Ce matin, je ne parle pas des combats entre l’armée congolaise et le M23 avec le soutien du Rwanda et son lot quotidien de morts. Je ne parlerais pas non plus du départ des forces françaises du Tchad. Mais, il sera question du désamour entre la Cédéao et l’AES.
La bataille culturelle
Depuis le 9 janvier 2022, les projecteurs sont braqués sur le Mali. La raison : le pays de Modibo Keïta rejette les sanctions économiques et financières, prescrites par la Cédéao pour non-respect du calendrier électoral. C’est le point de départ d’une fronde qui ne tardera pas à faire des émules. À la faveur du putsch d’Ibrahim Traoré en septembre 2022 et de celui d’Abdourahamane Tiani en juillet 2023, le Burkina-Faso et le Niger rallient le Mali dans son opposition contre la Cédéao.
Le 16 septembre 2023, le Mali, le Burkina-Faso et le Niger créent l’Alliance des États du Sahel, AES, dont l’objectif est d’assurer leur sécurité. En lutte contre le narcoterrorisme, les chefs d’État des trois pays engagent une bataille culturelle. Au sens Gramscien du terme, cette bataille culturelle impactera malheureusement les rapports entre la Cédéao et l’AES.
Les exécutifs de l’AES réussissent à faire converger les opinions des populations dont les intérêts économiques et politiques sont sociologiquement antagoniques. Ceci dit, la rupture devient inévitable dans un contexte où les réseaux sociaux sont devenus les principaux canaux bactériens de la division. Partout, on se désaime.
Un dernier geste de solidarité
Le 6 juillet 2024 avec un thermomètre affichant 35°C, la ville de Niamey devient le point zéro des discussions scellant la future alliance entre les trois pays. L’AES fait sa mue dans la ville des odeurs des épices du grand marché invitant à déguster le Faccouhoye, ce savoureux plat du pays de Diori Hamani. À Niamey, sur les bords du fleuve Niger, l’AES est rebaptisée la Confédération de l’Alliance des États du Sahel. Une nouvelle architecture dans laquelle les populations espèrent mieux vivre. L’AES ne doit pas être une variante de la Cédéao.
En attendant, l’AES incarne l’impossible réconciliation entre les dirigeants ouest africains. La rupture est irréversible. Le 29 janvier 2025, clap de fin. D’engrenage en engrenage, le divorce est consommé entre l’AES et la Cédéao. Mais, par solidarité avec les populations, la Cédéao reconnaît « jusqu’à nouvel ordre les passeports et cartes d’identité nationaux portant le logo de la Cédéao détenus par les citoyens » de l’AES. Pas d’inquiétude. Officiellement ! Les uns se libèrent. Les autres se prosternent. Ainsi va l’Afrique ! La nuit enveloppe le rêve d’unité africaine.
Amélioration des conditions de vie
Mais, l’évolution du conflit entre la Cédéao et l’AES permet de mieux comprendre les difficultés des États africains à réaliser un projet de paix. En premier lieu, les dirigeants africains peinent à faire vivre l’idéal fondateur des luttes africaines pour les indépendances, celle de l’unité. Les conflits de positionnement géostratégique engloutissent le projet d’unité africaine : se défaire des liens coloniaux et construire les Etats-Unis d’Afrique.
Il s’est évaporé. Le glorieux passé historique, les riches réseaux de solidarité et d’échanges socioéconomiques sont rarement interrogés pour résoudre les crises actuelles. Conséquence : l’intensité des tensions agit comme un poison qui infuse les victimes. En deuxième lieu, les ressorts démocratiques, comme la consultation, sont rarement mobilisés pour créer les conditions d’une entente. Tout se joue sur un fatras de discours, serinés çà et là. Pourtant, notre devoir de génération à Lagos comme à Niamey, à Cotonou comme à Ouagadougou, à Dakar comme à Bamako nous enjoint de redonner sens à l’avenir de la jeunesse africaine dont l’amélioration des conditions de vie demeure le passage obligé.
Concluons. Certes, le divorce est prononcé. Demain, sur les blessures de la Cédéao et de l’AES, une autre organisation poussera, celle de l’amitié. Le jour se lèvera sur le continent et chacun contribuera à écrire l’histoire de l’Afrique postcoloniale dans un 21eme siècle où les ressources des États déterminent leurs capacités d’action.
Mohamed Amara
Sociologue
Source: Mali Tribune