En 2015, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Centre international pour le développement des politiques migratoires estimaient que 84% des migrants en provenance d’Afrique de l’Ouest partaient pour un autre pays de la région. Ces flux étaient même sept fois plus élevés que les départs d’Afrique de l’Ouest pour les autres zones du globe.
Des flux migratoires en hausse
Les questions économiques expliquent en grande partie ces mouvements migratoires. En 2018, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a mené un sondage pour mieux comprendre les facteurs de migration en Afrique de l’Ouest. Plus de 80% des personnes interrogées au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal ont répondu que, s’ils en avaient les moyens et l’opportunité, ils quitteraient leur pays pour trouver un meilleur travail ou gagner un salaire plus élevé, que ce soit pour eux-mêmes ou pour envoyer des fonds à leurs proches.
Outre les déplacements volontaires, les facteurs environnementaux comme le réchauffement climatique conduiront les populations du Sahel à quitter une région particulièrement frappée par les sécheresses et la désertification
D’après les estimations de la Banque africaine de développement (BAD), 2019 devrait être une nouvelle année de croissance économique pour la sous-région. Toutefois, cette croissance sera très probablement insuffisante pour satisfaire les attentes de millions de jeunes qui rejoignent chaque année le marché du travail. Par ailleurs, cette croissance pourrait même conduire à l’effet inverse et encourager les départs. Les données du Système européen d’analyse stratégique et politique mettent en évidence une relative corrélation entre hausse du Produit intérieur brut (PIB) en Afrique subsaharienne d’une part, et augmentation des mouvements migratoires au sein du continent, et en direction de l’Union européenne d’autre part.
Outre les déplacements volontaires, les facteurs environnementaux comme le réchauffement climatique conduiront les populations du Sahel à quitter une région particulièrement frappée par les sécheresses et la désertification. De nombreux éleveurs nomades sont obligés de se diriger vers les régions méridionales pour y trouver eau et terres fertiles. Cet exode peut être source de conflits avec les agriculteurs locaux comme au Nigeria où, selon Amnesty International, 3 600 personnes ont perdu la vie depuis 2016 dans des violences liées aux mouvements de transhumance.
Selon l’ONUDC, au moins 500 personnes meurent chaque année dans les parties nigériennes et algériennes du désert du Sahara, un chiffre probablement très en-deçà de la réalité
Les conflits armés qui frappent actuellement la région forcent également des millions de personnes à l’exil, au sein de leur propre pays ou dans les Etats voisins. Selon les chiffres de L’OIM d’août 2018, près de deux millions de personnes ont fui le nord-est du Nigeria, touché par les combats entre l’armée nigériane et le groupe terroriste Boko Haram. Le Mali, le Burkina Faso et d’autres pays du Sahel sont également confrontés à d’importants défis sécuritaires, et dans les années à venir l’ensemble de la région aura à sa charge des millions de réfugiés et de déplacés internes.
L’absence de voies migratoires sûres, un facteur d’insécurité
Les mouvements migratoires illicites constituent une menace sérieuse pour la sécurité en Afrique de l’Ouest. Qu’ils agissent à titre individuel opportuniste ou dans le cadre d’une organisation criminelle, nombreux sont ceux qui abusent des personnes qui souhaitent quitter leur pays. Malgré les efforts pour renforcer la sécurité aux frontières, le trafic de migrants reste une activité particulièrement lucrative. Avec un passage illégal des frontières plus difficile, les passeurs n’hésitent pas à extorquer aux migrants des sommes encore plus importantes. Les chiffres de l’Office des Nations unies pour la drogue et le crime (ONUDC) sont frappants. En 2013, le coût du trajet d’Agadez au Niger jusqu’à la ville libyenne de Sebha oscillait entre 100 et 300 dollars. En 2017, le même trajet coûtait entre 550 et 850 dollars.
Le Mali, le Burkina Faso et d’autres pays du Sahel sont également confrontés à d’importants défis sécuritaires, et dans les années à venir l’ensemble de la région aura à sa charge des millions de réfugiés et de déplacés internes
Les passeurs sont prêts à tout pour ne pas être appréhendés et n’hésitent pas à emprunter des routes particulièrement dangereuses, voire mortelles pour les migrants. Selon l’ONUDC, au moins 500 personnes meurent chaque année dans les parties nigériennes et algériennes du désert du Sahara, un chiffre probablement très en-deçà de la réalité. Le nombre de victimes d’exploitation sexuelle et de travail forcé est également significatif.
