« Spoken word » est un concept mal connu sous nos cieux. Pourtant de nombreux jeunes artistes le pratiquent sans le savoir. C’est le cas, par exemple, des humoristes de la compagnie « Yèlèbougou », ou encore de plusieurs groupes de slam, ou de hip-hop qui pullulent à travers le pays. Ces artistes sont les héritiers d’une vieille tradition de conteurs en Afrique de l’ouest, dont le plus illustre chez nous est feu Djéli Baba Sissoko avec ses récit du lundi soir sur les antennes de Radio Mali qui ont émerveillé toutes les générations, de l’indépendance au début des années 1990. A sa mort, son fils Souleymane Sissoko a pris la relève avec également beaucoup de talent.
Un autre grand conteur est Djéli Djaffé Diabaté dont l’œuvre « Niènècoro ka Toncan » a été transcrite et publiée sous la forme d’un livre par les éditions Edis en 2009. On peut citer également Batoma Sanogo, dont l’œuvre magistrale « Ntoron kélé » a été portée à l’écran sous la forme d’un court-métrage de fiction par le réalisateur Boubacar Sidibé en 2000.
D’autres comme feu Falaba Issa Traoré, auteur cinéaste et conteur, ou Nouhoum Cissé dit Banièngo ont remporté des prix lors de jeux de la francophonie contribuant ainsi à donner au conte malien ses lettres de noblesse au plan international.
Conscient de l’importance du conte dans la transmission de nos valeurs culturelles de génération en génération, le ministère de la Culture avait initié en 1994 un festival intitulé la « Grande parole ». La manifestation regroupait pendant une semaine des conteurs du Mali, d’Afrique occidentale francophone et de France. Elle suscita un engouement populaire mais s’essouffla après sa troisième édition en 1997.
La tradition pourrait renaitre avec l’arrivée dimanche chez nous d’une caravane de Spoken word qui offrira l’occasion à de nombreux jeunes conteurs maliens mal connus du grand public de se faire découvrir. Ils se frotteront également au meilleur conteur du Kenya. Cette caravane qui est en train de parcourir l’Afrique, a pris le départ à Johannesburg en Afrique du Sud où les trois meilleurs conteurs ont été sélectionnés par un jury indépendant. Leurs performances, enregistrées en vidéos, ont été mis en ligne permettant aux artistes malgaches de s’en inspirer à travers un ou plusieurs mots clés pour construire leurs oeuvres. Cette configuration a été reproduite tout au long de l’année 2013 pour les artistes de certaines capitales africaines : Yaoundé (Cameroun), Luanda, (Angola), Kampala (Ouganda) et Nairobi (Kenya). C’est maintenant le tour de Bamako qui constitue l’avant-dernière étape avant celle d’Abidjan.
Le lauréat du concours de chaque pays est invité à participer à la manifestation de l’étape suivante. C’est pourquoi Bamako recevra le meilleur conteur kenyan. Le vainqueur du concours de Bamako fera, à son tour, le voyage d’Abidjan.
La pratique du Spoken word englobe le spectacle de poésie, le conte, la performance axée sur le texte, la poésie rap et le poetry slam. Dans le cadre du Festival panafricain initié par l’Institut Goethe, c’est l’Allemagne qui recevra en 2014 l’ensemble des lauréats de chacune des étapes. Ce sera l’occasion de mettre en valeur les créateurs de cette nouvelle expression artistique.
Tous les continents connaissent la tradition de l’oralité. Il y a eu de tous les temps et sur tous les continents, des conteurs et des poètes qui ont livré leurs textes devant un public. Le terme « Spoken word » nous vient des Etats-Unis. Il est inspiré des traditions de jazz, de soul et blues, et de la « Beat Generation ». Le Spoken word connaît ces dernières années une vitalité exceptionnelle en Amérique du Nord et plus particulièrement à Montréal au Canada. Il s’agit d’un texte performé devant le public par son auteur. Si l’écrit est le point de départ de cette forme artistique, il est revisité par un travail sur la sonorité des mots et sur le rythme. Un langage accessible et direct est privilégié pour faire bouger le texte, le rendre vivant et même l’improviser. En plus des mots, les performeurs explorent aussi le langage de la voix et du corps, et parfois également l’espace scénique et même les nouvelles technologies.
Le Spoken word est une expérience directe et immédiate qui se produit entre le poète-performeur et le public. Le premier accepte l’effet, l’impact du public sur sa performance et parfois même sur son texte. Sa performance variera selon qu’il passe en début ou en fin de soirée, s’il y a peu ou beaucoup de monde dans la salle, si le public réagit vivement. Cela suppose une certaine souplesse de la part de l’auteur, une conscience de l’environnement, une intelligence de la situation. Contrairement à la plupart des acteurs de théâtre, les performeurs de Spoken word écrivent leurs propres textes. Même s’ils jouent parfois un personnage, incorporent de la musique ou des éléments de scénographie, leur préoccupation est davantage de parler à l’auditoire plutôt que de jouer devant lui.
Source: Essor