L’argent de la drogue crée des complicités inédites et génère une corruption endémique dans toute la région du Sahel. Le trafic de hashish et de cocaïne joue un rôle important dans la guerre au Nord Mali, véritable foyer narco-terroriste.
Le dernier rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) est sans appel : les trafics et la consommation de drogues (cannabis, cocaïne, héroïne, crack ou méthamphétamine) sont en pleine explosion dans toute l’Afrique. Le plus inquiétant est la progression des drogues dures : cocaïne, héroïne, crack. Selon l’OICS « L’Afrique de l’Ouest et du centre compterait 1,5 million de cocaïnomanes ». Et la consommation de drogues dures n’est plus un « luxe » de favorisés : elle touche maintenant les milieux pauvres, du Sénégal au Nigeria en passant par la Côte-d’Ivoire. L’OICS souligne par ailleurs que les bouleversements géopolitiques liés aux révolutions arabes auraient entraîné « une défaillance des capacités de détection et de répression » des Etats concernés. Et même le paisible Maroc de Mohamed VI n’est pas épargné, puisqu’il est le principal producteur-exportateur de résine de cannabis vers l’Europe : 72% de la quantité totale saisie par les autorités douanières dans le monde en 2011 venait du Maroc, les trafiquants acheminant leur drogue via les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla ou par le port de Tanger. D’autres pays comme le Ghana, le Nigeria, la RDC, le Sénégal, ou le Togo exportent du cannabis vers l’Europe.
Cocaïne : de l’Amérique latine au Sahel
D’après le rapport sur la Criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest, présenté par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), la zone sahélo-saharienne est la voie préférée des trafiquants de cocaïne. L’UNODC estime à 170 tonnes la quantité de cocaïne entrée en Europe en 2010 (18 tonnes sont passées par l’Afrique de l’Ouest). Le rapport onusien montre que sur 14 importantes saisies de cocaïne réalisées en 2011, 9 ont eu lieu au Bénin, au Cameroun, au Ghana, au Nigeria, en Sierra Leone et au Togo. Le plus souvent, la cocaïne provient de Bolivie, pays allié de l’Iran adepte de la « révolution bolivarienne » alliant anti-occidentalisme, corruption, pauvreté et narco-économie. Le trafic est géré par les cartels mexicains, qui opèrent du Golfe du Mexique, de Colombie -où ils ont détrôné les anciens cartels de Medellin ou de Cali -, et même des côtes du Brésil. D’autres cargaisons passent par le Venezuela et l’Equateur (à destination du Bénin et de la Côte d’Ivoire), pays également anti-occidentaux et corrompus, mais aussi par l’Argentine (500 kg saisis en juillet 2012, à l’aéroport de Buenos Aires), ou même Miami, où les cartels latinos sont très présents. Quant au Maroc, lui aussi rongé par une corruption endémique, il demeure une porte d’entrée vers l’Europe pour la cocaïne d’Amérique latine passée par le Sahel.