Il est encore trop tôt pour indiquer précisément les connexions entre trafic de migrants, traite des êtres humains et terrorisme. Néanmoins, certains groupes djihadistes qui opèrent dans le nord du Mali sont soupçonnés de recourir au trafic de migrants pour financer leurs actions, même s’il est difficile d’évaluer précisément les sommes perçues en l’absence de suffisamment de données fiables. En outre, parmi les migrants, les femmes et enfants sont particulièrement vulnérables face au recrutement et à l’exploitation sexuelle. Les liens entre trafic et exploitation de migrants avec d’autres crimes transnationaux comme le terrorisme mais également le trafic de drogues et d’armes constituent de réelles menaces pour la région. La mise en place de voies migratoires sûres et légales apparaît ainsi essentielle pour la stabilité et la sécurité en Afrique de l’Ouest.
Les migrants, acteurs du développement économique
Des voies migratoires sûres peuvent non seulement être un moyen pour lutter contre la criminalité transnationale, mais elles contribuent aussi au développement de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). En 2018, l’OCDE et l’Organisation internationale du Travail indiquaient que pour l’instant les mouvements migratoires n’ont pas eu de réel impact – positif ou négatif – sur l’économie des pays en développement. Mais les organisations regrettent des « occasions manquées » dans la mesure où l’immigration constitue « pour nombre de pays une composante essentielle de l’avenir de l’emploi », et appellent les Etats à prendre pleinement en compte l’immigration dans leurs politiques de développement. Travailleurs, étudiants, entrepreneurs, consommateurs et/ou contribuables potentiels : les migrants ont sans aucun doute un rôle à jouer pour l’économie de leur pays d’accueil.
En 2013, le coût du trajet d’Agadez au Niger jusqu’à la ville libyenne de Sebha oscillait entre 100 et 300 dollars. En 2017, le même trajet coûtait entre 550 et 850 dollars
Depuis l’étranger, les migrants envoient des fonds à destination de leur pays d’origine alimentant ainsi directement l’économie locale. La Banque mondiale estime qu’en 2018, l’Afrique a reçu 45 milliards de dollars sous forme d’envois de fonds, la moitié d’entre eux pour le Nigeria uniquement. La moitié des dix principaux Etats africains récipiendaires de fonds sont membres de la CEDEAO. Ces revenus sont particulièrement importants pour certains pays : ils comptent pour 20% du PIB de la Gambie, autour de 13% de celui du Cap Vert, du Liberia ou du Sénégal et entre 6 et 8% des PIB nigérian, ghanéen et togolais.
Ainsi, les Etats d’Afrique de l’Ouest pourraient être les principaux bénéficiaires d’une facilitation des mouvements au sein de la CEDEAO. En 1979, les Etats membres ont adopté le protocole A/P.1/5/79 sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement. Mais en réalité, nombreux sont les obstacles pour circuler vers un autre pays de la zone et y travailler. Si la CEDEAO a définitivement aboli les visas pour ses ressortissants, obtenir des documents de travail peut relever du parcours du combattant et la corruption gangrène toujours certains postes frontières. Quant au droit de résidence et d’établissement, plusieurs pays doivent encore insérer dans leur droit national les dispositions du protocole pour parvenir à une harmonisation régionale.
Les Nations unies prévoient que la population en Afrique de l’Ouest doublera d’ici à 2050 pour atteindre 810 millions d’habitants. Au-delà des crises ponctuelles, la continuité des flux migratoires dans la région requiert des Etats et de leurs partenaires internationaux de nouvelles voies de mobilité adaptées, légales et sûres. Les migrants pourront ainsi jouer le rôle qui leur incombe dans le développement, la croissance économique et l’intégration régionale. A défaut, tout effort pour contenir la migration illégale sera vain, au détriment de la sécurité et du développement au Sahel et dans le Golfe de Guinée.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que son auteur. Elles ne reflètent pas nécessairement les vues et politiques de l’employeur, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, et n’engagent en aucun cas sa responsabilité.