Nous sommes nombreux à plaindre (parfois à nous plaindre de) ces milliers de mendiants qui prennent quotidiennement d’assaut les voies publiques, les bureaux, les centres commerciaux, les mosquées, les cimetières et les centres hospitaliers. Et ces malheureux qui cherchent farouchement de quoi survivre, nous « agressent » presque, afin de nous soutirer quelques pièces de monnaies. Mais si agressive et offensante que soit leur attitude envers nous dans leur lutte pour la survie, ces misérables sont moins à plaindre que ces hommes en uniforme qui occupent quotidiennement les voies publiques. Et pour causse. Les mendiants ne rançonnent personne. C’est quand on le veux qu’on leur jette des pièces de monnaies. Et ils se consolent bien avec une pièce de 50 F, 25 F, 10 F, 5 F ou même… rien.
Quant à certains hommes en uniforme, ces policiers de la circulation, c’est tout autre.
Mais pourquoi donc faire une comparaison entre deux catégories apparemment bien différentes ? Mendiants et policiers.
La raison est simple : les mendiants et la plupart des policiers de la circulation ont en effet, depuis quelques années, le même objectif. Tous sortent dans la rue pour chercher des sous avec les passants. La principale différence réside dans la manière de l’obtenir. Les premiers réclament au nom de Dieu, les seconds, au nom de la loi. Les premiers demandent, les seconds exigent.
Et oui ! L’un des corps les plus révoltants au Mali, c’est bien la police. Principalement la police routière. Le constat est irréfutable car les policiers de la circulation eux-mêmes ne s’en cachent plus. « Vous n’avez pas de carte grise ». « Si, j’en ai une provisoire ». « Elle n’est pas bonne. Remettez-moi les autres pièces ». « Si vous voulez, on peut s’arranger ». « Ah voilà. Il fallait le dire ». « Tenez, je n’ai que 1 000 Fcfa ». Ah non, 1 000 Fcfa ? C’est petit. Si votre clignotant ne fonctionnait pas ou si vous aviez grillé un feu rouge, j’aurais pu l’accepter, mais puisque votre carte grise n’est pas bonne, il faut donner plus ». « Voilà 2 000 Fcfa ». « Bon je l’accepte, mais c’est petit. Vous pouvez aller ».
Ceci est un dialogue authentique en pleine rue entre un policier et un conducteur dans un quartier de Bamako. L’agent de police qui n’eut même pas la pudeur de cacher son butin le mit fièrement en poche, tandis que son otage, libéré, démarrait en trombe et faillit renverser un gamin !
Des tractations et scènes du genre, se passent tous les jours, sur toutes les voies publiques de Bamako. Et ce sont des millions de nos francs, volés à nos populations, qui tombent chaque jour que Dieu fait dans les proches de ces rançonneurs en uniforme. Au vu et au su de tout le monde.
La témérité de ces agents de l’Etat qui s’enrichissement insolemment sur le dos des citoyens a atteint à Bamako des proportions, inquiétantes. Ces rançonneurs sont si aveuglés par l’appât du gain facile qu’ils ne redoutent même pas de tomber sur un des leurs. Bien facile pour le Ministre, le Directeur de la police nationale de se faire rançonner eux-mêmes. Ils n’auront point besoin de porter un turban ou de changer de tenue comme dans le sketch. Les « poulains » sont si enivrés par l’odeur de l’argent qu’ils les méconnaîtraient.
Si seulement, ces millions de nos francs, malhonnêtement acquis retombaient dans les caisses de l’Etat ou servaient à humaniser les violons de nos commissariats, le mal ferait moins mal. Mais hélas, les butins ramassés quotidiennement, font plutôt, aux dires de certains policiers plus scrupuleux, l’objet de partage entre les rançonneurs en uniforme (reconnus dynamiques dans la sale besogne et ayant l’esprit de partage) et leurs protecteurs. Ils sont les principaux « bon policiers » désignés par leurs chefs pour « régler » la circulation.
Aucun doute quant à la révoltante corruption de certains hommes en uniforme ; Que font donc les autorités de tutelle et la Direction pour enrayer ce véritable banditisme, cette délinquance en tenue bleue ? Pourvu que la gangrène n’ait pas tout envahi. Pourquoi donc ces « petits mangeurs » restent-ils impunis, étant aussi dangereux et nuisibles que les gros ?
Demandez à l’agriculteur pourquoi redoute-t-il tant les mange-mil. Indéniablement parce que leur dégât est sans appel.
La sécurité n’a pas de prix ? Oh ! Pas celle-là, tout de même !
Boubacar Sankaré