Les parents doivent comprendre et accompagner les adolescents, même si c’est avec des mots. Ils sont en puberté. Ils sont convaincus que leurs idées et leurs imaginations sont réalisables mais la vie se chargera de leur en montrer les limites
La pluie arrose Bamako. Barou, un adolesent, âgé de 15 ans, est un sans domicile fixe. Ce soir de février 2020, au « Vox-da » de Bamako-Coura en Commune III, il est en train d’étaler les éléments de son lit de fortune, sous le regard indifférent du flot des passants.
Le malheureux s’apprête à passer sa 32è nuit sur des morceaux de cartons recouverts d’un pagne déchiré. La nonchalance avec laquelle il fait son « lit », trahit son amertume pour cette vie de clochard à laquelle sa fugue le condamne. « Je me retrouve ici à cause de l’hostilité qui existe entre mon oncle et moi. Il me battait sans arrêt, pour des raisons que j’ignore toujours», se lamente-t-il. « Il y a environ deux mois, ajoute l’adolescent, une dame m’a reconduit à la maison. Elle a supplié en vain mon tuteur de me pardonner.
Visiblement, le garçon a de rancœur. Il se résigne à vivre dans ce lieu dangereux, qui est pourtant à ses yeux un havre de paix. Rassurez-vous, ce gamin n’est pas un délinquant. Au contraire, il travaille honnêtement comme apprenti d’un minibus de transport en commun, appelé Sotrama. Ces pataches dans lesquelles les Bamakois se serrent tous les jours pour aller au bureau, à l’atelier, au marché. Le jeune Barou a abandonné une famille où sa maman est mariée à un homme qui n’est pas le géniteur de Barou. Il est victime de l’absence de la relation père-fils. Le garçon frustré en est à sa 3e fugue en deux ans. Il affirme que sa grand-mère ne se résout pas à le voir vivre dans la rue. La vieille envoie souvent des émissaires pour le convaincre de revenir au foyer. Mais le petit ne se sent pas en sécurité auprès de son oncle irascible. Il préfère prendre ses distances.
Pourtant, le vœu de Barou est de vivre dans un environnement normal, dans une famille, comme tous les enfants. Malheureusement, beaucoup d’adolescents sont dans la même situation précaire que Barou. Ils rejoignent la rue alors qu’ils sont issus d’une famille aisée, dont les revenus pourraient leur éviter d’errer à travers la ville. L’ancien chef de division du Centre d’accueil et d’orientation (CEAO) Ali Alphagalo a suivi Barou. Le manque de financement a entraîné la fermeture de cette structure de l’enfance abandonnée. Depuis, une kyrielle d’adolescents boivent dans la grossière coupe de la vie de clochard. Barou fait partie des neuf adolescents qui étaient placés sous la surveillance de Ali. Il travaillait pour la réconciliation et leur retour en famille en 2018. « Il n’est pas un enfant raté, rassure-t-il, parlant de Barou. Ce sont les affres de l’adolescence qui ont pris le dessus sur lui », précise le surveillant de l’enfance difficile.
Ce jeune vivait chez sa grand-mère en compagnie de son père et de son oncle à Lafiabougou Bougoudani. J’ai été dans leur famille. L’oncle lui reproche ses mauvaises fréquentations, un manque de discipline, de considération et un relâchement à l’école. « Il se pavane dans les champs accompagnés d’amis peu recommandables. Il a été surpris une fois en train de prendre de l’alcool au milieu de plusieurs enfants du quartier lors d’une fête de Noël », a rapporté l’agent du CEAO. Un jour, le psychologue a demandé à l’enfant ce qu’il veut faire de sa vie. Sans hésiter, l’adolescent a répondu qu’il avait en tête un plan pour éradiquer la faim au Mali. Il veut se lancer dans l’agriculture et la pisciculture. « Je l’ai écouté attentivement. Je lui ai expliqué que ce sont des rêves d’enfants. »
Instaurer un lien de communication. Il faut le comprendre et l’accompagner même si c’est avec des mots. Il est en puberté. Il pense que ses idées et ses imaginations sont réalisables. Toute ironie mise à part, il faut parfois le laisser tenter l’expérience. La vie se chargera de lui montrer ses limites. Par ailleurs, il faut le convaincre qu’il peut tout faire, mais en parallèle avec les études qui sont prioritaires. L’ancien chef de division insiste sur une attitude erronée des parents. Beaucoup d’entr’eux pensent qu’il suffit d’assurer la nourriture, la santé, le transport à l’enfant, pour qu’il soit sage. Il faut, soutient-il, beaucoup plus que ça. « L’enfant a besoin d’être rassuré, d’être compris, d’être protégé. Il faut instaurer un lien de communication, et c’est ce qui fait défaut dans nos familles. Les gens ont des enfants, mais ils n’ont pas le temps de s’en occuper ». Le spécialiste Ali Alphagalo ajoute que certains parents estiment que leur rôle est d’imposer des règles et de réprimander si elles ne sont pas respectées.
à l’âge adolescent, beaucoup se révoltent. Ils deviennent parfois violents. Pour cette raison, l’enfant se sent mieux en compagnie de ses amis que de ses parents. L’adolescence est une période de transition entre l’enfance et la vie adulte. Elle nécessite la transformation sur tous les plans : physiques, psychologiques, intellectuelles et sociales. Elle commence avec le début de la puberté, de 10 à 19 ans. La crise d’adolescence est faite de troubles, de sautes d’humeurs, d’attitudes de défi, d’opposition aux parents, d’un besoin d’intimité et d’excès de confiance en soi face aux adultes. C’est une période de créativité, de rêve et d’expérience. C’est très insécurisant pour les parents qui veulent s’imposer. Beaucoup de parents passent mal ce moment. Ils sont indignés, impuissants et voient leur autorité bafouée.
