. Que les autorités organisent les élections pour sortir de la transition qui est, comme son nom l’indique, une période courte !
Quel est le plus grand échec du mouvement démocratique ?
Le péché mignon du mouvement démocratique est l’absence de formation militante. Car, selon le Premier ministre Choguel Maïga, c’était une floraison d’associations et de partis politiques. Des gens adhèrent aux partis sans formation ni conviction politique. C’est pourquoi on assiste aux nomadismes et aux alliances politiques contre – nature. Les militants manquent de formation et de conscience élevée civique et citoyenne.
En mars 91, vous étiez au cœur des événements en tant qu’étudiant, le pouvoir actuel vient de dissoudre l’Aeem. Quel commentaire faites-vous ?
Cette décision est regrettable. L’Aeem était d’abord suspendue, cela pouvait prendre le temps qu’il fallait pour mener des refondations du mouvement, mettre de l’ordre dans le milieu scolaire. Mais de la suspension immédiatement, on va à la dissolution, une structure démocratiquement créée qui est un symbole de la démocratie.
Pour moi, c’est une décision hâtive et un recul démocratique. Une telle structure selon les statuts et règlements ne peut être dissoute pour des raisons en dehors de son texte règlementaire. C’est vrai, la structure a ses responsabilités dans ce qui est arrivé, mais la sanction pénale est individuelle. On pouvait rechercher les coupables et les sanctionner. Loin de moi le devoir de ne pas compatir à l’épreuve de la famille endeuillée, mais les vies que l’Aeem a sauvées sont supérieures au nombre de morts qu’elle a engendré pendant les mouvements scolaires. Grâce aux efforts de l’Aeem, la route de Kabala, qui a causé la mort d’un nombre considérable d’étudiants, a été rénovée au grand bonheur des usagers. Donc, quand on sait les efforts et les risques que nous avions pris pour sa création. La dissoudre, à notre temps, c’était impensable. Maintenant les autorités vont faire face à des foyers de revendications, car chaque faculté va mettre en place son équipe du coup, l’Etat aura en face plusieurs interlocuteurs. Toutes les facultés ne connaissent pas de violences, donc il fallait s’attaquer là où il y a le problème comme la colline de Badalabougou.
Sur cette même colline, plusieurs violences extrascolaires sont perpétrées sur les filles. Tout cela n’est pas la faute de l’Aeem. A notre niveau, les anciens de l’Aeem, nous avons entamé des démarches. Nous avons commencé à démarcher le ministre de l’Administration territoriale pour trouver une voie de sortie. Nous n’allons pas baisser les bras.
Quel est votre message à l’occasion de ce 33ème anniversaire du 26 mars ?
Nous allons célébrer la mémoire de nos camarades et des martyrs du 17 au 26 mars, avec les dépôts de gerbes par les autorités. Cette semaine, normalement, devrait être considérée comme la Semaine des martyrs. Au Carré des martyrs, c’est le ministre du Développement social qui doit normalement s’occuper du dépôt de gerbes et au Monument des martyrs, c’est le président de la république. Ainsi, je lance un appel solennel aux acteurs de 91 à se lever pour préserver les acquis démocratiques qui sont en train d’être mis en cause.
Propos recueillis par Drissa Togola, Rokia Coulibaly, stagiaires