Un chef est fait pour prendre des décisions, disait en son temps feu Boubacar Sada Sy. Comme pour corroborer cette assertion, le président Ibrahim Boubacar Keïta a pris le 16 juin devant les forces vives réunies au CICB, des décisions mémorables face à la crise que traverse notre pays. Il était temps. Préparait-il l’opinion au bond qualitatif qu’il s’apprêtait à faire ? On serait tenté de répondre par l’affirmative. Le président IBK dans un style singulier et aux accents gaulliens avait fait un usage exceptionnel du «Je» dans son adresse à la Nation le 14 juin dernier. Comme pour répondre à ceux qui le taxaient de passivité voire d’inaptitude.
«J’ai suivi… j’ai entendu… j’œuvre… je travaille… je veux… je vous ai compris…»
Le président Keïta, dans cette adresse à la Nation, à la fois grave et sereine, n’a pas hésité une seule fois à endosser le manteau de la première personne du singulier, au moins 18 fois dans un discours d’une dizaine de minutes.
Le «Je» de la responsabilité, du chef d’équipe, du chef de famille, du chef de l’État «dont la mission est de servir le Mali», à qui il «appartient de tout faire pour éviter d’ajouter une crise politique aux crises sécuritaire, sanitaire et économique que nous vivons déjà et dont le rôle est de savoir prévenir les schémas de confrontations violentes qui ne feront le bonheur de personne» .
Ce souci de préserver la paix et la cohésion sociales est exprimé à destination des acteurs du Mouvement du 5 juin, qui, après leur démonstration de force, ont remis cela le vendredi 19. Mais aussi à ses partisans, qui, piaffant d’impatience d’en découdre avec ces derniers avaient été contraints d’annuler leur marche du mercredi 11 juin 2020 et sans lâcher prise, viennent de créer la Convergence des forces républicaines. C’est le «Je» de celui qui considère que rien ne saurait être au-dessus du Mali et du confort des Maliens et qui n’aura d’autre limite que la Constitution. Le président de la République, capitaine du Bateau Mali aura fait des annonces fortes, face à la situation.
«…. Les colères et les cris …les revendications et les interpellations» du parti de la demande sociale reprises en chœur, capitalisées par le Mouvement du 5 juin devront donc trouver «réponse diligente et efficace» dans «une main toujours tendue» avec ses cinq doigts pour prendre à bras-le-corps les cinq priorités identifiées : la crise scolaire (1) ; la santé (2) ; la crise post-électorale (3) ; la question des déplacés du Centre (4) et les défis sécuritaires (5). Comme pour signifier que le «Je» du 14 juin n’était ni un effet de style, ni une surévaluation de son égo, le président IBK en capitaine du Bateau Mali, battu par les flots, mais imperturbable, continue la montée en puissance dans la recherche de solutions à la crise sociopolitique aiguë que traverse notre pays.
Des annonces, à leur mise en œuvre, soixante-douze heures ont suffi. Joignant l’acte à la parole du 14 juin, il tranche le nœud gordien de la crise scolaire : l’article 39 connaîtra une application immédiate et complète, a-t-il instruit. Il était temps de décider. Avait-on besoin de tergiverser car la loi c’est la loi ? Il faut l’appliquer, il fallait l’instruire au gouvernement plus tôt.
Dans un souci d’associer le maximum des fils et filles du Mali à la gestion et de ne jamais exclure personne, le gouvernement de changement, exclusivement, porté sur des résultats définis au préalable et mesurables, annoncé le 14 juin sera un «Gouvernement d’union nationale». Là aussi, il fallait décider et assumer. Il reste maintenant que le temps n’est pas le meilleur allié du président IBK. Il reste également que la démocratie n’est pas loin du tango, ça se danse à deux.
Le président IBK aura-t-il en face des interlocuteurs disposés et disponibles pour le futur chantier du développement du Mali dont le nom est «mise en œuvre des conclusions et recommandations du Dialogue national inclusif» ? Nous étions tous au DNI, il serait inconséquent de ne pas être là quand sonne l’heure de la mise en œuvre des conclusions et recommandations qui en sont issues. Quant au sort de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle, le maître-mot en la matière c’est bien le dialogue, la concertation. Il s’agit de se hâter lentement. Dissoudre l’Assemblée nationale, c’est s’attaquer au thermomètre et non à la fièvre ; procéder à des élections partielles, c’est amputer avant de donner le coup fatal… C’est grossir le nombre des mécontents avant d’abattre le président alors affaibli. Voici le piège !
Dissoudre la Cour constitutionnelle serait un désaveu pour toutes les institutions à commencer par le président qui, logiquement, sera amené à démissionner parce que son élection sera considérée comme adoubée par une Cour incompétente. Il est temps que le président Keïta laisse ses partisans s’exprimer. L’opinion nationale et internationale a besoin de savoir si en face des contestataires, il existe une autre voix. Oui, la majorité silencieuse a besoin de s’exprimer dans la rue si elle ne veut pas être complice du crime qui se prépare contre la République et ses institutions.
La solution mi-figue mi-raisin, présentée par la Cedeao, est le résultat de la non-visibilité des défenseurs de la République et de ses institutions, de la non lisibilité de leur engagement et de leur détermination en faveur d’un Mali démocratique, républicain, laïc et uni.
Le scénario qui se prépare ne présage rien de positif pour la République. Une poignée d’hommes politiques en perte de représentativité depuis quelques années surfent sur la crise généralisée qui frappe notre pays, catalysent le mal-vivre réel, la pauvreté et la soif de justice incontestables, le climat d’insécurité d’un pays en guerre, sous la houlette d’un politico-religieux dont l’ambition réelle semble être la création d’une République islamique. La stratégie : occuper les rues de Bamako pour faire tomber les institutions. Seul projet politique : faire partir le président de la République… Et après… le saut dans l’inconnu. Surréaliste !
A-t-on demandé aux millions de Maliens qui viennent d’élire leurs députés ce qu’ils pensent de tout cela ? Quel mépris de la part des nostalgiques de mars 1991 et mars 2012 ! Le peuple a besoin de la vérité.
Ceux qui défendent la République doivent s’indigner et montrer dans la rue avec responsabilité et dans la discipline qu’ils sont les plus nombreux, c’est cela la Démocratie. Toute autre attitude serait suicidaire pour la République. Autre épine dans le pied de la République, la question paysanne. L’incohérence dans le discours officiel, les tergiversations et autres atermoiements du gouvernement autour de la fixation du prix du coton, débouchent incontestablement sur une implosion du monde paysan.
Face à ce qui se profile à l’horizon et qui à toute l’allure d’une rébellion paysanne, le «Je» du 14 juin doit s’exprimer avec entièreté pour amener les paysans à cultiver du coton. Oui ! IBK doit instruire le gouvernement de mettre les paysans dans les conditions avant qu’il ne soit trop tard. Car ne pas cultiver le coton serait une catastrophe pire que la pandémie de la Covid-19 pour la zone CMDT. Nous en redemandons de ce «Je» de leader et de ce «Je» de chef charismatique pour le Mali ! Oui un chef, c’est fait pour décider !
N’tji Koné, fonctionnaire à
la retraite
Source : L’ESSOR