La mère Maladon Kanté a mal vécu la crise d’adolescence de sa fille. Elle en garde de mauvais souvenirs. En effet, la crise de l’adolescence a frappé sa fille de plein fouet. L’enfant de 16 ans, est devenue bizarre d’un coup. La mère l’avait crue envoûtée. Et il y avait de quoi :« Ma fille fréquentait un vieux qui avait l’âge de son père. Quand on lui a interdit de le voir, elle a décidé de passer plus de temps auprès de son amant âgé. Elle a été punie de toutes les manières possibles, mais en vain. J’avais peur. Elle pouvait sur un coup de tête abandonner la maison. Mais l’avenir me réservera la surprise de ma vie. Ma fille a osé réunir la famille un jour. Elle a demandé à son père de dire à ses épouses de ne plus se mêler de sa vie.»
Les parents sont parfois confus. Certains punissent, d’autres abandonnent comme ce magistrat qui se plaint de son fils aîné en ces termes : « Il faisait l’école buissonnière. J’ai été à son école de foot. J’ai appris qu’il n’assistait plus aux séances d’entraînement, alors qu’il est passionné de foot. En plus, il traite son entraîneur de profiteur. Il est agressif à l’école et ne respecte pas les enseignants. Vraiment, moi j’ai fait tout ce que j’ai pu. J’ai décidé de ne pas le frapper, ni de le gronder. Il est assez grand maintenant. Comme il est d’une inconscience inouïe, je m’en lave les mains ».
Pour cet homme, son fils est dans toutes les conditions pour lui garantir une bonne éducation. Mais il fait tout sauf ce qu’on attend de lui. Il ajoute que le garçon ne l’écoute pas, pire il s’enfle d’orgueil quand on lui parle. « Il ne m’adresse pas la parole que s’il a besoin d’argent. Il salue toujours les gens en rechignant », s’indigne le juge. Le magistrat ne comprend pas ce changement brusque de comportement. Il rappelle le passé récent : « Mon fils était sage et comptait parmi les meilleurs de sa classe. Mais que s’est-il passé ? à 18 ans, il passe deux fois le baccalauréat sans succès. », regrette-t-il. D’après les explications du garçon, le fait de reprendre une classe lui donne des avantages sur les autres: « je sèche seulement quelques cours du soir parce que je sais à l’avance le cours de l’enseignant . J’ai déjà vu tout ça l’an passé », prétend-il.
Dédramatiser le passage à l’adolescence. La crise d’adolescence peut-elle avoir des conséquences sur la scolarité de l’enfant ? Le psychologue Abdrahamane Coulibaly de Niamana donne une réponse. Le raisonnement de certains adolescents peut impacter négativement leurs études, s’ils ne sont pas compris par les parents. Cette situation, précise le psychologue, crée des conflits entre les parents et les enfants.
Le rejeton devient agressif et irrespectueux à l’école. Pour palier cette déviance, il faut fixer des limites claires, il faut l’écouter tout en restant ferme. Respecter son intimité, accepter d’avoir le mauvais rôle, lui montrer votre amour, se rappeler que c’est un passage, l’aider à trouver son équilibre et rester patient et cohérent avec lui.
Le scientifique a souligné que les parents peuvent, par moments, s’inquiéter de l’agressivité, voire de la violence des paroles de leur enfant. Ils doivent lui faire simplement savoir qu’ils sont là, s’il a besoin de parler, et qu’il n’y a pas de sujet tabou. Une bonne communication est souvent la clé de la crise. Le psychologue souligne que les conséquences peuvent être graves pour l’adolescent. La mauvaise gestion de ces crises crée des problèmes qui deviendront profonds par la suite, complexes et parfois pathologiques. La crise peut être exprimée au travers de différents symptômes: angoisse, anxiété, phobie, dépression, addiction, comportements asociaux ou troubles du comportement.
Il est important de trouver un style parental équilibré propice à une communication saine, au respect et à la stabilité.
Les adolescents ont besoin d’autorité dans leur vie pour leur assurer stabilité et sécurité. Ils ont aussi besoin de quelqu’un à qui parler et se confier.
Les trois principales raisons des fugues d’adolescents sont le manque de communication avec les parents, l’inaptitude à faire face à leurs problèmes personnels, la maltraitance par des parents ou des proches.
Le psychologue Coulibaly conseille aux parents de dédramatiser le passage à l’adolescence. Ils doivent accepter de faire face aux changements qu’implique la puberté.
L’enfant se pose plein de questions sur lui-même. Un parent doit accepter, de contractualiser les choses. Il doit surtout d’être clair sur la question des interdits. Il arrive très souvent que l’enfant défie l’autorité parentale avec violence. Il peut se rebeller, et ne pas cesser de faire des reproches.
La présence des grands parents en famille a un effet positif sur le mental des enfants. Cette présence assure une sécurité à l’enfant. Elle favorise le développement du cerveau. Le fait de raconter des contes ou de lire des histoires à l’enfant, le rend capable de maîtriser ses impulsions. Ces séances lui donnent le goût de la lecture. Il faut valoriser la communication, car plus les échanges sont fréquents entre parent et enfant, plus son cerveau se développe. Le garçon et la fille deviennent intelligents et sages
Maïmouna SOW
Source : L’ESSOR