Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK, était au Parlement Européen ce mardi 10 décembre 2013, au terme d’une tournée commencée à Paris. Presque un an après l’intervention française, quatre mois après son élection à la présidence de la République malienne, il a démontré les dangers de sa politique qui vise avant tout à restaurer le Mali d’avant. Au même moment, François Hollande engageait la France et l’Europe à Bangui dans le crise centrafricaine.
Visiblement la tournée européenne d’IBK avait deux objectifs : convaincre l’armée française de s’en prendre au MLNA pour faire place nette à l’armée malienne en Azawad, et activer au plus vite l’aide internationale promise pour la reconstruction du Mali, 3,2 milliards d’euros, dont l’Europe est le pivot, et dont son régime a grand besoin pour survivre.
Ainsi, dans une interview donnée au Monde au premier jour de son voyage officiel, IBK tempêtait dans les colonnes du quotidien du soir : « la communauté internationale nous oblige à négocier sur notre sol avec des gens qui ont pris des armes contre l’Etat. L’Etat malien est contraint de négocier avec un groupe armé qui s’en vante, dans quelle comedia dell’arte sommes-nous ? ». Et il insistait lourdement : « aux abords de Kidal, on a bloqué les Maliens. Pourquoi? Serions-nous des barbares d’une autre époque qui, une fois à Kidal, se mettraient à massacrer tout le monde? Nous ne sommes pas une armée de soudards. »
La réponse est venue aussitôt à travers la découverte d’un charnier par des journalistes américains. A Tombouctou, les corps de six habitants signalés disparus par leurs familles alors qu’ils venaient d’être arrêtés par l’armée malienne ont été exhumés. Ils avaient été exécutés sommairement et de nombreux autres disparus manquent encore à l’appel. Le 28 novembre dernier, à Kidal, l’armée malienne a tiré sur une foule désarmée, tuant deux femmes et blessant des enfants.
Aussi, une semaine plus tard, IBK était obligé de faire profil bas devant le Parlement Européen, affirmant « vouloir relancer le dialogue », « développer en priorité les territoires du Nord », « prendre en compte la revendication touarègue qui se pose depuis 50 ans », parlant de « régionalisation » et promettant de faire toute la vérité sur toutes les exactions commises.
Le rétropédalage européen du Président malien semble répondre à un sérieux « recadrage ». Du Président français? Apparemment moins que de l’Union Européenne dont l’engagement sera conditionné à la perspective d’une solution effective à la crise de l’Azawad.
Avec les représentants du MLNA, nous avons tenu conférence de presse, Paul Molac, le député RPS breton, et moi-même, à Paris la veille de l’arrivée en France du Président malien, puis à Strasbourg, avec Jean Jacob Bicep, juste après son allocution devant le Parlement européen. Il fallait tirer la sonnette d’alarme, au lendemain de la répression sanglante de Kidal, effectuée sous le regard de l’armée française. L’engrenage qui se met en place ne peut que dégénérer. Il y a eu cinq victimes l’autre jour à Kidal, demain ce sera cinquante ailleurs, et après-demain cinq cents. Les Européens, Français en tête, auront inévitablement les mains sales, et, dans un tel contexte, les islamistes auront le champ libre. L’échec de l’intervention française serait alors irrémédiable. L’urgence est donc de bloquer définitivement, et très clairement, les intentions belliqueuses de Bamako relayées par le président IBK à Paris.
Le Mali doit reconnaître les droits du peuple d’Azawad en procédant non pas à une simple régionalisation, mais en installant une véritable autonomie. Les exemples sont nombreux en Europe, dont on peut s’inspirer : îles Feroe au Danemark, îles Aland en Finlande, les cantons de la Confédération suisse ou le statut de l’Ecosse en Grande Bretagne, où Londres a reconnu le droit à l’autodétermination. Sinon la crise de l’Azawad restera sans solution, l’engagement de l’Europe au Mali sera un échec, et le terrorisme aura de beaux jours devant lui dans toute cette région du Sahel.
A l’heure où une nouvelle intervention militaire a été déclenchée en Centrafrique, des principes politiques clairs doivent être posés et mis en œuvre réellement. Et de la façon dont évoluera le précédent malien dépendra l’avenir de l’engagement de l’Europe en Afrique.