A quatre jours du 22 septembre, date anniversaire de notre indépendance, le colonel Assimi Goïta dirige le Mali à l’image du colonel Nigérien Salou Djibo (45 ans), qui, à la tête du CSRD, Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie, dépose le 18 février 2010 le président Mamadou Tandja. Pour le CSRD, il fallait sauver “… le Niger et sa population de la pauvreté, de la tromperie et de la corruption…”.
Accord de gouvernance, cadre de concertation, cadre de suivi, comité de suivi, commission nationale, conseil national, recommandation, refondation, renforcement, revitalisation, etc., sont quelques notions, servies en toutes circonstances au Mali, pour légitimer un discours ou une action. Mais, l’écart entre l’usage abondant de ces notions et leur impact réel et concret dans la société est titanesque. A cause de leur “désancrage” et du conformisme politique de ceux qui les utilisent. Ce qui n’a cessé d’aggraver le mal être des citoyens, ceux-là que l’on appelle souvent dédaigneusement les gens, le petit peuple. Et parmi ces notions, la plus galvaudée est celle de refondation, qui peut dire tout et son contraire.
Mais que signifie-t-elle ?
La notion de refondation est utilisée pour “…désigner l’action par laquelle on cherche à renouveler les principes sur lesquels reposent une organisation, un système…”. Refonder l’école, la justice, la santé, l’armée, c’est les bâtir sur de nouvelles bases, fonder de nouveau. Par exemple, un Malien d’Abeibara, Kourémalé ou Gounambougou doit bénéficier des mêmes accès aux soins de santé que celui de Bamako. Ni l’origine sociale, ni le statut ne doivent prévaloir dans l’accès aux soins de santé. De ce point de vue, la notion de refondation signifierait bien l’idée selon laquelle on rénoverait les systèmes institutionnels pour plus d’égalité et de justice grâce à un volontarisme politique.
A ce propos, la politique au sens noble du terme, perçue comme une activité, doit produire des résultats concrets pour réduire les disparités territoriales. De ce fait, refonder implique une remise en question de la fonction même de l’homme politique. La nature des rapports entre l’homme politique et le citoyen sont modifiés, et un nouveau contrat politique est écrit pour règlementer la vie politique actuelle, tant affaissée par cette hémorragie démocratique dont les politiques sont les premiers responsables. Malheureusement, ce même phénomène d’affaissement démocratique existe chez nos voisins. En Guinée-Conakry comme en Côte d’Ivoire, les réformes constitutionnelles pour un 3eme mandat deviennent un refuge pour refuser de laisser la place et garder le pouvoir. L’exacerbation des tensions, liée à ces 3emes mandats, peut être un terreau favorable à des situations d’explosion sociale.
En attendant, un mois après la démission du président IBK à Kati, et malgré l’injonction de la Cédéao pour une transition civile, le CNSP amorce la période transitoire (18 mois). A quatre jours du 22 septembre, date anniversaire de notre indépendance, le colonel Assimi Goïta dirige le Mali à l’image du colonel Nigérien Salou Djibo (45 ans), qui, à la tête du CSRD, Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie, dépose le 18 février 2010 le président Mamadou Tandja. Pour le CSRD, il fallait sauver “… le Niger et sa population de la pauvreté, de la tromperie et de la corruption…”. Le coup d’Etat de Salou Djibo fait trois morts (militaires), et a été condamné par la communauté internationale : UA, Cédéao… Deux fois le cadet du président déchu Mamadou Tandja (72 ans), Salou Djibo, formé aussi en Chine et au Maroc, évince Tandja à cause de la modification de la constitution par ce dernier pour rester au pouvoir au-delà de la limite d’âge. Devenu le chef de l’Etat nigérien pour une transition d’un an, Salou Djibo remet le pouvoir aux civils en organisant l’élection présidentielle de 2011, remportée par Mahamadou Issoufou, actuel président du Niger. En retraite anticipée de l’armée depuis 2019, Salou Djibo est de retour de nouveau dans les jeux politiques. Il est candidat de son parti, Paix Justice Progrès (PJP), à la présidentielle nigérienne de décembre prochain.
La ressemblance entre Salou Djibo et Assimi Goïta est troublante. Ils sont tous les deux colonels à leur prise de pouvoir, seulement avec huit ans d’écart. Le colonel Assimi Goïta, du haut de ses 37 ans, à la tête du CNSP écarte IBK du pouvoir le 18 août dernier, 75 ans, deux fois son aîné. Assimi Goïta met fin au régime d’IBK à cause de la mauvaise gestion et du dialogue de sourd entre la majorité présidentielle et le M5-RFP. Au moment du coup de force, Assimi Goïta commandait le bataillon Autonome des Forces Spéciales et des Centres d’Aguerrissement, crée en mai 2018 pour lutter contre “…le terrorisme sous toutes ses formes…”. Formé au Prytanée militaire du Mali, il a poursuivi sa formation militaire aux Etats-Unis et en France.
Officier supérieur comme Salou Djibo, Assimi Goïta a opéré un coup de force en souplesse (4 morts civils). Dans son adresse à la nation du 19 août 2020, le CNSP de Goïta annonce que : “…Nous ne tenons pas au pouvoir, mais à la stabilité du pays qui nous permettra d’organiser dans les délais raisonnables consentis des élections générales pour permettre au Mali de se doter d’institutions fortes, capables de gérer au mieux notre quotidien et restaurer la confiance entre les gouvernants et les gouvernés …”. Le CNSP de Goïta veut mettre fin à la gestion familiale des affaires de l’Etat, au clientélisme politique, la gabegie, le vol et l’arbitraire, etc. Comme Salou Djibo, le putsch de Goïta a été condamné par la communauté internationale, en l’occurrence la Cédéao, avec l’injonction d’un retour à l’ordre constitutionnel dans un délai d’un an. Mais les contextes de prise de pouvoir par Goïta et Djibo sont différents.
En 2010, quand Salou Djibo devient chef d’Etat nigérien, ni le Niger ni le Mali n’étaient submergés par la déferlante narcoterroriste (Amara : 2019). Certes, Aqmi sévissait déjà : assassinat de quatre touristes français en 2007 en Mauritanie, annulation du Rallye Paris-Dakar en 2008, enlèvement et exécution du Français Michel Germaneau au Niger en 2010 par Aqmi, enlèvement de quatre employés d’Areva et de Vinci à Arlit (Niger) en septembre 2010 (libérés en 2013). C’était le contexte géopolitique dans le lequel s’est déroulé le coup d’Etat du Nigérien Salou Djibo. Alors que celui du Malien, Assimi Goïta, s’est passé dans un contexte de dégradation sécuritaire et d’exacerbation des tensions entre les populations. Passés en zone rouge, le Niger et le Mali sont infestés aujourd’hui par les groupes narcoterroristes. Le Sahel est devenu une sorte de Far West. La désespérance a envahi les populations. La présence de Barkhane, Minusma, et des Armées nationales n’a pas encore permis de ramener la paix à cause des difficultés de coopération, et de l’impuissance des politiques.
Enfin, le temps presse pour changer le Mali, si on est tous d’accord que seul le mieux vivre des citoyens nous anime. L’armée n’est pas la jungle, le politique ne résout pas tout. Goïta doit retrouver le chemin du Nigérien, Salou Djibo, pour redorer le blason du Mali.
Mohamed AMARA
Sociologue
Source: Mali Tribune