Aujourd’hui, commerçantes, restauratrices, teinturières ne parviennent pas à voirle bout du tunnel
La propagation rapide de la Covid-19 est très inquiétante. L’Afrique doit s’attendre au pire. Cette alerte vient du directeur général de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) , Tedros Adhanom Ghebreyesu. Tel n’est pas le cas sur le plan sanitaire. Mais sur le plan économique, le pire est déjà atteint. La fermeture des frontières, plusieurs autres mesures de restriction des mouvements des populations ont perturbé l’économie nationale. Les acteurs du secteur informel ne diront pas le contraire.
Les femmes actives sont tourmentées par cette situation. Les remous se font sentir dans les tontines. Elles sont frappées de plein fouet par la crise sanitaire. Les retards dans la collecte des cotisations s’accumulent, créant des tensions entre les membres. L’histoire des tontines au Mali est l’œuvre quotidienne des femmes. Depuis, des décennies, les elles se réunissent en association et acceptent de cotiser périodiquement une certaine somme. à tour de rôle, le montant collecté est versé à une adhérente. C’est une façon pour elles d’économiser.
Déception.
La dynamique Mata attendait impatiemment la fin du mois d’avril 2020, comme convenu pour recevoir la somme due. Mais à la date échue, l’argent n’était pas au rendez-vous. Quelle déception ! Le désespoir de cette dame fut immense en entendant le message vocal de la présidente de sa tontine. Les propos qui suivent comme des braises percutaient son tympan : « Mata, on n’a pas pu réunir tout ton argent. Je te prie de patienter. Les participantes n’ont pas d’argent en ce moment. Dès qu’elles auront toutes acquitté leur cotisation, je te verserai le montant».
Le message vocal met le feu aux poudres, et provoque une avalanche de réactions sur le WhatsApp. Mata ne se retient pas. Toute irritée, elle crache sa colère :« Fanta vous exagérez.
C’est la 4e fois qu’on repousse le versement du montant de la tontine auquel j’ai droit. Je ne sais plus à quelle date je vais encaisser ma part. Et pourtant, je suis régulière dans la cotisation ». Elle demande le remboursement total et immédiat des cotisations qu’elle a versées. Elle cesse d’adhérer à la tontine qui compte plus de trente membres. La femme frustrée est appuyée par quelques membres du groupe qu’elle a informés et qui ont accouru chez elle. La réunion juge injuste ce qui arrive à Mata. C’est inacceptable ! Ces pratiques sont contraires aux règlements de l’association. Une longue et violente dispute se déroule pendant des heures. L’occasion a été bonne pour ces femmes de laver leur linge sale.
Malgré tout, Fanta, la présidente de la tontine, refuse de mettre la pression sur les adhérentes insolvables qui évoluent pour la plupart, selon elle, dans le secteur informel. Elles sont commerçantes, restauratrices, coiffeuses, teinturières. « Je ne peux pas mettre la pression. Ce sont des dames d’honneur », déclare-t-elle. Elle plaide la cause des défaillantes en insistant sur leur honnêteté.
En effet depuis des années, elles cotisent sans prendre de retard. Aujourd’hui, plusieurs personnes manquent à leur engagement. à l’évidence, la cause est nationale.
C’est la conséquence de la pandémie du coronavirus qui sévit actuellement au Mali. Cette maladie a foudroyé les activités de beaucoup de participantes à la tontine. Certaines ne travaillent plus, d’autres travaillent au ralenti. « En ce qui me concerne, mes marchandises sont bloquées à la frontière Burkina-Mali. Ce coup dur a complètement paralysé mes activités. Cette conjoncture n’est pas facile pour nous les débrouillardes », conclut la présidente Fanta. Elle ne s’attend pas à ce que tout le monde accepte ses explications. Elle a un devoir de solidarité envers celles qui sont accusées. Peu importe ce que cette attitude va lui coûter. Visiblement les impacts de la crise économique font plus mal que la crise sanitaire elle-même.
Les mesures de protections imposées par les autorités, depuis l’apparition des premiers cas, nuisent fortement à l’activité économique des personnes qui évoluent dans le secteur informel. Ce vaste monde est tétanisé par la fermeture des frontières. Un fort quota des Bamakoises se débrouillent sur les marchés pour gagner le nécessaire pour faire bouillir la popote.
Brutalement, elles sont confrontées à cette triste réalité. Elles ne savent pas à quel saint se vouer. Beaucoup noient leur mécontentement dans les conversations amicales. La restauratrice Tina tient un fast – food au niveau du monument ‘’Samaba’’ (l’éléphant). Elle emploie trois personnes.
