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Chronique du Mali débout : Le député, un élu du peuple ou un demi-dieu ?

Dans une démocratie, un élu manque-t-il de voie de recours pour obtenir justice au point d’aller agresser un juge dans l’exercice de ses fonctions ? De quel droit un député peut-il se déplacer pour aller demander des explications à un magistrat sur un dossier entre ses mains ? Autant de questions que soulèvent l’agression du juge de paix à compétence étendue, Amadou Bocar Touré dit Diadié, de Ouélessébougou par l’honorable (???) Bourama Tidiane Traoré dit «Bananzolé Bourama» ! Un acte qui, s’il n’est pas sanctionné avec la dernière rigueur, constituera un précédent périlleux pour la renaissance de la démocratie au Mali, après la parenthèse du coup d’Etat du 22 mai 2012.

Bourama Tidiane Traoré Bananzolé Bourama depute honorable assemblee nationale

Les faits sont révoltants et humiliants à raconter, car émanent d’un élu siégeant dans une institution qui doit être une vitrine, donc une référence de la démocratie malienne. Disons qu’un problème foncier a conduit l’honorable Bourama Tidiane Traoré à se déplacer à Ouélessébougou pour demander des comptes au juge de paix à compétence entendue de cette localité, Amadou Touré dit Diadié. Finalement, les deux hommes en sont arrivés aux mains. Qui a tort ou qui a raison ? Tous comptes faits, le juge ne s’est déplacé ni à Kati ni à l’Hémicycle pour s’attaquer à l’élu. C’est ce dernier, de son propre chef, qui a fait le trajet opposé pour exiger d’un juge de violer le secret de l’instruction. Au nom de quelle loi ? Le fait d’être député donne-t-il tous les droits en République du Mali ?

La démocratie repose essentiellement sur l’indépendance des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Et même si le législateur a un droit de regard sur l’exécutif, la justice est totalement indépendante des deux autres. L’immixtion d’un élu dans un dossier en instruction, suivie de l’agression du juge, quelles que soient les versions, sont des dérives très graves pour une démocratie qui vient de traverser une crise institutionnelle qui a failli remettre en question ses fondements. Et l’attitude des députés pendant la plénière du jeudi 28 novembre 2014 ne les honore nullement, parce que la solidarité du corps a des limites. On aurait compris qu’ils sollicitent la libération de l’agresseur. Mais, exiger le retrait de la plainte du juge, c’est quand même cautionner l’impunité.

Nul n’est au-dessus de la loi, fut-il élu de la Nation. Faut-il suivre un pair dans la bêtise, dans l’abus du pouvoir ? Si oui, nous pensons que les pensionnaires de l’Hémicycle doivent être honnêtes avec eux-mêmes et ne plus évoquer la possibilité de lever l’immunité parlementaire d’un des leurs. À moins qu’il n’y ait député et député ! Au lieu d’exiger le retrait de la plainte contre le «député agresseur de juge», ses collègues auraient dû plutôt se battre pour créer une commission d’investigation afin de situer les responsabilités de ce qui s’est passé à Ouélessébougou. Si besoin en est encore ! Cela aurait au moins le mérite de «blanchir» leur camarde, s’il n’a rien à se reprocher.

L’immunité de toutes les dérives

Hélas ! Au Mali, les législatures se suivent et se ressemblent dans l’atteinte à l’intégrité physique des citoyens. Comme le rappelait une célèbre avocate sur les réseaux sociaux, un député s’est déjà permis de littéralement étrangler un journaliste dans ce pays. Et il l’aurait tué sans l’intervention énergique des témoins de cette honteuse scène. Le même député s’était attaqué à une femme ministre (Justice) interpellée au Parlement. Il avait porté atteinte non seulement à la fonction de ministre, mais aussi à l’honneur et à la dignité de cette brave Dame humiliée devant la Nation et rabaissée au rang de racaille. Ces deux actes n’ont eu aucune conséquence pour ce député qui siège toujours à l’Assemblée nationale en continuant de terroriser ses adversaires politiques à la base. Alors, doit-on être surpris qu’un autre se donne le droit d’aller agresser un magistrat dans l’exercice de ses fonctions !

En voulant interférer dans cette affaire, quelles étaient les vraies motivations de l’élu de Kati ? Lui seul le sait, en âme et conscience. Mais, personne n’est dupe pour croire que c’était pour défendre l’indépendance de la justice à travers une proposition de loi. Ne serait-ce que pour changer le quotidien des sessions de cette institution qui ne carbure qu’aux projets de loi initiés par l’exécutif. L’immunité parlementaire est une disposition du statut des députés qui a pour objet de les protéger, dans le cadre de leurs fonctions, des mesures d’intimidation venant du pouvoir politique ou des pouvoirs privés et de garantir leur indépendance et celle du Parlement. Mais ce n’est nullement un blanc-seing délivré aux élus pour interférer ou intimider la Magistrature !

Au-delà de cette affaire, il s’agit d’évoquer ici la problématique de l’immunité parlementaire. Cette disposition qui permet aux parlementaires de se munir d’un parapluie leur évitant toute poursuite judiciaire pendant leur mandat, même s’ils commettent des actes de violence. Par respect pour ces hommes et dames qui ont fait la fierté de cette Assemblée nationale ou qui le font encore et par engagement démocratique, nous ne pouvons souhaiter la suppression de l’immunité parlementaire. Mais, dans le contexte démocratique qui est le nôtre, nous pensons qu’il serait judicieux de limiter son champ d’application aux seuls actes politiques que le parlementaire est appelé à accomplir. Pour le reste, il ne faut surtout pas que ceux qui sont censés protéger les citoyens deviennent leurs premiers agresseurs.

Déjà en France, la Constituante de 1830 l’a créée pour protéger le parlementaire, dans l’exercice de sa fonction, d’éventuelles atteintes que pourraient lui porter les autres pouvoirs, judiciaire ou exécutif, ou des poursuites vexatoires. Cela protège le mandat et uniquement lui, non la personne. Au Mali, nous devons pousser la réflexion dans ce sens pour que des députés ne se prennent plus pour des intouchables, au point de compromettre l’Etat de droit pour lequel nos frères et sœurs élèves et étudiants se sont sacrifiés en janvier et mars 1991. Autant nous nous sommes opposés, à l’époque, à ce que nous appelions la «République des juges», autant nous dénoncerons, autant que faire ce peut, l’attitude de ces élus de la Nation qui se croient tout permis parce que jouissant d’une immunité dont ils ne mesurent ni le symbolisme démocratique ni la noblesse institutionnelle. Aujourd’hui, notre démocratie doit être déçue de ces parlementaires qui se prennent pour des demi-dieux !

Moussa BOLLY

SOURCE: Le Reporter  du   3 déc 2014.
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