Au Togo, après 8 mois de crise sociopolitique, le pouvoir et l’opposition se sont accordés pour la première fois en février dernier afin d’entamer des pourparlers sous la houlette d’un facilitateur, le Président ghanéen Nana Akufo-Addo. Alors qu’une feuille de route pour le déroulement du dialogue a été adoptée le 18 février, laissant entrevoir une sortie de crise, tout est de nouveau dans l’impasse comme lors des précédentes crises. Comment en est-on arrivé là et pourquoi les précédentes solutions ont-elles échoué ? Quelles solutions pour sortir de la crise au Togo et éviter un éternel recommencement ?
Comprendre les fondements de la méfiance de l’opposition
Si l’objectif ultime de la lutte des Togolais est d’en finir avec 50 ans d’un régime clanique qui, en plus d’opprimer, n’a pas assuré le bien-être des citoyens, la rupture de confiance empoisonne le dialogue en cours. Cette méfiance remonte au 28 novembre 1991, jour où dans une atmosphère délétère et une violence meurtrière, Eyadéma Gnassingbé a sonné le glas de la transition démocratique issue de la Conférence nationale en faisant enlever Joseph Koffigoh, alors premier ministre de transition. Des années plus tard, l’échec de l’Accord politique global (APG) vient renforcer cette crise de confiance. L’APG de 2006 a abouti aux reformes constitutionnelles et institutionnelles, gages d’un retour du régime de Faure Gnassingbé sur la voie de la démocratie, de l’état de droit et la bonne gouvernance. Non seulement, le pouvoir a tout fait pour ne pas concrétiser les engagements, pire, la situation s’est détériorée au fil du temps. Ces faits historiques sont profondément ancrés dans la mémoire collective des partisans d’une alternance chaque fois avortée et les événements plus récents sont venus ravivés cette mémoire. En effet, à la suite du décès du Président Eyadema Gnassingbé, son fils Faure Gnassingbé a été porté à la tête du pays grâce à des tours de passe-passe et de tripatouillages constitutionnels inédits. De ministre, il est redevenu député sans élection, puis devenu Président de l’Assemblée nationale dans la foulée pour finir Président de la République intérimaire, tout ceci en moins de 24h. En 2015, lors de l’élection présidentielle fortement contestée par l’opposition, la Cour constitutionnelle n’avait pas attendu la proclamation par la CENI pour s’en charger elle-même. Mieux, en 2015, le Président Faure Gnassingbé n’a jamais été investi, pourtant la cérémonie d’investiture est une exigence constitutionnelle pour devenir Président de la République. Tout ceci témoigne, le contrôle de toutes les institutions de contre pouvoir par le régime en place et l’atmosphère de non-droit qui règne dans le pays. Ce qui fait dire aux plus sceptiques que le régime Gnassingbé n’a « jamais respecté aucun accord, pas plus qu’il ne respectera des décisions pouvant sortir d’un éventuel dialogue de plus. » Dans ces conditions, le référendum brandi par le pouvoir n’est pas une panacée à la crise même s’il intègre l’exigence d’un retour à la Constitution de 1992 dans sa version originale, modifiée dix ans plus tard par le père de l’actuel président.
Des états généraux et une gestion transitoire
Le premier impératif est d’ouvrir réellement les négociations dans un esprit constructif de compromis et de bonne foi. L’ouverture des pourparlers devrait décrisper la tension actuelle et éviterait à coup sûr de précipiter le pays dans la guerre civile. Cependant, l’opposition doit éviter de restreindre le dialogue aux réformes électorales et à l’exercice du pouvoir politique. Il est indispensable de saisir cette occasion pour amorcer la modernisation des institutions de contre pouvoir, de façon à les soustraire du joug de l’Exécutif. Au-delà des questions électorales, il y a lieu de travailler à réduire la prégnance de l’armée sur la vie publique et à la stabilité des institutions. Le chantier des réformes va du fonctionnement régulier des institutions républicaines, à la réforme des forces de défense et de sécurité ainsi que celles des institutions chevilles ouvrières du processus électoral : Cour constitutionnelle, Commission électorale nationale indépendante et Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication. Aujourd’hui, c’est un euphémisme d’affirmer que l’opposition n’a ni la capacité organisationnelle, ni les moyens d’assurer seule le suivi des réformes en perspectives. Certes, la communauté internationale n’a pas vocation à se substituer au peuple togolais souverain, mais le lead des Nations Unies, aurait aidé à opérer des réformes et à organiser les élections libres crédibles et démocratiques. Il est vrai que 2018 est une année spéciale avec la tenue des législatives, puis des élections locales qui n’ont pas eu lieu depuis 30 ans, néanmoins, il faut se garder de toute précipitation à lancer le processus électoral, au risque d’exacerber encore des tensions. Envisager de façon consensuelle le report des deux scrutins, le temps d’achever les discussions et de mettre en place les reformes, parait une démarche propice à la paix et à la consolidation de la démocratie.
La crise politique au Togo dure depuis trois décennies, il n’est point question de mener un dialogue expiatoire mais de réaliser de véritables assises nationales. Il est nécessaire de trouver des médiateurs crédibles, motivés et disponibles, car il est évident qu’avec les échéances électorales en Guinée, le Président Alpha Condé aura de moins en moins le cœur à l’œuvre sur le chantier togolais. Et ce chantier parait trop vaste pour être la tâche exclusive du Président ghanéen. L’engagement de la communauté internationale est indispensable pour surmonter l’impasse et prévenir un échec de plus. Les pourparlers devront déboucher sur des recommandations dont la mise en œuvre organisera une période transitoire où le pouvoir sera partagé. Les deux parties pourront ainsi conduire les réformes avec l’appui logistique et technique de la communauté internationale.
L’opposition joue la carte de la prudence, toutefois elle devrait se garder de pratiquer la politique de la chaise vide et du renoncement. En effet, face à la ruse coutumière du pouvoir et sa brutalité légendaire, le maintien de la pression populaire sera un élément décisif pour rendre effectif un dialogue et organiser une transition. Peu importe, si elle doit aller au delà de 2020. L’expérience a certainement enseigné aux Togolais, que face à un régime autocratique qui n’a que cure de la volonté politique et de l’alternance, il faut de la témérité, du compromis et une union sacrée. Toute division interne dans le rang de l’opposition serait du pain béni pour le régime de Faure. Chasser un tyran n’a jamais assuré la garantie systématique d’un retour aux valeurs démocratiques et à la stabilité. Cela, les Libyens l’ont appris à leurs dépens. Préparer convenablement le départ de Faure Gnassingbé et aller à l’alternance avec l’aide de tous est un challenge possible.
Kassim HASSANI, est journaliste béninois
Afrik