Face aux difficultés dans l’application de ce Règlement, le Mali, une fois de plus, jouera au mauvais élève, dans l’application effective de la mesure fixée au 1er juillet 2020 par l’Union Economique et Monétaire Oust Africaine (UEMOA).
La surcharge des véhicules est un phénomène transnational aux conséquences dévastatrices pour les routes. Ce qui a amené l’UEMOA, en 2005, a adopté le Règlement n°14/2005/cm/Uemoa relatif à l’harmonisation des normes et des procédures du contrôle du gabarit, du poids, et de la charge à l’essieu des véhicules lourds de transport de marchandises. Au Mali comme dans la plupart des pays membres de l’Union, la mesure peine à entrer en vigueur.
L’objectif principal du Règlement n°14/2005/cm/Uemoa relatif à l’harmonisation des normes et des procédures du contrôle du gabarit, du poids, et de la charge à l’essieu des véhicules lourds de transport de marchandises, est de préserver les infrastructures routières et de contribuer à la durabilité des investissements réalisés. Malheureusement 15 ans après son adoption (2005), son application effective dans les pays membres de l’Union est confrontée à de sérieux problèmes. Après 15 ans d’atermoiements et une application parcellaire, l’UEMOA n’arrive pas à imposer l’entrée en vigueur dans tous les pays, cette disposition sensée rallonger la vie des routes.
Interrogé sur la question, le Directeur national des routes, Mamadou Naman Kéïta explique : « Dans la dynamique de l’évolution de l’économie, des opérateurs économiques ont acquis des engins pour exercer leur profession. Quand l’article 14 du règlement de l’UEMOA est arrivé, les autorités avaient conscience qu’il faut appliquer le règlement, mais qu’il faut des mesures d’accompagnement pour permettre à ceux qui ont acquis des véhicules avant l’adoption du règlement puissent renouveler leurs parcs auto. Ces mesures ne sont pas encore entièrement opérationnelles dans presque tous les pays de l’espace UEMOA ». Et d’ajouter « dans tous les cas, les transporteurs doivent comprendre qu’un engin qui roule sur une route dégradée est dangereux pour le propriétaire. La sensibilisation est en cours, mais en un moment donné il va falloir exiger le respect de force ».
L’Etat malien fait semblant de travailler mais, ne travaille pas !
S’agissant des mesures d’accompagnement pour la mise en œuvre du règlement 14, le comportement irresponsable de l’Etat est dénoncé au niveau de la CGTTFM. Pour le 1er vice-président de cette faitière des transporteurs, c’est du théâtre ! « L’Etat malien fait semblant de travailler, mais ne travaille pas. Normalement, c’est les Maliens qui doivent faire une course contre la montre pour la mise en application de ce règlement 14. Mais, c’est le contraire. C’est les Maliens qui cherchent toujours le moratoire car l’Etat n’est pas prêt. Le gouvernement ne fait pas ce qu’il doit faire. Il y a des mesures d’accompagnement que l’Etat malien n’est pas prêt à faire », vocifère-t-il.
Selon lui, la mesure phare, c’est le renouvellement du parc véhicule. Sur ce sujet, notre interlocuteur affirme que l’Etat n’a même pas conscience de cela, car ce n’est pas dans sa politique. Autre mesure, c’est la construction de magasins pour décharger les camions qui seront en surcharge.
« Rien de tout cela n’a été fait. L’Etat fait semblant de travailler alors qu’il ne travaille pas. A partir du moment où, les mesures d’accompagnement ne sont pas en place, quand tu veux appliquer le règlement en juillet 2020, date de rigueur, je veux bien, mais il faut être un magicien pour le faire. C’est deux choses : soit mettre en place toutes ces mesures d’accompagnement pour aller à l’application, ou bien sacrifié les transporteurs maliens, et nous sommes entrain d’aller vers ce dernier cas. Les transporteurs maliens seront sacrifiés au profit des transporteurs sénégalais, ivoiriens qui ont renouvelé leurs parcs véhicule. Eux ils vont faire le travail », prévient le 1er vice-président de la CGTTFM, M. Malick Boubou Diallo. Et de conclure : « aller à l’application du règlement 14 en juillet, dans ces conditions, ce n’est ni plus, ni moins, une manière intelligente d’éliminer les transporteurs maliens au profit de ceux des pays limitrophes. Aujourd’hui, quand tu vois un bon véhicule remorque propre, il appartient aux Sénégalais ou aux Ghanéen », soupire-t-il.
