A quoi ressemblent les nuits d’Ibrahim Boubacar Keïta depuis le 5 juin dernier ? Quelles pensées agitent son esprit depuis cette date ? Quels peuvent être les états d’âme d’un Chef d’Etat dont plus d’un million de ses concitoyens ont bravé à la fois la canicule, les risques de choper un virus qui, en moins d’un semestre, a plongé des millions de malades dans l’anxiété de la mort et surtout enlevé la vie à près de quatre cent mille (400.000) personnes, pour réclamer » sa démission et celle de tout son système d’administration » ? IBK, en ces temps troubles d’un second mandat de toutes les compromissions, va-t-il retrouver en lui-même suffisamment de ressort moral pour tirer les leçons de ce qui a déjà les allures d’un désaveu populaire et rendre, en conséquence, le tablier ? Ou accepter d’aller à un Gouvernement d’Union Nationale dont il ne détiendrait pas tous les rênes?
Le président actuellement au centre d’une controverse nationale a-t-il l’humilité d’envisager ces différents aspects des déboires que lui vaut une fronde à l’ampleur inédite au pays ? Ou va-t-il s’emmurer dans la dignité d’un descendant de Soundjata Keïta, dont il n’incarne aucune des gestes de la lignée, ou d’une fonction qu’il aura largement contribué à décrédibiliser ?
L’on peut raisonnablement douter de la capacité de remise en question du locataire de Koulouba (de Sébénicoro plutôt). A l’image de ses pairs africains (dont l’entêtement à s’accrocher au pouvoir est l’image de marque), IBK pense que ses contestataires sont des envieux et des aigris. Et que, de ce fait, leur jugement est subjectif et sans fondement véritable.
Il a pu tenir ce discours, ainsi que son Premier ministre d’alors, au lendemain d’une réélection très contestée et mise en cause par des partenaires internationaux, qui avaient dénoncé, au cours d’une conférence tenue à Bamako même, l’usage abusif des deniers publics pour financer une campagne largement consacrée à l’achat de conscience.
Pourtant, jamais un Chef d’Etat malien aura été justement mis à l’index par son opinion nationale et méprisé par ses homologues africains. Les regards et les mots méprisants de l’ex-président mauritanien, Abdoul Aziz et de l’actuel Chef d’Etat nigérien, Mahamadou Issoufou, l’assimilant à un homme léger, font encore mal à nombre de Maliens, qui en ont conçu un fort ressentiment consécutif à la déconsidération de notre pays. D’autant que ce jugement émanait de personnalités ou de pays pour lesquels le Mali a longtemps eu valeur de référence.
Le remarquable mouvement de rejet d’un homme d’Etat et de son régime, qui a déversé dans les rues près de deux millions de personnes, se réclamant de la Société civile, d’environ quarante formations politiques, d’associations religieuses musulmanes et de simples citoyens, est la conséquence du ras- le- bol créé par la persistance de dérives criardes maintes fois dénoncées par les Maliens, très souvent relayées à l’international par des partenaires.
Au-delà de la simple énumération des nombreux tenants d’une gouvernance largement décriée, ce sont davantage ses multiples répercussions sur le moral des Maliens, leurs comportements quotidiens, leur perception de la chose publique, des hommes et des dirigeants politiques et du devenir du pays.
Le portrait moral du Malien actuel est celui d’un homme sans idéal, irrespectueux de tout ce qui est bien public, affichant un goût très prononcé pour l’argent facile, davantage attiré par l’accaparement que par le partage, quasiment réfractaire aux valeurs dont notre peuple aimait à se glorifier.
Ce portrait, aujourd’hui très commun, s’applique aux acteurs de tous les secteurs d’activité de notre pays : fonctionnaires, opérateurs économiques, enseignants, agents de la Sécurité (policiers et gendarmes notamment), l’Armée (qui incarne les effets pervers de la crise sécuritaire, de la course à l’armement et de la complaisance d’un pouvoir corrompu et aux abois).
Les hommes politiques de la troisième République, principaux acteurs et animateurs d’un système démocratique dévoyé, dont le seul ressort idéologique est la course à l’enrichissement, inspireraient un long chapitre d’un livre que l’on consacrerait aux trente ans de la troisième République.
Ibrahim Boubacar Keïta est bien le symbole de la « Ghomorrhisation » de la vie politique et publique. Les prédations que ses prédécesseurs ont commises en quasi amateurs, l’actuel président de la République et son régime les ont portées au rang de pratiques professionnalisées, tournées vers la promotion et la prospérité d’un clan, d’un cercle des intimes et de complices de détournements et autres prévarications.
La marche et les manifestations forcenées du 5 juin dernier devraient donc sonner le glas d’un régime. Dont les signes avant- coureurs peuvent se lire dans les désaffections de certains partisans d’Ensemble Pour le Mali, la passivité des ténors de la Majorité face à la lapidation politique de leur mentor et surtout le silence du RPM, que l’on pourrait assimiler à une prise de distance et, pourquoi pas, à une forme de revanche des laissés-pour -compte du régime IBK.
associations politiques (Mouvement Anw Ko Mali Dron, FARE Anka Wuli, RpDM, ADEMA Association…) et de la Société civile, le durcissement du ton des opposants d’IBK, exprimé par Nouhoum Sarr, président du Front Africain pour la Démocratie (FAD) et ténor du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) à travers cette formule » seules les conditions du départ d’IBK sont à négocier » sont révélateurs d’une réelle volonté de ses contempteurs d’en finir avec le régime le plus décrié de la troisième République.
Le refus du président du parti présidentiel, Dr. Bocar Tréta, de cautionner la marche »rédemptrice » projetée par les partisans du Chef de l’Etat et l’annulation de ladite marche marquent à l’évidence la crainte des thuriféraires du régime d’essuyer un retour de boomerang qui pourrait s’avérer dévastateur.
A moins qu’une prise de hauteur de la part du Président de la République, sous la forme d’un geste symbolique fort, vienne décrisper une situation susceptible d’exploser à tout moment.
Outre la levée de boucliers de l’Opposition, l’on devrait voir dans le geste posé en faveur des jeunes et des femmes de la Commune IV, cette semaine, par Moussa Mara et son colistier, Hassane Sidibé, une raison de croire en la renaissance et la vitalité de notre démocratie. Les signes d’un possible réarmement moral de la vie politique ?
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Source : l’Indépendant