En dépit des nombreux séminaires et états généraux sur l’école au Mali, elle reste le parent pauvre de son administration. Mais elle n’est pas la seule, car d’autres secteurs, comme la santé, et les services sociaux de base travaillent dans des conditions déplorables, alors que l’administration générale est privilégiée. Cette tendance doit être inversée, afin de motiver ceux qui ont choisi l’éducation et le travail de terrain comme sacerdoces pour l’avenir du pays.
Au cours d’un séjour récent au Mali, avec un peu de recul, j’ai pu constater de visu certaines réalités, qui me font dire que l’injustice reste criarde au niveau de certaines professions.
Le grin que je fréquente grâce à mon ami, Beffon Cissé, médecin de son état, est un grin d’enseignants. La majorité des membres de ce grin sont des enseignants, et le chef de grin, un directeur d’école. La belotte est leur passe-temps favori après l’école. Voici des gens qui vivent modestement de leur salaire, dans des conditions simples et humbles, mais qui gardent leur sourire et leur dignité, parce qu’ils n’ont pas regretté le choix qu’ils ont fait d’éduquer les jeunes, afin de les préparer à un avenir meilleur. Une dizaine de motocyclettes, le moyen de transport qu’ils ont pu s’offrir après ces longues années de service sont garées là, attendant d’être enfourchées pour le retour à la maison au petit soir. Ces personnes enseignent dans des classes surpeuplées, et ne pensent qu’à l’amélioration minimum de leur cadre de travail. C’est avec fierté que je côtoie, ces amis qui ont certainement la conscience tranquille, car ayant tout donné. Ils méritent mieux mais au vu des priorités actuelles de la classe dirigeante, ceci n’est pas pour demain.
Je suis passé, les jours suivants, à l’école normale supérieure, l’école qui m’a formé entre 1977-1983, pour récupérer mes notes de classes indispensables pour la constitution de mon dossier d’enseignant dans mon nouvel univers. J’en ai profité pour rendre visite à mon DER (Département d’Etudes et de Recherche) d’anglais, pour voir mes anciens promotionnaires et anciens professeurs. J’étais surpris et fier à la fois d’y retrouver mes anciens professeurs d’il y a 35 ans, comme Salam Diakité. Toujours le même, avec son sourire, son humilité, que plus de quarante ans de métier n’ont pu vaincre.
Mais j’étais déçu de constater que le DER d’anglais, à l’instar de tous les autres DER sont dépourvus de tout confort, sans commodités adéquates pour des professeurs, docteurs et ph.d, pour travailler correctement. Quelques chaises éparpillées çà et là, même pas un petit bureau par professeur, ou une grande table et quelques classeurs pour se réunir, corriger ou archiver leurs nombreux documents. C’est le minimum qu’on devait espérer, après ces nombreux états-généraux.
Un autre jour, un tour dans les départements ministériels et autres directions de services, m’a permis de constater un cadre de travail différent. Ici, les bureaux sont climatisées en général, les tickets d’essence sont offerts hebdomadairement, les cours sont remplies de voitures luxueuses ou moins luxueuses, lavées à grande eau à tout moment par les plantons de services avec l’eau « gratuite », du café de service, bref, un monde diamétralement opposé au précédent, qui attirerai tout jeune diplômé, car symbolisant la réussite. La plupart des jeunes nouveaux patrons, véhiculés, carburés, climatisés, furent dans un passé récent, des élèves de ceux qui sont cités plus haut, mais vivent aujourd’hui bien mieux qu’eux.
Même constat, entre les jeunes médecins et infirmiers sur le terrain, comparés aux médecins qui ont préféré la santé publique dans les bureaux climatisés; même constat entre les ingénieurs sur le terrain par rapport aux ingénieurs qui sont plutôt des conseillers dans les bureaux.
A qui la faute ? A personne, c’est un héritage de l’administration qu’on n’a jamais tenté de réviser. Et c’est là mon propos, il faut innover, en inversant cette tendance: Encourager par des primes, et d’autres accessoires, au profit des enseignants et autres travailleurs sur le terrain, pour équilibrer et mieux partager les ressources du pays entre ses fils, et ainsi éviter les frustrations, sources de conflits socioprofessionnels.
Cela n’est cependant possible qu’en diminuant les avantages de ceux qui ont choisi de rester dans le luxe des bureaux pour les redistribuer aux autres comme les enseignants, et les techniciens des autres secteurs. Mais ceux qui sont sensés y réfléchir, une fois installés dans le confort de leurs bureaux, cessent d’y penser.
Le développement du Mali commence par la remise en question de cet ordre frustrant qui permet à ceux qui ont choisi la facilité de l’administration bureaucratique de beaucoup mieux vivre que ceux qui ont choisi de travailler sur le terrain. Les seconds, à commencer par les enseignants sont pourtant les piliers indispensables pour l’existence des seconds. Ils méritent mieux que ça, ils ne doivent pas être les parents pauvres d’une administration dont ils sont le géniteur principal.
Kalifa Gadiaga
Professeur d’Enseignement Secondaire.
Columbus Ohio – USA
PS: Ni aigri, ni hassidi.
Source: Zénith Balé