En plus de ces difficultés d’ordre organisationnel, les transporteurs jugent les montants des sanctions trop élevés. Les amendes ont trait aux : infractions aux normes de gabarit résultant du chargement du véhicule. Toute infraction aux normes de gabarit résultant exclusivement du chargement du véhicule est sanctionnée d’une amende de cent mille (100000) francs CFA, à la charge de l’exploitant du véhicule ; aux infractions aux normes de gabarit résultant des caractéristiques techniques du véhicule. Toute infraction aux normes de gabarit résultant exclusivement des caractéristiques du véhicule est sanctionnée d’une amende de cinq cent mille (500000) francs CFA, à la charge du propriétaire du véhicule.
Aussi tout excédent de poids à l’essieu par rapport aux normes de limitation édictées à l’Article 5 du présent Règlement est sanctionné d’une amende de vingt mille (20000) francs CFA par tonne excédentaire à l’essieu présentant l’excédent le plus élevé entre tous les essieux du véhicule, pour un transport national;-soixante mille (60000) francs CFA par tonne excédentaire à l’essieu présentant l’excédent le plus élevé entre tous les essieux du véhicule, pour un transport international.
D’autres amendes comme celles pour « fraude avérée au poste fixe », au refus délibéré de passer sur le pont bascule ou sur le pont essieu figurent parmi la liste des sanctions pour non-respect de la voie publique, des normes de limitations de gabarit, de poids et de charge à l’essieu etc.
La mesure est déjà officiellement entrée en vigueur au Mali, en Avril 2017, puis suspendu sous la pression des transporteurs pour les raisons évoquées ci-dessus. « Aujourd’hui, samedi 1er avril, je déclare officiellement lancé le Règlement 14 dans son application intégrale et effective. A partir d’aujourd’hui, tous les gabarits, tous les poids et toutes les charges à l’essieu devront être conformes au Règlement 14 », avait déclaré le ministre de l’équipement et des transports, Mme Traoré Zeynabou Diop, dans les colonnes du quotidien national.
Du coté du bureau de la représentation de l’Uemoa à Bamako, notre demande d’audience est restée lettre morte. Toutefois, au regard des atermoiements, l’UEMOA est jusqu’ici incapable de faire appliquer le Règlement dans les différents pays.
Le Mali, de part sa position continentale, est desservi par des routes appelées corridors dont les principaux sont : corridor Bamako-Bougouni-Sikasso qui a deux voies Sikasso-Zégoua (frontière Côte d’Ivoire) et Sikasso-Hèrèmakono (frontière Burkina Faso) ; le corridor Bamako-Kolokani-Djidjéni-Kidira (frontière Sénégal), ce corridor est appelé Bamako-Dakar par le nord ; il y a l’axe Kati-Kita-Kéniéba jusqu’à la frontière du Sénégal communément appelée Corridor Bamako-Dakar par le sud. Il y a aussi le corridor Diéma-Nioro à la frontière de la Mauritanie. Les axes routiers permettent au Mali de se ravitailler chez ses voisins. Depuis des années, on constate avec amertume, la dégradation sauvage de ce réseau routier, mettant en mal, le secteur du transport routier et au-delà, l’économie du pays. Aujourd’hui, il souffle un vent de révolution dans plusieurs localités du pays. Les populations riveraines des routes Kati-Kolokani-Diema-Kayes, frontière Sénégal ou de Kati-Kita-Kéniéba, ont, à travers des actions fortes, dénoncé, en 2019, le très mauvais état du réseau routier. Contraignant le gouvernement à signer des accords.
Plusieurs facteurs sont évoqués dans la détérioration de ces corridors. Il s’agit entre autres de la qualité des routes elles-mêmes qui mise en cause et les surcharges des camions.
Les transporteurs routiers accusent, l’Etat réfute !
