Les crises sont des épreuves nécessaires. Elles surviennent dans notre vie personnelle, une vie de couple, de famille et au sein d’une nation, au bout d’un temps pour nous faire mesurer le niveau d’adhésion (validité), d’ancrage et la solidité des règles que l’on s’est imposées, qu’une entité a érigées en code éthique et d’organisation.
La crise sécuritaire, socio-politique et identitaire à laquelle notre pays est soumis depuis de nombreuses années mais qui a pris des dimensions dramatiques et anxiogènes, il y a un peu moins d’une décennie, si l’on y regarde de plus près, nous renvoie, pour l’essentiel, l’image d’un système politique, soit- disant démocratique, qui a entrainé le pays dans une succession de grossières légèretés.
Ce que l’on a pu prendre, un bon moment, pour une crise d’adolescence de notre démocratie, s’est révélé, à l’épreuve du temps et des dérapages naturels d’un système bourré de scories, une sordide course au pouvoir, à l’argent facile parce que généré par une gouvernance taillée sur mesure.
L’analyse de la crise malienne nous ramène, malheureusement, à la triste conclusion de William Durant, historien, écrivain et essayiste américain, selon laquelle « une nation n’est pas conquise de l’extérieur tant qu’elle ne s’est pas détruite de l’intérieur ».
Partie du nord, l’occupation de notre territoire par des forces séparatistes (revendiquant l’essentiel du septentrion de notre pays), qui s’est ensuite étendue au Centre (Mopti et Ségou) par le terrorisme des jihadistes, est la désastreuse conséquence d’une politique bâclée de défense du territoire et de protection des populations.
La comédie du réarmement et de l’équipement des FAMAs, jouée, depuis plus d’une décennie, par les différents pouvoirs mis en place par les Maliens, a culminé à l’ubuesque avec l’épisode des avions de combat (dépourvus de mécanismes essentiels), acquis à coups de dizaines milliards F CFA pour livrer combat à des ombres, selon le principe même de la guerre asymétrique, dont certains »spécialistes » ont fait leur fonds de commerce.
Lorsque l’on y ajoute la scandaleuse affaire de surfacturation des équipements de l’armée (sur laquelle un nécessaire éclairage devrait être jeté), en 2014, l’on est fondé à déduire que les différentes mesures prises pour éradiquer les problèmes sécuritaires ne sont que du leurre.
Ce constat, généralement partagé par les Maliens, a davantage contribué à mettre en évidence la précarité de leur vie, d’autant qu’encouragés par le quasi vide sécuritaire, les jihadistes ont entrepris de soumettre le Centre à un feu roulant, qui sème, chaque jour, la mort, l’horreur et le désespoir.
Triste spectacle qui, apparemment, n’affecte en rien le sens de l’exhibitionnisme du président de la République. Alors que ses infortunés compatriotes tombaient sous les coups audacieux et meurtriers des terroristes, IBK entrainait tout le gouvernement à Bougouni pour le lancement de la campagne agricole 2019-2020 et la célébration de la Journée du Paysan.
Ces célébrations, à grandes pompes, requérant un dispositif sécuritaire important, étaient-elles nécessaires et opportunes à une période où le Mali s’interroge douloureusement sur son devenir ? Est-il possible qu’IBK, absorbé par sa quête de gloriole, n’ait pas été sensible à cette image fortement dichotomique d’une partie du pays livrée, sans défense, au diktat meurtrier djihadiste, exsangue de ses forces vives, tranchant avec une classe de privilégiés devisant tranquillement sous la vigilance de troupes armées jusqu’aux dents ? Le lancement d’une campagne agricole et la célébration de la Journée du Paysan valaient-ils ce déploiement inapproprié de moyens, de personnalités ? Le risque zéro n’existant pas, était-il vraiment nécessaire d’exposer la vie de ces milliers d’habitants de Bougouni et de ses environs, accourus pour l’écoute des messages du messie ? La démonstration de souveraineté de notre pays doit-elle être faite par le biais de manifestations aussi futiles?
Cette liste des interrogations suscitées par le Geste d’IBK n’est pas exhaustive mais elle démontre, une fois de plus, la légèreté avec laquelle le pays est gouverné.
La coïncidence avec la tenue du congrès du parti de l’ex-Premier ministre, à Ségou (région tout aussi exposée que celle de Mopti à la folie meurtrière des terroristes), pourrait être interprétée comme la symphonie de deux amours du Pouvoir.
En dépit d’une première exécution contrariée, il y a fort à parier que le duo nous réserve une autre cantate inspirée par les saveurs du pouvoir.
Mais, les Maliens, expurgés depuis peu de leur naïveté, sont désormais bien armés, intellectuellement et politiquement, pour faire échec à toute tentative d’accaparement des institutions de l’Etat à des fins personnelles.
Ils devraient, à cet égard, se préparer à se faire entendre dans les différentes consultations pour réformer et améliorer le fonctionnement de l’Etat.
La réduction drastique des pouvoirs et des privilèges du président de la République, dont IBK aura été le symbole le plus contestable, apparait comme la réforme qui influerait positivement sur la qualité de nos différentes institutions qui, en la situation actuelle, portent quasiment toutes la marque de son influence.
Une démocratie de bon aloi ne saurait s’accommoder de pratiques égocentristes et népotistes.
S’agissant de la marche générale à suivre pour améliorer nos pratiques républicaines, nous avons trouvé de l’intérêt dans les approches préconisées par Ousmane sy et Dr. Abdoulaye Sall, dans la parution du mardi 25 juin de notre confrère L’ESSOR.
Pour le premier, ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, » notre pays est dans une crise très complexe et profonde. Les acteurs politiques doivent faire de cette crise une opportunité pour changer les choses, comme souhaité par les Maliens. Il faut que le dialogue soit un véritable dialogue, à la hauteur de nos problèmes. Les décisions qui vont être prises à l’issue du dialogue étendu à toutes les populations maliennes doivent être les plus consensuelles possibles, afin qu’elles durent dans le temps « .
Dr. Abdoulaye Sall, également ancien ministre des Relations avec les Institutions, préconise » un dialogue national inclusif et constructif « . Pour lui, » il faudrait s’accorder sur une compréhension commune, partagée et acceptée des enjeux, des défis et perspectives par tous ceux qui devraient prendre part à ce dialogue. » A ce titre, il recommande que les Termes de Référence à élaborer doivent être clairs, précis et surtout engageants sur le chantier dont le but est d’apporter de l’oxygène à la démocratie, à la décentralisation, à la bonne gouvernance dans notre pays en crise politico-institutionnelle aggravée.
D’autres opinions, sans doute autant explicites, ont été exprimées en faveur du dialogue élargi et des réformes. Pour changer en profondeur le fonctionnement de la République et de la démocratie. Une rare convergence des visions, qui devrait apporter davantage de lumière au pays.
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Source: l’Indépendant