C’est une grave question que je me pose quotidiennement. Mais ne m’estimant pas suffisamment qualifié pour la trancher, dans un sens comme dans l’autre, je la soumets à notre appréciation commune, dans l’espoir que je réussirais à provoquer un électrochoc dans la communauté de ceux et celles qui ont embrassé le noble métier d’informer, qu’ils soient des professionnels aguerris, reconnus comme tels, ou de simples « activistes » des réseaux sociaux qui contestent aux premiers ce monopole.
En tous les cas, au regard des développements auxquels nous assistons tous les jours, avec leur corollaire de dérives en tous genres, on ne saurait faire l’économie d’un débat sérieux sur le droit à l’information, les devoirs du journaliste et des acteurs des réseaux sociaux, les questions d’éthique et de déontologique que nous n’avons à la bouche que pour mieux les oublier.
Il ne faut plus retarder les échéances d’un grand déballage au risque de courir vers un pourrissement préjudiciable à toute une corporation dont la noblesse est, depuis peu, passablement écornée. Quelle que soit la forme que ce débat prendrait, il faut le tenir rapidement et réussir à planter des balises suffisamment robustes, tels des phares, pour éclairer le chemin des jeunes et moins jeunes qui embrassent les différents métiers de l’information.
Certains répondront que de tels débats ont été déjà menés par le passé ; qu’il existe des instruments y afférents (chartes, codes, déclarations, conventions…) ou que c’est pure perte de mettre sur la place publique des débats sans fond dont on sait, par avance, qu’ils ne sauraient accoucher de résolutions consensuelles et contraignantes. De mon humble point de vue, c’est faire injure à notre conscience de penser que nous échouerons là où les autres réussissent avec brio.
Au Mali, nous avons l’interprétation la plus large de la liberté d’expression que nous n’assortissons malheureusement d’aucune restriction, mélangeant subrepticement, de ce fait, sphères publique et privée ; amalgamant information et voyeurisme ; traitant du secret-défense comme d’un banal fait divers ; profanant le sacré avec désinvolture ; contribuant au travail de sape du moral de la troupe engagée dans des théâtres d’opération particulièrement périlleux…
Ces dernières semaines, les médias maliens en général et les réseaux sociaux en particulier ont traité abondamment, sans filtre, des informations militaires sensibles et diffusé des images choquantes sans aucun égard au droit à l’image et au respect du à la vie humaine. Il se passe comme si l’on jubilait face à la mort et à la détresse, oubliant que, partout au monde, le deuil exige respect, sympathie et compassion.
Que gagne-t-on à exhiber la dépouille d’un soldat tombé au front ? Quelle plus-value d’information apporte-t-on à la communauté nationale en publiant des images dantesques de restes humains calcinés, de villages pillés et incendiés, ou en amplifiant gratuitement la souffrance des familles et de la Nation ?
A quoi servent ces centaines d’heures d’enregistrement quotidiennes diffusées par ces « nouveaux journalistes » qui se désignent eux-mêmes par le ridicule vocable de « vidéoman » ?
Rien, absolument rien d’autre qu’à nous distraire de l’essentiel, nous couvrir de ridicule et d’opprobre, nous instrumentaliser et nous maintenir sous le joug de charlatans ou prétendus gourous d’un autre âge qui se prennent pour des prophètes.
Ces personnes qui se prennent pour Hubert Beuve-Méry ou les futures lauréates du prestigieux Prix Pulitzer savent-elles seulement que « pouvoir être émetteur d’information ne signifie pas que tout le monde est journaliste » ? Ont-elles la moindre idée des règles élémentaires qui sous-tendent le traitement de l’information ?
Avant de diffuser toute information, il convient de vérifier d’abord son authenticité, sa fiabilité et sa pertinence. Il exigé aussi du journaliste de mesurer son intérêt, la hiérarchiser et la contextualiser. Last but not least, vous devez mettre en forme cette information et l’expliquer.
Si pour quelque raison vous ne pouvez pas appliquer ces filtres à l’information que vous vous apprêtez à publier/diffuser, alors il vaut mieux s’abstenir de commettre le crime. Oui, c’est un crime que de diffuser de fausses informations et de les amplifier de quelque manière que ce soit. Partout au monde, l’auteur d’un tel crime tombe sous le coup de la loi malgré les garanties les plus larges qui existent aujourd’hui en matière de protection des journalistes et de la liberté d’expression. Que la sanction soit symbolique, la privation de liberté ou de quelque autre forme, le délit de presse est une infraction qu’on a le moyen d’éviter.
Il est de l’intérêt des médias de faire le ménage en leur propre sein ; de former leurs acteurs ; d’identifier et d’exclure les brebis galeuses qui discréditent la profession. A l’heure des médias sociaux, d’illustres inconnus s’improvisent journalistes ; ils se reconnaissent facilement à leurs techniques d’extorsion de l’information et leur propension à se prendre pour des justiciers ou des policiers.
Ces nouveaux Zorro prennent généralement leurs mots d’ordre dans des officines politiques ; agissent très souvent sous la pression des pouvoirs d’argent ; sont adeptes du mélange des genres et caressent le secret espoir de briguer des mandats flous.
Ceux-là n’ont rien à faire dans les médias. Ils ne sont pas des nôtres. Ce sont des mercenaires, des « affreux » qui proposent leurs services au plus offrant. Ceux-là foulent nos valeurs à leurs pieds. Ils méritent d’être mis au ban de la profession. Ni une ni deux !
Le réarmement moral auquel j’appelle est à portée d’ambition tout comme le sursaut national autour de notre patrie éprouvée par des adversités de plus en plus complexes. Il faut revenir au bassin de valeurs qui ont fait la fierté de notre peuple : le patriotisme, le travail, la probité, la solidarité, le respect, la bravoure, etc.
Il n’y a pas de secret : les pays prospères qui exercent sur nous admiration et fascination sont ceux dont les citoyens croient en des valeurs fondamentales et s’y accrochent comme à des fétiches. Soyons ces citoyens résolument ancrés dans leurs valeurs intrinsèques et marchons, la tête bien haute, vers l’avenir.
Serge de MERIDIO
Source: Infosept