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CRISE CULTURELLE AU MALI : Être homme de culture, c’est se dévouer pour l’humanité

Dans nos communautés, la décadence se situe à plusieurs niveaux. Mais dans la plupart des cas, le problème relève de la responsabilité des hommes de culture qui ont fait de leur métier un gagne-pain au lieu de reconnaitre sa valeur fortement humaniste. Les griots d’hier et d’aujourd’hui, dans les sociétés maliennes, sont largement différents les uns des autres. Cette caste a négativement évolué dans le temps. Chose qui n’est pas sans impacts sur la vie même de la nation.

Au Mali, les hommes de culture ont fait de ce domaine forcément un gagne-pain. Or, il y a de ces métiers que nous exerçons pour l’amour ou afin de remplir un devoir ou sauvegarder un honneur. Tel était la raison pour les hommes d’antan d’exercer dans beaucoup de domaines de culture. Mais de nos jours, c’est tout à fait le contraire. Notre monde est mené et malmené par un ouragan qui le secoue dans tous les sens. Plus puissant que lui, il le conduit droit vers un précipice, à l’intérieur duquel, impossible de voir le bout de son nez.

Toutefois, il conviendrait de noter que tous ces problèmes constituent des conséquences néfastes de l’évolution acharnée du monde et notamment l’avènement du capitalisme qui séduit le monde avec sa loi du marché. Or, mesurer tout à l’aune de cette loi n’est pas sans conséquence. Dans nos sociétés jadis, les griots jouaient un rôle prépondérant dont de nos jours nous attribuons aux pilleurs de notre nation. Le métier de griot était exceptionnel dans la plupart de nos sociétés. À travers la force de sa parole, il réussissait à assurer la cohésion sociale. N’est-ce pas la raison pour laquelle Djibril Tamsir Niane n’a pas manqué l’occasion de noter dans son livre Soundjata ou l’épopée Mandingue combien était la force de la parole du griot dans les sociétés dites traditionnelles ?

Pendant ces temps, on n’avait pas besoin d’historiens parce que les griots étaient les détenteurs des savoirs les plus anciens qu’ils transmettaient de génération en génération. Pendant ces temps plus qu’aujourd’hui, toutes les jeunes générations connaissaient leur histoire, la signification de leur nom de famille. Mieux que tous ceux-ci, c’étaient eux l’ONU, la Minusma dans nos communautés. À chaque fois qu’un problème pointait le nez, nous leur faisions appel pour qu’ils discutent à l’amiable le problème. Dans ces sociétés, nous n’avions pas besoin de signature d’accord de paix a posteriori de loi d’entente nationale. Les griots, à travers la force de leur parole, faisaient des miracles. Ainsi, les griots étaient ceux qui étaient habilités à arranger les mariages dans nos communautés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle chaque famille possédait à son compte un griot. Celui-ci, avec bien sûr sa famille, se trouvaient à leur charge.

Le griot était aux familles ce que sont les médecins pour des familles occidentalisées. N’est-ce pas dans ce cadre que tout mariage était interdit entre les nobles et les griots. Car une fois que nous nous marions avec notre serviteur, qui va prendre la relève ? L’enfant issu de l’union d’un noble et d’un griot va-t-il servir de griot dans une famille noble ? Chose difficile puisqu’il ne porte pas un nom griot, mais il est issu d’une mère griot. Ayant peur de la dégénérescence, les anciens ont trouvé plus prudent de défendre tout lien de mariage entre ces deux castes.

Cette pratique nous rappelle la division de la société par le philosophe antique Platon. Celui-ci avait divisé la société en trois classes où au sommet nous trouvions les dirigeants, au milieu les gardiens et au bas de l’échelle les ouvriers. Pour éviter toute décadence de la société, cet intellectuel défendait toute relation en termes de mariage ou de sexe entre ces trois classes. Ainsi, chacune des classes se devait de rester dans sa catégorie et de remplir son devoir. Cela ne reste-t-il pas de même avec cette question des griots dans nos sociétés ?

Mais hélas, de la même façon dont nous avons assisté à la dégénérescence de cette société platonicienne, nous sommes témoins de celle de nos communautés. Cette caste de griots est devenue aujourd’hui un véritable business. Les griots ne parlent plus qu’au nom de l’argent. Ils organisent ainsi des périodes de sorties constituant une sorte de campagne privilégiée pour se faire de l’argent. Ils sont devenus moins cultivés, parce que ce qui les intéresse c’est le savoir parler pour gagner suffisamment d’argent. Dans les lieux de mariage et de baptême, nous ne manquons nullement de les rencontrer en train de mendier auprès de tous, même des inconnus. Ce qui amène beaucoup d’entre eux dans le mensonge. Ainsi, plus de respect et par conséquent plus de confiance en eux.

Puisque c’est donc devenu un métier à part entière, des non-griots font également leur entrée sur la scène. Si jadis, les griots constituaient de grands musiciens parce qu’on était convaincu que la musique adoucissait les mœurs, aujourd’hui rares sont les griots qui s’adonnent à cette pratique. Plus de différence entre les griots et les nobles de nos jours. C’est ce qui explique l’instauration du mariage entre ces deux castes au sein de beaucoup de nos sociétés. La dégénérescence est au comble, et pour cause, les hommes de culture au lieu de faire de leur domaine un dévouement pour la défense de la cause de l’humanité, en ont fait un gagne-pain.

Fousseni TOGOLA

Source: Le Pays

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