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Contribution: Indépendance : 60 ans vraiment ?

«Développe en toi l’indépendance à tout moment avec bienveillance, simplicité et modestie». Marc Aurèle, Empereur romain.

Un extraterrestre qui débarquerait aujourd’hui sur le continent africain serait surpris d’apprendre que la plupart de ses pays sont indépendants depuis soixante ans. S’il a le sens de l’humour et du goût pour le théâtre, il penserait à une mauvaise comédie jouée par des amateurs.

Soixante ans presque sans ride, tel lui apparaitra le continent. L’Afrique mène sa vie au jour le jour, se nourrit d’expédients à la place de prévisions, la sébile tendue, attendant l’obole. Inerte face à des puissances qui lui imposent leurs conditions, leur volonté, leur moment, leur bon plaisir en affichant parfois leur mépris.

L’Afrique vit-elle en 2020 ou en 1960, l’année mythique des indépendances avec la fin du travail forcé, de la chicotte, de la suprématie du chef blanc, avec ses images d’Épinal de chachacha dans les rues. Les Africains ont traduit la liberté nouvelle en fainéantise, licence et indiscipline. Conséquences : reproduction des défauts du colonisateur : favoritisme, divisions, brimades.

Les nouveaux dirigeants, sous le prétexte de la construction nationale, ont étouffé toute voix dissonante. L’opposition avait le choix sinistre entre les geôles ou le tombeau. La seule parole tolérée est celle du Grand Timonier, du Père Fondateur, du Guide Suprême, aimé, adulé et chanté par des populations soumises par des dirigeants auxquels elles doivent leur affranchissement de la tutelle coloniale, selon l’idéologie officielle. Elles sont donc taillables et corvéables à merci. Elles ont ignoré ce beau mot de l’Empereur et philosophe romain Marc Aurèle : «Développe en toi l’indépendance à tout moment avec bienveillance, simplicité et modestie».

CULTE DE LA PERSONNALITÉ- L’indépendance nouvellement acquise impose que tout le monde pense et dise la même chose au même moment. Elle est caractérisée par le culte de la personnalité. Son Chef est l’homme fort à la tête d’un État hyper centralisé tenu par la terreur physique et psychologique. Le Chef est connu pour être susceptible, irascible et vindicatif lorsque son pouvoir est en cause. Il fait croire qu’il est invincible, invulnérable et installé au pouvoir par un décret divin. Jusqu’à ce qu’il soit dégagé de son palais manu militari par un militaire de rang subalterne. La moitié des soixante ans d’indépendance n’a connu que des alternances violentes entre les pères de la nation autoproclamés tels et leur propre garde prétorienne.

Et vint, à la fin de la décennie 80, l’ère de la démocratisation en Afrique, fermement «conseillée» par l’ancien président français François Mitterrand dans un discours mémorable tenu à la Baule en juin 1990 à l’occasion du 16è sommet France-Afrique.

Une longue période s’en suivra alignant son cortège de démagogues patentés, d’opportunistes mangeant à tous les râteliers politiques, de militants sans conviction, une race d’affairistes puisant allègrement dans les caisses de l’État confondues avec leurs poches personnelles.
Toute une faune interlope a fait son apparition pour se servir sur la bête.

La démocratisation, telle que pratiquée, a pris l’allure d’un tremplin pour toutes sortes d’individus. Leurs méthodes sont connues : élections truquées, achats des votes, tripatouillages des constitutions et refus de tout regard extérieur au nom de la souveraineté dont on jure qu’elle a été chèrement acquise. Dans les premières années de l’indépendance tout comme avec l’instauration ou le retour au multipartisme, il n’y avait aucun garde-fou contre la mauvaise gouvernance.

L’oppression du peuple du temps du parti unique a été prolongée par le régime démocratique qui a abondamment utilisé l’argent pour combler une absence de vision et de leadership.

Les populations africaines retiennent de soixante ans d’indépendance les manques et insuffisances d’infrastructures, d’énergie, poumon du développement, d’eau, source de vie et enjeu des années à venir. L’éducation et la santé, ainsi que la sécurité attendent toujours d’être au cœur des investissements prioritaires.

