La salle de banquets du Palais de Koulouba abritera ce matin la cérémonie d’installation du triumvirat désigné pour conduire le Dialogue politique inclusif. Le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, qui présidera la cérémonie, remettra une feuille de route aux trois personnalités sur lesquelles il a porté son choix pour mener à bien cet important événement devant réunir 400 participants issus des partis politiques, des groupements de partis politiques, des organisations de la société civile, des autorités coutumières et religieuses de notre pays.
L’on se rappelle que récemment, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta a, après une large consultation de la classe politique, des légitimités traditionnelles et de la société civile, désigné les personnalités chargées de conduire le processus du Dialogue politique inclusif. Il s’agit du professeur Baba Akhib Haïdara, Médiateur de la République, de l’ancien Premier ministre Ousmane Issoufi Maïga et de l’ancienne ministre de la Culture Aminata Dramane Traoré.
Un Comité d’organisation sera mis en place pour assurer la préparation matérielle et scientifique du dialogue politique. Il est présidé par l’ambassadeur Cheick Sidi Diarra, ancien conseiller spécial pour l’Afrique du Secrétaire général des Nations unies. Pour rappel, le Dialogue politique inclusif, dont tout un chapitre de l’Accord politique de gouvernance signé le 2 mai dernier est consacré, permettra de pacifier le front politique. En outre, cette grande rencontre d’écoute, d’échanges et de discussions permettra d’avoir un large consensus autour des grandes questions de la nation comme les réformes politiques, institutionnelles, sécuritaires. Les participants aborderont aussi les questions de gouvernance, l’Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger.
Massa SIDIBÉ
Dialogue politique inclusif et prorogation du mandat des députés : CE QU’EN PENSENT OUSMANE SY ET ABDOULAYE SALL
Afin de sortir définitivement notre pays de la crise politique, sécuritaire et sociale qu’il traverse depuis quelques années et permettre au président Ibrahim Boubacar Keïta et au gouvernement de réussir leurs missions, un processus de Dialogue politique inclusif a été enclenché et il sera conduit par un triumvirat composé du Médiateur de la République Baba Akhib Haïdara, l’ancien Premier ministre Ousmane Issoufi Maïga et l’ancienne ministre de la Culture Aminata Dramane Traoré.
Aussi, pour éviter un vide institutionnel, le gouvernement a élaboré un projet de loi portant prorogation du mandat des députés jusqu’en mai 2020. Deux leaders d’opinion et anciens ministres, Ousmane Sy et Dr Abdoulaye Sall, donnent leurs points de vue sur ces sujets qui occupent l’actualité.
Ousmane Sy : « LE DIALOGUE DOIT ÊTRE À LA HAUTEUR DE NOS PROBLÈMES »
Pour l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, le processus de dialogue politique inclusif en cours est une bonne chose. «Je fais partie de ceux qui pensaient qu’avant même d’aller à l’élection présidentielle de 2018, il fallait faire le dialogue. Notre pays est dans une crise très complexe et profonde. Quand un pays arrive à un tel niveau de rupture, il n’y a pas d’autres voies que le dialogue», soutient-il, se réjouissant du fait que beaucoup d’acteurs politiques ont compris que le dialogue est le chemin incontournable pour maîtriser cette crise et donner des réponses maliennes.
Ousmane Sy rappelle que ce n’est pas la première expérience de dialogue au Mali. Il y a eu la Conférence nationale qui était une modalité de dialogue ayant permis au Mali de trouver sa voie. Il a aussi rappelé que dans le parcours de la IIIè République, le Mali a connu plusieurs modalités de dialogue. Compte tenu de la profondeur de la crise actuelle, l’ancien ministre pense qu’il faut de préalables pour le dialogue envisagé par les autorités. A ce propos, il suggère de prendre le temps de réfléchir pour déterminer le type de dialogue qu’il faut.
Par ailleurs, notre interlocuteur estime que les acteurs politiques doivent faire de cette crise, une opportunité pour changer les choses, comme souhaité par les Maliens. «Il faut que ce dialogue soit un vrai dialogue à la hauteur des problèmes », insiste Ousmane Sy qui pense que le dialogue commence au niveau des communes à travers des concertations citoyennes pour laisser s’exprimer l’ensemble de la diversité du pays, de Kayes à Ménaka, de Kadiolo à Taoudénit. « Il faut que tous ceux qui constituent la population malienne se fassent entendre…», préconise-t-il, ajoutant qu’à l’issue de ce processus à la base, il faut aller aux niveaux cercle et région pour faire des écoutes qui vont finir par une synthèse nationale.
Les décisions qui vont être prises à l’issue du dialogue doivent être les plus consensuelles possibles afin qu’elles durent dans le temps, souligne Ousmane Sy pour qui, la crise que traverse le Mali n’est pas que politique, elle est aussi institutionnelle, économique et sociale.
Autre avantage du dialogue, dit-il, les solutions pourraient être présentées aux partenaires comme étant celles des Maliens. Cela permettra aussi aux dirigeants d’être forts face aux partenaires extérieurs et d’avoir des arguments pour défendre les décisions et reformes qu’ils comptent entreprendre.
Ousmane Sy se réjouit en outre du fait que le président de la République ait confié ce processus à des personnes apolitiques et qui ne sont pas mêlées à des querelles partisanes. Pour lui, cela met beaucoup de sérénité dans le processus car le dialogue a besoin de médiateurs qui ne sont pas partie prenante du jeu politique.
A propos de la prorogation du mandat des députés, M. Sy trouve cela dommage car elle enlève du crédit aux institutions. D’après lui, le grand problème que la démocratie malienne rencontre est la faible légitimité des institutions. Devant l’obligation de proroger le mandat des députés, l’ancien ministre pense que le gouvernement devrait s’y prendre à l’avance, arguant que depuis trois à quatre mois, tout le monde savait qu’il serait difficile d’organiser des élections.
