Ces derniers mois, des dizaines de personnes sont tuées dans des frappes aériennes dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie.
Certaines de ces attaques ont impliqué l’utilisation de drones armés, et le nombre de victimes civiles suscite une inquiétude croissante.
Le gouvernement, qui combat les rebelles depuis plus d’un an, affirme avoir le droit d’utiliser les armes qu’il juge appropriées.
Il nie avoir ciblé des civils.
8 janvier : attaque contre un camp de déplacés
Le 8 janvier, une attaque aérienne contre un camp de personnes déplacées à Dedebit, dans le Tigré, a fait plus de 50 morts et plus de cent blessés.
Les images des conséquences de cette attaque – fournies à Politico par des travailleurs humanitaires – ont conduit les enquêteurs en sources ouvertes à penser que l’une des armes utilisées lors de cet incident pourrait être un missile tiré par un drone Bayraktar TB2 de fabrication turque.
Les fragments – notamment des morceaux d’ailes – semblent correspondre à ceux d’un type équipant ces drones, selon les chercheurs du groupe pacifiste PAX, basé aux Pays-Bas, et d’Amnesty International.
La présence de drones turcs en Éthiopie a été révélée en décembre par Wim Zwijnenburg, un enquêteur qui travaille avec le PAX.
Il a mis en évidence des images satellites montrant des drones turcs stationnés sur une base aérienne gouvernementale au sud de la région du Tigré.
Ils peuvent être identifiés en comparant les dimensions, notamment l’envergure et la longueur, des images satellite.
Nous ne savons pas si ces drones particuliers ont été utilisés dans cet incident, et le gouvernement éthiopien n’a pas confirmé leur utilisation.
La Turquie a signé un accord de coopération en matière de défense avec l’Éthiopie l’année dernière, mais les détails n’ont pas été rendus publics.
Reuters a rapporté en décembre que les États-Unis avaient fait part de leurs préoccupations au gouvernement turc concernant la vente de drones à l’Éthiopie.
6 janvier : attaque contre les rebelles oromos
Une attaque a été perpétrée début janvier contre des rebelles de la région d’Oromia, qui ont fait cause commune avec les rebelles du Tigré.
Peu de détails sont apparus, et il n’est pas clair s’il y a eu des victimes.
Cependant, la frappe aérienne dans la région de Gidami a laissé quelques preuves – des fragments de missiles – qui, selon une enquête, suggèrent l’utilisation de munitions iraniennes.
Des images satellite de décembre dernier ont révélé la présence d’un drone iranien à l’aéroport de Harar Meda, identifié par ses dimensions et d’autres caractéristiques.
Un enquêteur chargé du suivi des vols a identifié une quinzaine de vols cargo en provenance d’Iran à destination des aéroports de Harar Meda et de Bole en août 2021. On ne sait pas ce qu’ils transportaient.
Cependant, en octobre dernier, les autorités américaines ont publiquement condamné l’Iran pour ses exportations de drones et ont désigné l’Éthiopie comme l’un des destinataires de la technologie iranienne en matière de drones.
16 décembre : attaque du marché d’Alamata
À la mi-décembre 2021, une série d’attaques aériennes a entraîné la mort de 28 civils sur un marché d’Alamata, dans le sud du Tigré.
Le principal groupe rebelle du Tigré, le TPLF, a affirmé que les avions à réaction et les drones du gouvernement en étaient responsables.
Des images vidéo ont été diffusées sur une chaîne de télévision tigréenne, montrant les restes d’un missile qui aurait été utilisé lors de cet incident.
Le tuyau d’échappement du moteur du missile, qui a tendance à survivre à l’impact, peut être identifié sur la vidéo.
Une enquête en sources ouvertes – utilisant des informations accessibles au public pour tenter d’établir exactement ce qui s’est passé – a conclu que, sur la base de ces images, les fragments semblaient identiques à un missile Blue Arrow 7 de fabrication chinoise qui peut être monté sur un drone.
Des images satellites ont révélé que des drones Wing Loong de fabrication chinoise étaient stationnés sur la base aérienne militaire éthiopienne de Harar Meda le 15 décembre, soit la veille de l’attaque d’Alamata.
Les enquêteurs en sources ouvertes pensent que la Chine est à l’origine des drones Wing Loong de l’Éthiopie, initialement destinés à la surveillance.
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Les données des applications de suivi des vols montrent que des cargaisons ont été expédiées de Chengdu en Chine, où se trouve le fabricant public de drones Chengdu Aircraft Industry, vers l’Éthiopie en septembre et octobre de l’année dernière.
Mais il existe un autre pays qui possède à la fois des drones Wing Loong et des missiles Blue Arrow et qui a également envoyé des fournitures à l’Éthiopie : les Émirats arabes unis.
D’après une base de données sur les armes tenue par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les EAU possèdent à la fois des drones Wing Loong et des missiles Blue Arrow.
Et la recherche de données de vol montre 119 vols de fret sur une période de cinq mois l’année dernière, depuis les aéroports militaires des EAU vers la base aérienne de Harar Meda (au sud-est d’Addis-Abeba) et Bole, le principal aéroport international de la capitale. Là encore, nous ne pouvons pas être sûrs de ce que ces vols transportaient.
Quelle est la réponse de l’Éthiopie ?
Le porte-parole du gouvernement éthiopien, Legesse Tulu, n’a pas voulu entrer dans les détails de ces incidents.
“Je ne dirai pas où, mais le gouvernement les a utilisés [les drones] à différents moments et dans différents endroits”, dit-il à la BBC. Il a également insisté sur le fait qu’ils n’ont pas été utilisés contre des civils.
Nous ne savons pas avec certitude quand ces drones ont été fournis.
La BBC a contacté les gouvernements concernés par les informations selon lesquelles des drones armés provenant de leurs pays ont été utilisés en Éthiopie – mais ils n’ont pas répondu.
Nous avons également contacté l’entreprise de défense turque qui fabrique le drone Bayraktar, mais nous n’avons pas obtenu de réponse.
L’Éthiopie ne fait actuellement l’objet d’aucun embargo sur les armes, et l’exportation de drones armés est une zone grise en termes de réglementation et de traités internationaux.
Mais leur utilisation dans les zones de conflit à travers le monde semble être en augmentation.
Wim Zwijnenburg, du groupe PAX, estime que l’exemple de l’Éthiopie “soulève de sérieuses questions, compte tenu des nombreuses allégations de violations du droit international.”
BBC