Au sein de la Confédération Nationale des Transporteurs Routiers, le coupable c’est l’Etat et ses services qui ne construisent pas de routes de qualité.
Pour le 1er vice-président de la confédération générale des transporteurs terrestres et fluviaux du Mali, Malick Boubou Diallo, tenir la surcharge des camions pour responsable de la dégradation des routes est un faux problème. C’est la qualité même des routes, dit-il, qu’il faut mettre en cause. « Quand on fini de faire une route, avant même la réception, la route est dégradée. Quand tu prends l’épaisseur d’une route ici au Mali, il reste à savoir si ça vaut 10 cm, or ça doit avoisiner les 20 cm. Mais on se cache derrière tout ça pour accuser les camions de surcharge. C’est un faut problème. D’abord c’est la qualité des routes, elles ne sont pas bien conçues. A coté de ce facteur, s’y ajoute la surcharge, sinon la cause principale, c’est la qualité des routes », se défend Malick Boubou Diallo, 1er vice-président de la CGTTFM.
Pour le directeur national des routes, Mamadou Naman Kéïta, non moins ingénieur des constructions civiles, l’argument selon lequel, les routes sont mal faites est un argument trop facile. « Il faut respecter le tonnage et vous verrez si les routes sont bien faites », déclare M. Kéïta.
Selon lui, tous ces corridors ont été aménagés suivant des standards d’aménagement imposés par les partenaires techniques et financiers. « Si vous prenez le corridor Bamako-Dakar par le nord, il a été aménagé totalement grâce à une subvention de l’Union Européenne. Mais il a été aménagé avec un standard à l’époque qui devrait répondre au maximum à 350 véhicules par jour. Par exemple l’axe Bamako-Dakar par le nord avant que ça ne se dégrade, le nombre de véhicules par jour passait de l’ordre de 7000, 8000 ou 10.000 véhicules/jour, par endroit. Une route qui a été construit pour répondre à un besoin de trafic de 350 véhicules/jour se retrouve avec 10.000 véhicules/jours », explique le directeur national des routes avant de reconnaître que les corridors ont été aménagés avec des standards qui sont devenus aujourd’hui obsolètes car il y a un développement exponentiel de l’activité économique.
L’autre point évoqué par le directeur national qui a évolué sur ce corridor, c’est l’arrêt des activités du chemin de fer qui s’occupait d’amener dans les pays de tonnages lourds. Tout ce tonnage lourd, dit-il, a été basculé sur la route.
« Le trafic a évolué sur nos routes premièrement du point de vu du nombre de véhicule et deuxièmement du point de vu charge que les véhicules transportent. Tout cela mis ensemble a fait que nos corridors qui étaient aménagés avec des standards d’aménagement extrêmement légers ont connu une dégradation prématurée », explique M. Kéïta.
Il regrette que cette intense activité sur les routes ne soit pas soumise au contrôle de la charge à l’essieu à savoir l’application effective du fameux Règlement 14 de l’UEMOA qui limite les charges des véhicules. « Au lieu de 11,5 tonnes réglementaires, des charges à l’essieu roulent sur les routes maliennes avec 40, 50 ou 70 tonnes à l’essieu », regrette le premier responsable des routes au Mali.
Sur le plan économique, la dégradation des routes notamment les corridors est une grosse perte pour l’économie du pays, mais aussi et surtout une perte en premier lieu pour les transporteurs eux-mêmes. Ce sont des dizaines voir des centaines de milliards de nos francs qui sont engloutis dans l’entretien et la reconstruction des axes dégradés. Au niveau de l’Autorité Routière Fonds d’entretien routier (AR-FER), la facture est salée. Selon la Directrice générale, Mme Lala Koïta, de 2018 à 2019, ce sont plus de 50 milliards qui ont été investis dans l’entretien routier. Du côté des transporteurs, les dégâts sont incommensurables. En 2019 par exemple sur l’axe Bamako-Kayes-Dakar, c’était un gros porteur qui tombait par jour. « La plupart des transporteurs n’ont pas accès aux banques, quand le véhicule tombe c’est fini pour vous », affirme M. Malick Boubou Diallo, 1er vice-président de la CGTTFM.
Daouda T Konaté
Source: L’Investigateur