Le 24 mars, une vidéo diffusée en direct de Tunis sur Facebook a suscité des réactions contrastées sur les réseaux sociaux. On y voit des policiers violenter et insulter des personnes qui faisaient la queue devant la municipalité d’une banlieue ouest de la capitale tunisienne, enfreignant les mesures de confinement total mises en place.
“N*** ta mère, rentre chez toi !” hurle un policier au début de l’extrait, filmé du haut d’un immeuble faisant face à l’entrée de la mairie du Bardo, en banlieue ouest de Tunis. L’intervention se poursuit, sur fond de sirène assourdissant. Tout au long de l’avenue de l’Indépendance, des personnes font la queue, visiblement pour aller à la municipalité.
Le confinement total entre 6h et 18h a été annoncé en Tunisie le 21 mars, il est appliqué depuis le 22 mars. Cette mesure vient s’ajouter au couvre-feu mis en place depuis le 18 mars de 18h à 6h ainsi qu’à la fermeture des lieux de regroupements (cafés, mosquées et bains publics). Pourtant, l’Etat et beaucoup d’internautes estiment que ces mesures ne sont toujours pas suffisamment respectées.
Pour Saif Ben Tili, coordinateur au sein de l’ONG tunisienne Al Bawsala qui milite entre autres contre les violences policières, la progression de tels actes de violences policières “pourrait rapidement dégénérer” sous un “état d’exception” comme l’est la crise sanitaire actuelle.
“Les Tunisiens se sont habitués au fait qu’un policier, ça tape sur les gens pour faire respecter la loi”
Depuis le début de l’épidémie du coronavirus en Tunisie, l’Etat adopte la règle du “tous les coups sont permis” [pour imposer le confinement total, NDLR]. On se retrouve dans une situation où l’opinion publique est hostile à ceux qui enfreindraient le confinement. Or, ces personnes-là ne sortent pas par inconscience ou insouciance, mais bien par nécessité : pour faire leurs courses, travailler ou se déplacer aux administrations pour accéder à leurs retraites ou leurs mandats postaux.
La Tunisie a prévu de mettre en place des services d’accès à distance pour les retraits, les paiements en ligne et les opérations administratives, mais, pour beaucoup de Tunisiens, le service n’est pas encore à la hauteur.
Les personnes qui excusent ou tolèrent ce genre d’attitude font souvent référence à “l’état d’exception” que traverse le pays et le monde entier. Sauf que, légalement, la Tunisie est en état d’urgence depuis 2015 [levé en 2014 et réinstauré en 2015 après une série d’attentats djihadistes, NDLR], indépendamment de la pandémie. Cela ne justifie pas pour autant une violation des droits humains, au contraire.
Si des citoyens continuent à sortir et ignorer le confinement, c’est à cause du flou au niveau de la communication de l’Etat : beaucoup de personnes ne savent pas encore entièrement ce qui se passe et les risques qu’ils encourent. Les autorités leurs disent de garder leur foyer, mais plusieurs institutions et commerces restent ouverts malgré le couvre-feu et le confinement. Et quand bien même les agents de l’ordre se retrouvent débordés et doivent imposer les mesures, la violence n’est absolument pas la meilleure attitude à adopter. Je rappelle que la population s’est levée contre ce trop-plein de pouvoir et de violence policiers il y a neuf ans [en décembre 2010, un mouvement populaire a provoqué le départ du président Ben Ali, lançant le “printemps arabe”, NDLR]. La violence policière a été et est encore un outil institutionnel qui prouve son inutilité aujourd’hui. User de la violence engendrerait potentiellement un autre forme de violence, de la part des citoyens contre les agents de l’ordre et ce qu’ils représentent : l’autorité aveugle et le mépris.
Vers la fin de la vidéo originale, l’auteure commente la scène : “bien fait pour eux, ils resteront chez eux comme ça!”, avant d’appeler son père… qui était lui-même dehors. Dans les commentaires sous la vidéo, partagée plus de 7000 fois sur Facebook, la plupart des internautes se réjouissent du traitement infligé par les forces de l’ordre.
Saïf Ben Tili poursuit :
Malheureusement, beaucoup de Tunisiens ne connaissent pas encore leurs droits, surtout dans des circonstances de crise. Ils se sont tellement habitués au fait qu’un policier, ça tape sur les gens pour faire respecter la loi, et pas autrement. Al Bawsala a publié un communiqué sur la même vidéo et les réactions des internautes sont déconcertantes : elles condamnent toutes ou presque les victimes et disent que les coups sont le seul moyen de leur imposer le respect des mesures.
Contacté par la rédaction des Observateurs, le commissariat de police du Bardo nous a répond que “ces citoyens n’ont pas respecté la loi” sans faire plus de commentaire.
Article écrit par Fatma Ben Hamad.
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