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Déplacés par la guerre, les enfants sacrifiés de l’école

Oumou Tomboura a neuf ans. Dans un monde idéal, elle devrait avoir des années d’école derrière elle, savoir lire, écrire, compter. Mais il n’en est rien, et mardi, jour national de rentrée au Mali, Oumou ne s’est pas assise sur un banc de classe.

Elle était bien assise, certes, mais à broyer des oignons et des tomates pour le prochain repas sur une natte posée à même le sol, à Ségou, où sa famille a trouvé refuge après avoir fui la guerre.

Dans ce centre du Mali situé au coeur du Sahel embourbé dans un conflit qui ne cesse de s’aggraver depuis 2012, l’éducation est devenue un luxe.

La région est en proie aux agissements de djihadistes peuls et à des violences communautaires qui ont fait des centaines de morts depuis 2015.

“Evidemment, j’aimerais bien qu’elle aille à l’école, mais ce n’est pas possible”, raconte Fatouma Dja, 29 ans, la mère d’Oumou. Il y a six mois, elle a fui le village de Mamba, près de Mopti. Malienne parmi des centaines de milliers d’autres déplacés par des années de violences. Avec ses trois enfants, elle a trouvé refuge à environ 200 km de là, à Ségou, une des principales villes du centre, qui n’est pas encore touchée par la guerre.

“Quand Oumou a eu l’âge d’aller à l’école à Mamba, les djihadistes sont venus menacer les instituteurs, et l’école a fermé. Alors elle n’y est jamais allée”, relate avec lassitude sa mère, qui porte son dernier bambin, âgé d’un an, sur son dos.

Dans un pays pauvre et éprouvé, avec un système public en déliquescence, la réintégration de ces milliers d’enfants déracinés est longue et difficile. Mardi à Segou, où se sont réfugiés plus de 20.000 habitants, aucune école n’a accueilli d’enfants de déplacés pour la rentrée.

– L’illettrisme au bout des sermons –

“Il faut que les déplacés viennent s’inscrire chez nous et qu’on les oriente vers une école qui pourrait les accueillir”, explique Abdoulaye Diallo, du Comité d’action pédagogique (CAP) de Ségou, organisme qui supervise l’éducation primaire.

Fatoumata Dja n’a pas été informée et la rentrée a eu lieu sans sa fille.

De toute façon, elle fait ses comptes. Entre les habits neufs, les chaussures, les fournitures, “il faudrait 50.000 francs (CFA, 76 euros), je ne les ai pas”, admet-elle en baissant les yeux.

La rentrée ne sera pas meilleure pour ceux qui sont restés au village. Dans la seule région de Mopti, la plus touchée par les incursions du groupe djihadiste du prédicateur peul Amadou Koufa et les attaques de groupes autoproclamés d’autodéfense, une école sur trois a fermé.

Sur les 920 écoles fermées au Mali à cause du conflit, plus des deux tiers se trouvent dans ces trois régions du centre (Mopti, Ségou et Koulikoro).

A l’Académie de Ségou, Itous Ag Ahmed Iknan, le directeur régional, brandit un courrier: “Regardez, encore une école qui ne pourra pas ouvrir ! C’est une lettre que j’ai reçue de Souba, juste de l’autre côté du fleuve, qui nous signale que huit djihadistes sont venus la semaine passée prêcher pendant cinquante minutes”.

“Dans leurs prêches, ils demandent que les écoles ferment, rapporte-t-il. Il faut que l’armée revienne, que la zone soit sécurisée, sinon les écoles ne rouvriront pas”.

– Exode pédagogique –

Pour le chercheur Modibo Galy, chercheur malien à l’Université de Leyde (Pays-Bas) et spécialiste du centre du Mali, “les écoles sont pour le groupe d’Amadou Koufa l’incarnation de la culture occidentale, c’est un symbole des occidentaux qu’ils combattent”.

“A cela s’est ajouté le fait que les enseignants sont des fonctionnaires parfois extérieurs à la région. On a pu les soupçonner de renseigner l’armée, d’être des espions”, ajoute-t-il. Alors les enseignants sont partis un par un.

Dans les trois pays du Sahel touchés par une crise multiforme, le Burkina Faso, le Niger et le Mali, le nombre d’écoles fermées à cause de la violence a été multiplié par six en deux ans, selon l’ONU.

Au Mali, face à la crise, le gouvernement et les organisations internationales ont redoublé d’imagination: des cours à la radio, une formation d’enseignants sur tablettes, un accent mis sur le psychosocial pour répondre aux traumatismes des enfants, des centres d’apprentissage montés de toutes pièces dans des camps ou villages…

“Les solutions doivent être locales et étudiées au cas par cas”, estime Eliane Luthi, porte-parole à Bamako de l’Unicef, l’organisation de l’ONU pour l’enfance. A Ségou, une ONG locale a recensé les besoins pour distribuer plus tard le matériel scolaire et permettre aux enfants déplacés de rejoindre les autres à l’école en cours d’année.

Fatoumata Dja compte là-dessus. “On espère que les partenaires vont nous aider!”, dit-elle en regardant sa fille jouer avec d’autres enfants déplacés.

Avec AFP

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