Boubacar Haidara, professeur à l’université de Ségou (Centre du Mali) et chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM) à l’université Bordeaux-Montaigne, décrypte pour Apa news les conséquences éventuelles de la suspension, annoncée jeudi, par la France de sa coopération militaire avec le Mali. .
La décision française, annoncée jeudi 3 juin par un communiqué du ministère des Affaires étrangères, de suspendre sa coopération militaire avec le Mali est-elle une surprise?
On savait que la France n’avait pas apprécié ce que le président Emmanuel Macron a qualifié dans un entretien publié dans la dernière édition du Journal du Dimanche de « coup d’état dans le coup d’état ». Il faisait allusion au renversement le 24 mai du président de la transition Bah Ndaw et son premier ministre Moctar Ouane qui étaient censés conduire le Mali vers des élections générales destinées à normaliser la vie politique après le renversement en août dernier, par le même groupe d’officiers, du président Ibrahim Boubacar Keïta dit IBK.
Dans le même entretien, le chef de l’Etat français a certes menacé de retirer ses troupes, si jamais les putschistes ne respectent leur promesse d’organiser une transition démocratique conformément au calendrier déjà fixé, ou s’ils étaient tentés par un glissement vers « l’islamisme radical », selon ses propres mots.
Cependant, depuis les décisions prises par la Communauté des Etats Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union africaine (UA) de suspendre le Mali de toute activité au sein de leurs instances, les autorités françaises avaient affirmé qu’elles se rangeaient derrière les positions de ces deux organisations africaines.
L’annonce faite jeudi, 3 juin, dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères français de la suspension de la coopération entre les armées des deux pays, qui combattent les groupes jihadistes dans le nord du Mali depuis 2013, n’était donc pas attendue, malgré les propos musclés tenus par le président français le weekend dernier. A Bamako, ces propos avaient été perçus davantage comme un coup de pression supplémentaire sur les putschistes pour remettre le pouvoir aux civils au plus vite que comme une idée sérieusement envisagée par les autorités françaises. Cette décision est, donc, une vraie surprise.
Quelles seraient les conséquences éventuelles d’une telle décision sur le terrain.?
Même si la France se garde pour l’instant d’annoncer un retrait prochain de ses 5100 soldats engagés contre les jihadistes au Mali et dans le reste du Sahel, elle coupe toute coopération sur le terrain avec l’armée malienne. Cette décision qui signifie que l’opération Barkhane agira désormais en solitaire sur le terrain, est accompagnée par l’arrêt immédiat de toute aide aux forces armées et de sécurité maliennes, y compris dans le cadre de Takuba, la «task force» composée de forces spéciales dédiées à l’accompagnement au combat les unités maliennes Qui est aussi suspendue. Une décision qui risque d’avoir un impact lourd sur les militaires maliens sur le terrain. Ils se retrouvent désormais démunis face à des combattants jihadistes de plus en plus nombreux et violents. Autant dire que cette décision française est pleine de risque pour le Mali et le Sahel. Elle risque d’ouvrir un grand boulevard pour les jihadistes qui n’ont toujours pas renoncé à leur projet initial de prendre le contrôle de tout le pays.
Que peuvent faire les militaires maliens après une telle suspension de la coopération française?
Leurs choix sont limités. Un des scénarios extrêmes mais pas impossible est que les putschistes, qui ont toujours affirmé être disposés à discuter avec les jihadistes, s’engagent dans la voie d’un rapprochement avec ces derniers. A défaut d’un accord de paix en bonne et due forme, ils pourraient envisager de faire des concessions majeures pour obtenir au moins un cessez-le-feu. Des contacts existent entre les deux parties. Des membres du Haut Conseil islamique, qui est un organe étatique, sont en relations avec des leaders maliens du Groupe pour le soutien de l’Islam et des Musulman, plus connu par son acronyme en langue arabe Jnim.
Les putschistes pourraient aussi vouloir remplacer l’armée française par celle d’une autre puissance comme la Russie ou la Turquie, dont les ambitions en Afrique sont de plus en plus affichées.
Ces deux scénarios ne s’excluent pas mutuellement. S’ils venaient à être traduits dans les faits, ce serait non seulement dangereux pour le Mali et la sous-région sahélienne. Cela signifierait aussi l’échec pure et simple de l’intervention militaire française au Mali.
Source : APA