Aspirer à un monde où règnent Paix, Justice et Sécurité, une aspiration légitime pour toute l’Humanité, relèverait-il d’une utopie ?
L’être humain, animal social doté autant d’égo que d’intelligence, a-t-il dans son ADN inscrit « fatalité et animosité dans la fraternité » ? De nos jours, la planète se porte très mal, du fait de l’Homme qui peine à vivre en harmonie avec la nature et qui combat non, sans mal, ses propres incohérences, entre Justice et Vengeance.
Plus de vingt ans après sa création, la Cour pénale internationale (CPI) continue d’incarner un idéal de justice universelle : juger les responsables des crimes les plus graves, quel que soit leur rang ou leur pays d’origine. Pourtant, à l’heure où des conflits de grande ampleur secouent le monde, notamment la guerre en Ukraine et celle en cours à Gaza, a CPI peine à faire entendre sa voix. Entre blocages géopolitiques, adhésions sélectives au Statut de Rome et inégalités dans le traitement des situations, les limites de la justice pénale internationale apparaissent de plus en plus criantes.
L’illusion d’une justice universelle dans un monde polarisé
Le Statut de Rome, fondateur de la CPI, prévoit trois modalités de saisine : par un État partie, par le Conseil de sécurité des Nations unies, ou par le procureur de la Cour, sous réserve de l’autorisation d’une chambre préliminaire. En théorie, cela permet à la Cour d’intervenir dans des contextes variés. En pratique, ces mécanismes révèlent une dépendance étroite aux équilibres diplomatiques et une instrumentalisation politique du droit international.
L’exemple de la guerre en Ukraine est particulièrement révélateur. En mars 2023, la CPI émet un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine pour crime de guerre, en lien avec la déportation d’enfants ukrainiens vers la Russie. Cette décision marque une première historique : un chef d’État d’un membre permanent du Conseil de sécurité est visé par la CPI en plein exercice de ses fonctions. Pourtant, cette avancée soulève immédiatement des critiques sur l’impartialité de la Cour. Car si l’intervention russe est poursuivie, aucune enquête équivalente n’est engagée sur d’éventuelles violations commises par les forces ukrainiennes, malgré les allégations sur le traitement des prisonniers ou les frappes indiscriminées.
Plus encore, l’absence de juridiction de la CPI sur le territoire russe, du fait que la Russie n’est pas partie au Statut de Rome, limite concrètement la portée du mandat. L’arrestation de Vladimir Poutine ne peut avoir lieu que dans un État coopérant avec la Cour. Autrement dit, la justice ne s’applique que dans les marges de la puissance politique, un constat qui rappelle les limites systémiques de la Cour.
Le cas de Gaza : une démonstration des déséquilibres de traitement
Plus récemment, la guerre déclenchée à Gaza après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 a brutalement remis au centre du débat la question de l’universalité du droit international. Alors que les bombardements israéliens font des milliers de victimes civiles et soulèvent des accusations de violations graves du droit international humanitaire, la CPI est appelée à se positionner. Le bureau du procureur, sous la direction de Karim Khan (qui a décidé de démissionner de manière temporaire après l’ouverture d’une procédure pour faute présumée à son encontre), a ouvert une enquête depuis 2021 sur les crimes commis dans les Territoires palestiniens occupés. Cependant, la lenteur des procédures et l’absence de mesures concrètes à l’encontre d’Israël ou du Hamas nourrissent une suspicion d’inaction sélective.
Certains observateurs dénoncent un deux poids, deux mesures : alors que les mandats d’arrêt à l’encontre des responsables russes ont été délivrés rapidement, la situation à Gaza semble traitée avec beaucoup plus de prudence diplomatique. Le fait qu’Israël ne soit pas partie au Statut de Rome, combiné à l’influence des États-Unis, freine toute évolution rapide. Cette asymétrie de traitement jette le doute sur la capacité réelle de la CPI à garantir une justice indépendante, au service des victimes, quel que soit le camp.
Une justice sans bras exécutif
Outre ces considérations politiques, la CPI souffre d’un handicap structurel majeur : elle ne dispose d’aucune force propre d’exécution. Elle dépend entièrement de la coopération des États pour arrêter les personnes visées, collecter des preuves et faire appliquer ses décisions. Dans le cas de Poutine, par exemple, aucun pays allié de la Russie n’a manifesté sa volonté d’agir sur la base du mandat. L’Afrique du Sud, hôte du sommet des BRICS en 2023, a même évoqué un retrait de la CPI pour éviter d’être contrainte à exécuter le mandat.
À Gaza, la situation est encore plus délicate. L’enquête en cours, très médiatisée, se heurte au manque d’accès au terrain et à la complexité de distinguer les responsabilités entre des groupes armés non étatiques, des États, et des acteurs tiers. Ce contexte illustre l’incapacité de la CPI à agir sans une volonté politique forte des États impliqués ou influents.
Quel avenir pour la justice pénale internationale ?
Face à ces limites, plusieurs pistes d’amélioration sont régulièrement évoquées : élargir l’adhésion au Statut de Rome, réduire le rôle du Conseil de sécurité dans les saisines, renforcer les moyens d’enquête sur le terrain, ou encore créer une force d’exécution indépendante. Mais toutes ces réformes se heurtent à la même réalité : l’ordre international est fondé sur la souveraineté des États, et la justice internationale demeure dépendante de leur bon vouloir.
Pourtant, malgré ses imperfections, la justice pénale internationale conserve une portée symbolique fondamentale. Le fait même que des chefs d’État soient visés par des enquêtes ou des mandats d’arrêt envoie un message fort : l’impunité n’est plus absolue. C’est aussi un signal pour les victimes, les militants des droits humains, et les sociétés civiles : la justice peut être lente, mais elle existe.
En définitive, la CPI n’est ni un tribunal des vainqueurs, ni un outil neutre de règlement des conflits. Elle est le reflet des contradictions du monde contemporain, mais aussi un levier fragile, contesté, mais indispensable vers un idéal de responsabilité globale. Dans un monde de plus en plus fracturé, renforcer la justice internationale, c’est défendre un minimum commun d’humanité.
Pour que les crimes graves (crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide) cessent, il faudrait que survienne un État-Justice totalement affranchi des pesanteurs politiques et diplomatiques des relations internationales et qu’il soit ultra puissant, beaucoup plus que toutes les grandes puissances réunies. Cet État sera doté du mandat ultime de mener à bien les procédures judiciaires et disposera d’une force policière à même d’arrêter les présumés auteurs. La coopération des États ne sera donc plus nécessaire. Cependant, toute raison gardée, ce scénario est plutôt digne d’un film hollywoodien car d’ores et déjà, la planète semble devenir de plus en plus étroite pour les super puissances de ce monde.
Ahmed M. Thiam
Source: L’Alternance