Par ces temps de médias triomphants, l’opinion est devenue l’inévitable intruse de la démocratie souvent pour le pire, parfois pour le meilleur. S’agissant de l’argent public, elle se fait beaucoup attendre, malheureusement elle ne chante pas la bonne partition. Elle en reste au grand air de la corruption et oublie toujours la cacophonie du gaspillage. Dun côté, les élections constituent une occasion en or pour sanctionner légitimement et légalement ceux-là qui sont considérés comme des corrompus et d’autre côté, les citoyens que nous sommes faisions preuve d’une incroyable complaisance à l’égard des dilapideurs et autres gaspilleurs d’argent public impliqués dans des affaires ténébreuses et compromettantes.
Cette “corruption douce” qu’est le gaspillage aussi pire à nos yeux que le pillage, perdurera aussi longtemps que les Maliens en seront les complices actifs ou résignés, car elle représente pour la catégorie dépensante la solution de facilité. Elle ne saurait être combattue qu’à partir d’un vaste mouvement d’indignation et de protestation qui ferait planer la menace d’une impitoyable sanction électorale.
Notre propos ne saurait à lui seul provoquer un tel sursaut. Même une campagne de presse n’y suffirait pas, il faut en être conscient, mais cela pourrait être un puissant allié qui finira par réveiller un peuple.
Par ailleurs, avec la crise actuelle qui frappe notre pays, le fait de dilapider les fonds aggrave dangereusement les problèmes sociaux : chômage, éducation, santé, sécurité, pauvreté, logement. Le fait de gaspiller ces fonds amène les citoyens à éprouver un sentiment d’une dégradation générale avec son cortège d’abandon de la citoyenneté, socle de notre jeune démocratie.
Et pour sanctionner cette impuissance, ils se retournent de plus en plus vers les formations non parlementaires ou bien se réfugient dans l’abstention. Le très faible taux de participation aux différentes échéances électorales n’est-il pas suffisamment éloquent à nos yeux et la preuve irréfutable de cette indifférence citoyenne ?
Aujourd’hui, la majorité des Maliens admet que la citoyenneté s’est dégradée, que l’intérêt particulier prime sur l’intérêt général. Reconnaissons que cette dérive s’est faite progressivement au fil des ans et quelle a atteint maintenant la côte d’alerte. En effet, en parlant opportunément de l’argent public, nous affirmons qu’il est à nos yeux le meilleur indicateur de ce laxisme général.
La dépense publique, qui est un acte politique s’apprécie plus aisément que la législation. Elle permet au citoyen, de porter un premier jugement sur la façon de gérer l’argent public. Cela permettrait aux citoyens de comprendre qu’on n’a nullement besoin de les voler pour ruiner le pays et que souvent l’argent public est plus dilapidé (gaspillé) que détourné (pillage).
Si notre modeste réflexion risque d’alimenter quelque part le mécontentement populaire ? Tant mieux ! Aujourd’hui, il faut constituer, voire conforter une vraie force de changement sans démagogie aucune, car la grogne est fourvoyée dans la colère populiste.
C’est en changeant son objet que nous en feront une colère civique ; autrement dit “transformerons cette colère populiste, négative, improductive en colère civique plus positive, donc plus constructive”. C’est en cela que les citoyens que nous sommes ne se révolteront plus contre, mais pour la République. Nous citoyens, proposeront alors à la classe politique et à nos institutions une nouvelle règle de jeu :“La rigueur d’abord, les projets ensuite, les promesses jamais”.
Sur de telles bases, le débat démocratique retrouvera son authenticité et son attrait. Autant on peut juger les hommes politiques sur les grandes valeurs, autant on pourrait les sanctionner s’ils abusent de l’argent public. Ce retournement pourrait s’opérer dès les prochaines élections car les populations supportent de plus en plus mal la frénésie dépensière de certains élus ou hommes politiques. Ceux-ci qui ne peuvent plus présenter des résultats à la mesure des efforts demandés se trouveront aisément sur la sellette. Ainsi progressivement, logiquement, les citoyens prendront goût au combat électoral et reporteront leurs voix sur les plus rigoureux.
Avec l’optimisme qui sied à tout bon citoyen, nous restons convaincus que ces mêmes comportements se retrouveront sur le plan national, lorsque le respect de l’argent public deviendra le premier critère de jugement, celui qui sert à éliminer. Ainsi, une fois les formations irresponsables mises hors de course, les électeurs feront le choix entre celles qui refusent la démagogie financière.
Car il n’est pas question de réaliser l’union nationale sur la rigueur et de noyer toutes les différences politiques dans le seul respect de l’argent. Cette exigence n’est qu’un préalable, elle ne saurait tenir lieu de débat politique. La bonne gestion débouche toujours sur des projets et des programmes extrêmement variés. C’est entre eux qu’il faut choisir après avoir sanctionné le manque de sérieux.
Allumons donc les “feux” d’une nouvelle colère civique, car elle seule peut devenir la contre force qui inversera la dérive actuelle. Un jour, si Dieu nous prête vie, l’éducation civique enseignera peut-être l’art du mécontentement, la façon de le mettre au service de la démocratie et non pas à la démagogie.
Pour mener à bien une telle bataille, nos élus et nos hommes politiques doivent être contraints de l’arrière comme de l’avant et s’apparenter à nos valeureux soldats qui en temps de guerre n’ont que le choix de charger ou de se faire charger. Ces hommes politiques auront besoin de vraiment sentir notre “grogne civique” qui leur interdit de reculer.
A ce titre, devenons alors des citoyens de troisième génération, des électeurs exigeants et formons une masse critique pour aider à notre tour ces hommes politiques et surtout nos institutions à sauver notre chère nation. N’attendons pas, n’attendons plus que le pillage et le gaspillage aient ruiné notre Mali à tous pour nous souvenir qu’il est notre patrie et que nous ne saurions l’enrichir en l’appauvrissant.
Moctar Sow
Expert en management Faso Kanu