Le mouton sacrificiel restera-t-il en travers de la gorge de Soumaïla Cissé ?
« Je proclame élu Ibrahim Boubacar Kéita ». Telle est la déclaration de la présidente de la Cour constitutionnelle du Mali, Manassa Danioko, qui proclamait, le 20 août 2018, les résultats définitifs du second tour de la présidentielle qui opposait le président sortant, Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK), au chef de file de l’Opposition, Soumaïla Cissé alias Soumi, arrivé deuxième à l’issue du premier tour. Ainsi, avec 67, 16% contre 32,84% comme chiffres, la plus haute juridiction électorale a confirmé, presqu’au centième près, les résultats provisoires qui donnaient 67, 17% à IBK, contre 32,83% à Soumi. Dans la foulée, elle a rejeté tous les recours qui lui avaient été soumis par les avocats des deux camps, renvoyant pratiquement ceux-ci dos à dos.
Cette décision de la Cour constitutionnelle est un grand soulagement pour la communauté internationale
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette décision de la Cour constitutionnelle qui était, du reste, très attendue, est la bienvenue en ce qu’elle vient mettre fin au débat autour de cette présidentielle qui aura finalement non seulement fait couler beaucoup d’encre et de salive, mais aussi donné des craintes que le pays ne bascule dans une crise postélectorale sans précédent. Pour un pays frappé de plein fouet par le cancer du terrorisme et en pleine convalescence économique, c’est un scénario que redoutaient bien des thérapeutes et pas des moindres, à en juger par l’empressement des pairs du président IBK à lui envoyer des messages de congratulations, y compris le grand chef blanc qui, depuis son palais de l’Elysée, se présente quelque peu comme le chirurgien en chef qui n’a pu attendre la décision de la Cour. C’est dire donc qu’au-delà du Mali, cette décision de la Cour constitutionnelle est un grand soulagement pour la communauté internationale qui voit ainsi s’éloigner le spectre d’une crise postélectorale dont nul n’aurait pu prévoir ni l’ampleur ni l’issue. Et peut-être est-ce tant mieux ainsi pour la patrie de Soundiata Kéita car, à l’allure où montait le ton de la contestation, il n’était pas sûr que les djinns de la violence resteraient encore longtemps dans leur bouteille si les uns et les autres n’acceptaient pas de mettre un peu d’eau dans leur thé.
C’est pourquoi, maintenant que les grands juges ont parlé, il faut espérer que leur parole viendra clore un débat qui glissait de plus en plus dangereusement vers une impasse, les esprits ayant été préparés et chauffés à blanc dans un camp comme dans l’autre. Mais que fera maintenant Soumaïla Cissé, lui qui n’a eu de cesse de dénoncer des fraudes et qui a même été donné gagnant par ses partisans ? Va-t-il accepter la décision de la Cour ou va-t-il aller au bras de fer ? En tout cas, avec une telle décision qui vient sans nul doute doucher ses derniers espoirs, qui plus est à la veille de la fête de la Tabaski, il y a de quoi se demander si le mouton sacrificiel de l’Aïd el Kébir ne restera pas en travers de sa gorge. Car, après cette décision sans appel de la plus haute juridiction de son pays, comment peut-il encore continuer à revendiquer sans tomber sous le coup de la loi ? Et sa position est d’autant plus inconfortable qu’il se retrouve aujourd’hui pratiquement esseulé dans la contestation, les autres candidats ayant décidé bien avant de jouer à la neutralité à l’issue du premier tour.
Il appartient à Soumaïla Cissé de savoir entrer dans l’histoire
Aussi, rien ne dit que ses compatriotes sont prêts à le suivre massivement dans la rue, parce que conscients de la précarité de la paix dans leur pays. En tout cas, tout porte à croire que les Maliens ont d’autres chats plus importants à fouetter que « d’acheter » une bagarre de politiciens qui fragiliserait davantage leur pays déjà à la merci des djihadistes, sachant que ces politiciens ont la propension de les oublier sitôt installés dans leurs fonctions. C’est pourquoi il appartient à Soumaïla Cissé de savoir entrer dans l’histoire en évitant d’être l’étincelle qui embrassera le grand Mali. Ce, au nom de l’idéologie républicaine dont il se réclame, mais aussi de la paix ; toutes choses que sauraient lui reconnaître, qui sait, ses compatriotes lors des prochains scrutins.
En tout état de cause, il est heureux que la Cour constitutionnelle ait tenu le délai de la proclamation des résultats malgré les nombreux recours. Car, toute prolongation au-delà du délai imparti, aurait non seulement contribué à renforcer davantage la suspicion, mais aussi à rendre l’atmosphère sociopolitique encore plus tendue ; surtout si les positions des uns et des autres devaient se radicaliser. Le Mali n’a pas besoin de ça. Dans tous les cas, ce pays ne pouvait pas se payer le luxe d’une reprise des élections, dans les conditions que l’on sait. C’est pourquoi malgré les imperfections, il y a matière à se satisfaire de ces élections dont la tenue n’était même pas évidente, eu égard aux conditions sécuritaires et aux menaces non voilées que les djihadistes avaient fait planer sur le scrutin. C’est dire qu’au-delà d’IBK, cette élection est une victoire pour le Mali. Il est donc temps de tourner la page, car ils sont nombreux les défis qui attendent le nouvel élu qui entamera son nouveau bail le 4 septembre prochain, pour cinq ans. Quant à Soumaïla Cissé, il peut, d’ores et déjà, se préparer pour la prochaine présidentielle où il sera vraisemblablement dans la peau du favori et qui risque aussi d’être celle de la dernière chance pour celui qui a déjà subi trois échecs. En tous les cas, ne dit-on pas que demain se prépare aujourd’hui ?
Source: Le Pays