Depuis les années 2000, l’Afrique de l’Ouest est donc une plaque tournante majeure du trafic de la cocaïne latino-américaine acheminée vers l’Europe. La drogue arrive soit par bateau dans le golfe de Guinée, régime extrêmement corrompu, soit par avion (vols directs Venezuela-Mauritanie ou Mali) et elle est stockée puis redistribuée, par la route, notamment via le Sahel, vers le sud de la Méditerranée. Les experts ont ainsi appelé « Autoroute A-10″ la plus importante voie d’acheminement de la drogue, le long du 10è parallèle, qui remonte via le désert à destination de l’Europe. D’après Alain Rodier, ancien de la DGSE et membre du Centre français de recherches sur le renseignement (CF2R), 10% de la cocaïne acheminée vers l’Europe passerait par le Sahel et l’Afrique de l’Ouest. Et d’après le criminologue Xavier Raufer, depuis 40 ans, « jamais le transport de cocaïne vers l’Amérique du Nord et l’Europe n’a été interrompu », le prix de la cocaïne – en dollars constants – payé par les consommateurs ayant été divisé au moins par deux entre 1980 et 2010. Selon lui, on ne saisit pas assez de drogue pour peser sur le marché et on se saisit pas non plus l’argent de la drogue. L’organisme d’audit du Congrès américain chargé de contrôler les comptes publics (GAO) estime ainsi que sur 100 dollars d’argent sale issu du trafic de cocaïne, 25 cents seulement seraient effectivement saisis…
Voyoucratie, islamo-terrorisme et narco-économie…
En fait, les trafics de hashich marocain et de cocaïne latino-américaine vers l’Europe, via l’Afrique de l’Ouest et sahélienne, sont supervisés localement par les mêmes réseaux que ceux qui géraient les trafics de cigarettes et d’immigrés clandestins, nombre d’entre eux ayant contracté une alliance avec les jihadistes salafistes. Ainsi, à travers le Mali, la Mauritanie et le Niger, le « kif » marocain est acheminé par des réseaux arabo-maliens ou touaregs unis par les liens tribaux et proches des groupes islamo-terroristes. Des trafiquants sahraouis liés aux rebelles du front Polisario transportent de la cocaïne et du hashich, réacheminés ensuite du Mali vers l’Europe. La drogue passe aussi par la Libye, plus chaotique que jamais depuis la chute de Kadhafi; l’Algérie, et même les Balkans ou l’Egypte. D’autres routes passent par le Tchad, la Somalie des milices Shébabs, le Soudan, l’Ethiopie ou l’Erythrée, vers le Golfe arabo-persique. Les groupes jihadistes sévissant au Mali, au Nigéria, au Niger et jusqu’en Somalie prélèvent sur les cargaisons de drogue un « droit de passage » et se font payer pour « protéger » les convois qu’ils devraient détruire s’ils étaient cohérents avec leur Charia. Mais comme les Talibans ou Al-Qaïda en Afghanistan et au Pakistan, ils justifient cette contradiction par le fait que les exportations de drogue vers l’Occident financent le Jihad et contribuent à affaiblir les pays « mécréants ».L’argent de la drogue crée des complicités inédites et génère une corruption endémique dans toute la région. Le Mali est ainsi devenu une plaque tournante de la cocaïne en provenance de Colombie, via la Guinée-Conakry. Le trafic de hashish et de cocaïne a donc joué un rôle dans la guerre au Nord Mali, véritable foyer narco-terroriste. Exemple parmi tant d’autres du degré de corruption des Etats où circulent les drogues : en janvier 2012, Mohamed Ould Awaïnatt, riche entrepreneur de Gao incarcéré dans l’affaire « Air Cocaïne » (avions chargés de coke interceptés), fut libéré sur ordre de l’ex-président Amadou Toumani Touré, qui comptait sur lui pour lever des milices… Les groupes islamo-criminels du Sahel gèrent aussi des trafics encore plus juteux d’héroïne (en provenance du Pakistan et de l’Afghanistan, plus grands « producteurs »), qui passent de plus en plus par les pays d’Afrique. Ainsi, selon l’OICS, « la quantité totale d’héroïne saisie en Afrique n’a cessé d’augmenter depuis 2010, les saisies les plus importantes ayant eu lieu en Afrique de l’Est (245 kg), en Afrique du Nord (239 kg) et en Afrique de l’Ouest et centre (201 kg)« . Les drogues méthamphétamines sont également de plus en plus produites en Afrique de l’Ouest (Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Nigeria, Sénégal, Togo), à destination cette fois-ci du Japon, de la Corée du Sud, de Singapour, de la Malaisie et de la Thaïlande.
La guerre au Mali a-t-elle changé la donne ?
Certes, les révolutions arabes en Tunisie et en Libye et l’intervention française au Mali ont fortement déstabilisé les routes de la cocaïne, perturbant l’une des grandes voies d’acheminement traversant le Sahel vers l’Europe, mais les trafiquants ont vite modifié leurs trajets, la « filière sahélienne » étant complétée par des filières passant par l’Angola, pays le proche des côtes brésiliennes, la Namibie, le Mozambique, la République du Congo, la Guinée, aujourd’hui privilégiés, ou même des pays l’Afrique de l’Est. Les profits liés au trafic de drogues dures sont tellement énormes, note Xavier Raufer, que l’allongement des itinéraires de transit qui augmentent les prix des transport « ne sont pas un problème »…
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