Dr Abdoulaye Sall : « IL FAUT S’ACCORDER SUR UNE COMPRÉHENSION COMMUNE, PARTAGÉE ET ACCEPTÉE DES ENJEUX »
Le président du Cercle de réflexion et d’information pour la consolidation de la démocratie au Mali (Cri-2002) soutient que quand on est dans un Etat de droit, on ne peut que saluer toute initiative gouvernementale allant dans le sens d’écouter les citoyens, d’autant plus que l’enjeu, le défi et les perspectives d’un tel exercice républicain résident dans ceux de la construction de la démocratie, de la décentralisation et de la bonne gouvernance.
Toutefois, tempère-t-il, comme la décision est arrêtée, et que les personnalités chargées de son pilotage sont connues, il s’agit maintenant de convenir, de s’assurer que ce dialogue soit national, inclusif, mais surtout constructif pour espérer sortir notre pays du cul-de-sac dans lequel il se trouve coincé depuis mars 2012. Notre interlocuteur insiste sur le fait que le processus doit être intitulé : «Dialogue national inclusif et constructif».
Selon le président de Cri 2002, il faudrait ensuite s’accorder sur une compréhension commune, partagée et acceptée des enjeux, des défis et perspectives par tous ceux qui devraient prendre part à ce dialogue. A ce titre, il recommande que les termes de référence à élaborer doivent être clairs, précis et surtout engageants sur le chantier dont le but est d’apporter de l’oxygène à la démocratie, à la décentralisation, à la bonne gouvernance dans notre pays en crise politico-institutionnelle et sécuritaire aggravée.
Dr Abdoulaye Sall plaide pour la participation, l’implication, la responsabilisation et la représentation de tous les citoyens, par des hommes et femmes d’envergure, de qualité, de convictions et d’ambitions pour un Mali prospère. Ces représentants peuvent être de la société politique, de la société civile, du secteur privé, des communautés locales et de la diaspora.
En outre, il a fait savoir que la tenue d’un tel dialogue national inclusif et constructif dans le contexte politico-institutionnel et sécuritaire actuel est une opportunité porteuse d’espérances pour la rencontre de la démocratie de participation (citoyens, institutions sociales, économiques, traditionnelles, coutumières, religieuses…) et la démocratie de représentation (élus, décideurs, institutions de la République, des collectivités territoriales…).
La démocratie, qu’elle soit de participation et/ou de représentation, développe le président de Cri 2002, s’affirme, s’assure, et s’assume, par l’exercice responsable et constructif de la citoyenneté, du civisme, et de la redevabilité. Et, la démocratie de représentation, ajoute-t-il, s’exerce par des personnalités que le peuple a élues pour 5 ans et qui doivent décider à sa place.
«Si les autorités politiques qui sont au pouvoir veulent impérativement un dialogue national inclusif, nous ne sommes pas au même niveau d’information, mais, nous nous sommes dans la participation. Je sais aujourd’hui, en tant qu’acteur de la société civile travaillant à la base, ce dont ont réellement besoin les populations maliennes, notamment rurales des villages et fractions, les plus nombreuses, c’est l’action, et l’action, c’est sur le terrain ce n’est pas dans les amphithéâtres, les salles des grands hôtels de Bamako», relève le président de Cri 2002.
Par ailleurs, il avoue ne pas émettre d’avis particulier sur le choix des personnalités désignées pour conduire le dialogue politique inclusif, souhaitant qu’elles puissent faire correctement leur travail avec une obligation de résultats.
Sur la question de la prorogation du mandat des députés jusqu’au 2 mai 2020, l’ancien ministre des Relations avec les institutions dit constater la non-adhésion d’une partie de l’opposition. Il réserve son opinion dans l’attente de la décision de la Cour constitutionnelle, conformément aux principes de l’Etat de droit et de la République. Qu’à cela ne tienne, Dr. Sall rappelle que la construction démocratique, surtout avec une Constitution comme la nôtre fondée sur la sécurité humaine, est bâtie sur trois valeurs, principes et règles intangibles : l’obligation de résultat, l’obligation de ne pas faire et l’obligation de négocier.
Pour lui, quand il est dit dans la Constitution que les mandats du président de la République et des députés, c’est pour 5 ans, il ne faut pas aller au-delà. Si le délai constitutionnel n’est pas respecté, suggère-t-il, il revient aux parties d’acter sur l’obligation de ne pas faire (s’abstenir de toute prise de position et/ou de décision unilatérale…) et sur l’obligation de négocier (négocier pour préserver, sauvegarder l’essentiel : le Mali Un et Indivisible). Il ajoute que c’est ce qui fait aussi de la rédévabilité (rendre compte) un principe fondateur, fédérateur, et intangible de la construction démocratique, notamment sur le chantier de la stabilité, de la pacification, de la paix, de l’unité, et de la réconciliation nationale. «Notre démocratie est de plain-pied dans l’ère de la rédévabilité. Il faut le savoir, il faut s’en convaincre et convaincre, il faut s’y plier», estime le président de Cri 2002, qui admet que ce qu’on pouvait faire de 1991 à 2002, de 2002 à 2012 et même de 2013 à 2018 sans consultation préalable, approfondie et acceptée des citoyens, n’est plus faisable maintenant. Selon lui, la décision des autorités d’annuler l’installation du siège de la Force conjointe du G5 Sahel au milieu des habitations à Badalabougou est là pour nous le rappeler.
Dossier réalisé par
Massa SIDIBÉ
et Dieudonné DIAMA
Source: L’Essor- Mali