Dans les pays du Sahel, la sécurité était naguère considérée comme assurée grâce à la présence des forces de défense et de sécurité. Aujourd’hui, elle est fortement compromise et aléatoire à cause de l’action de groupuscules surarmés, mus par des idéologies obscurantistes portées par des individus sans foi ni loi.

Soixante ans après les indépendances, incontestablement, le niveau de dénuement dans la plupart de nos pays est tel que le slogan du combat pour le développement est devenu, sans transition, lutte contre la pauvreté.

Nos dirigeants n’ont peut-être pas le courage politique de nous dire, comme le Président haïtien Jean-Bertrand Aristide, qui avait comme ambition de faire passer son pays de «la misère à la pauvreté». Dieu, où est donc passée la lutte pour la richesse ? Cette seule question est l’aveu d’un recul par rapport à la gestion antérieure, celle d’avant «démocratisation» au point que l’on se surprend à regretter les dictatures qui ont caractérisé parfois les premiers moments de la souveraineté nationale.

De nombreux acquis socio-économiques ont été bradés avec des conséquences multiformes comme la déscolarisation, le chômage, la «débrouillardise» comme mode de vie, la corruption et la concussion érigées en système. Il serait abusif d’attribuer ces dérives à l’avènement de la pratique démocratique. Mais on peut les lier à la carence de vrais démocrates pour piloter la démocratie dans nos jeunes nations. La preuve, à chaque moment de crise, les arbitres sont restés les mêmes, les porteurs d’uniformes.

De fait, le ratage peut être attribué à un mauvais décollage au moment de l’accession à l’indépendance. Des ensembles unis ont été morcelés. Rien qu’en Afrique coloniale française, deux entités uniformisées (de l’Ouest et du Centre), ont été divisées en 14 nouveaux États souverains après le retentissant NON de la Guinée au référendum de 1958.

Les rares pays qui ont essayé de se retrouver sous forme de fédération (Mali-Sénégal) ou d’union (Ghana-Guinée-Mali) n’ont pas résisté aux pièges des égos et à l’attrait de l’hymne, du timbre, de la devise et du drapeau, symboles de l’indépendance dans des frontières héritées de la colonisation rendues intangibles par la Charte de l’Organisation de l’unité africaine en 1963.

Serait-il un crime de lèse-souveraineté que de proposer le retour aux grands ensembles ? Individuellement, nous sommes faibles face au reste du monde, ensemble nous pouvons espérer être forts.

COMMERCE INTRA-AFRICAIN- Notre extraterrestre débarquant encore sur le continent apprendrait, à travers les réseaux sociaux, que l’Africain au quotidien consomme ce qu’il ne produit pas et produit ce qu’il ne consomme pas. On force à peine le trait.

Sait-on suffisamment que le commerce intra-africain pèse très peu avec seulement 15,4% contre 61,7% et 40,3% respectivement pour l’Union européenne et l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA). Avec l’avènement de la Zone de libre échange du continent africain (ZLECA), initialement prévu en juillet dernier et renvoyé au mois de janvier prochain, le taux africain devrait être de 21% en… 2035, dans 15 ans exactement, soit le tiers de ce qu’il est actuellement en Europe.

La question féroce de l’extraterrestre serait : où l’Afrique a-t-elle englouti sa dette de 365 milliards de dollars, dette qui était de 16,3 milliards de dollars à la fin des années 1960 ? Quels équipements acquis ? Quels projets financés ? Combien d’hôpitaux et d’écoles construits ? Cette énorme dette sera pourtant à rembourser par les générations futures malgré le généreux moratoire de douze mois accordé jusqu’à décembre pour cause de Covid-19.

L’Afrique a tout de même réalisé le miracle d’avoir atteint 60 ans sans aucune ride. Coûteuse coquetterie. Toujours dans l’innocence immaculée en train de regarder passer l’Histoire.

Hamadoun TOURÉ
tahamadoun@yahoo.com

Source: Journal l’ Essor-Mali

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