Après l’instauration du couvre-feu à 20 heures, la patronne n’avait pas mis pied dans son restaurant. Avant de fermer, elle avait pris soin de brancher ses congélateurs pour sauvegarder le stock des produits alimentaires frais. « Le marché bat son plein à partir de 20h30, même si on ouvre à 16h. Je n’avais pas le choix. Je devais fermer pour respecter le couvre-feu ». Mais la levée du couvre feu à minuit soulage la tenancière. Notre restauratrice faisait une recette entre 400 et 450.000 Fcfa dans le mois. Selon elle, la fermeture du restaurant a causé une perte. Elle doit faire face aux factures d’eau, d’électricité, les frais de location et les impôts. « Nous sommes des honnêtes citoyens. Nous payons nos taxes et employons des gens, Dans ces circonstances difficiles, nous devons bénéficier de l’assistance de l’état », espère-t-elle .
Insolvabilité.
La crise sanitaire devenue sociale frappe de plein fouet à Bamako la gent féminine dans des domaines différents. La teinturière Mama, exporte ses basins vers le Sénégal, la Guinée. Au retour, elle importe des habits, des chaussures, des tasses thermos etc. Elle s’apprêtait à voyager, mais la fermeture des frontières est survenue torpillant son projet. « Que Dieu nous donne longue vie pour raconter cette galère dans des futures causeries», souhaite celle qui a du mal à encaisser son argent auprès de ses débiteurs. Le comble est que Mama est débitrice au Crédit mutuel qui ne lui fait pas de cadeau en cette période de crise nationale liée au coronavirus.
Cette indignée révèle : « La banque à laquelle j’épargne me fait des prêts. J’avais l’habitude de m’acquitter régulièrement de mes engagements. Il me reste seulement trois échéances. Je suis harcelée par les recouvreurs, comme s’ils ignorent ce que nous vivons. Finalement, je leur ai dit la vérité. Je ne suis pas responsable de cette situation. Si les frontières étaient ouvertes j’allais poursuivre mes activités comme d’habitude ».
Le professeur d’économie à l’Institut africain de gestion (IAG) Amidou Diallo, a accepté de nous commenter la crise qui frappe le secteur informel. Ce spécialiste, n’est pas inquiet pour l’avenir des petites entreprises, surtout celles du secteur informel dans notre pays. Il craint plutôt une mauvaise gestion de la crise économique découlant de la pandémie de la Covid-19. L’analyste commente que « le futur de nos économies dépendra de la façon dont est gérée la crise.
La capacité de l’état à gérer cette pandémie et de mettre en place la solution adaptée à l ’environnement nouveau va permettre d’anticiper ce qui pourrait se passer après le coronavirus.
C’est une opportunité pour le Mali et même pour l’Afrique de faire un bilan et de voir comment refaire son économie et être autosuffisant dans tous ses besoins. Cette crise, explique t-il, doit être une opportunité pour les entreprises de se régénérer, parce que ce que vivent les entrepreneurs maliens c’est ce que vivent leurs collègues des pays voisins, même européens et américains. Aujourd’hui, les banques doivent réaliser qu’elles ont un rôle fondamental à jouer. La mission est d’injecter de la liquidité dans l’économie, Elles ne doivent pas rester dans une logique de faire du profit, mais de sauver l’économie nationale.
Le professeur Amidou Diallo pense que « les fonds alloués à lutter contre la pandémie peuvent servir à sauver l’économie en collaboration avec les banques. Des millions de personnes évoluent dans le secteur privé, notamment informel. Les banques peuvent alléger les endettés en allongeant leurs échéances. Accorder aux petites et moyennes entreprises le prêt à un taux très faible et ne pas commencer à les encaisser avant la fin des deux premiers mois du prêt. » Pour le moment, y a-t-il eu une mesure d’allègement de prêt au profit des entrepreneurs ? Le directeur général de la Banque nationale de développement agricole ( BNDA) Souleymane Waïgalo informe que la banque a mis en place un plan d’urgence de crise économique Covid -19. à la demande des clients, la banque traite au cas par cas les petites entreprises en difficulté.
« il faut bien connaître le client, vérifier que ses difficultés sont réelles et liées à la pandémie du coronavirus. Par la suite, ensemble on pourra élaborer un plan de relance, souligne M. Waïgalo. Il a affirmé que l’état a mis en place un fonds de garantie de 20 milliards de Fcfa pour le secteur privé, en collaboration avec les banques pour garantir l’accompagnement du secteur privé. Plusieurs clients ont des difficultés dans leurs activités, d’autres sont au bord de la faillite. Un fort contingent abandonne parce qu’ils ne sont plus compétitifs pour créer de nouvelles activités du fait de la Covid -19.
Le banquier tire les conclusions : « Si dans ce cadre nous finançons un client, le fonds de garantie prend en charge une partie à hauteur de 50%. Nous sommes conscients que nous ne maîtrisons pas toutes les conséquences économiques dues à la crise sanitaire. Nous avons besoin de plus de ressources pour faire face à toutes les crises qui vont suivre».
Maïmouna SOW
Source : L’ESSOR