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Charles Blé Goudé: «Je suis Ivoirien, pas Hollandais»

Depuis son acquittement par la CPI le 15 janvier, l’opposant ivoirien Charles Blé Goudé est en liberté conditionnelle aux Pays-Bas. À quand son retour en Côte d’Ivoire ? Pour lui, Laurent Gbagbo, c’est « papa ».

 

RFI: Lors de son premier congrès ordinaire à Abidjan, le Congrès panafricain des jeunes et des patriotes (Cojep) vous a élu président. Mais il ne vous a pas désigné comme candidat pour 2020. Pourquoi ?

Blé Goudé : Mais parce que nous avons le sens des priorités: doter la Côte d’Ivoire d’institutions fortes, impersonnelles, ramener la cohésion sociale entre les populations, voilà les priorités. Et la question que vous évoquez n’était pas à l’ordre du jour.

Vous dites que vous avez un projet pour la Côte d’Ivoire, contrairement aux hommes politiques qui ne pensent qu’aux élections. Quel est ce projet ?

Le projet immédiat, c’est d’amener les Ivoiriens à tirer les leçons de la crise qui a divisé profondément les Ivoiriens. Et en ce moment, pour moi, aucun projet politique, quel qu’il soit ne pourrait être au-dessus de cette ambition d’amener les Ivoiriens à se parler de nouveau, de faire le tour de la Côte d’Ivoire et dire aux Ivoiriens « Plus jamais ça dans notre pays ». Je pense qu’au risque de me tromper, en ce moment où je vous parle, la cohésion sociale est à mal en ce moment. Nous sommes toujours en train de gérer les résidus de la crise qui a secoué notre pays. La classe politique elle-même est profondément divisée. Vous ne trouverez aucun parti politique en Côte d’Ivoire qui n’est pas divisé. Même la coalition politique au pouvoir a volé en éclats.

Vous dites vouloir rassembler les Ivoiriens, mais les grands partis sur place disent exactement la même chose, que ce soit le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo. Ils veulent tous rassembler…

Oui. Entre le dire et le faire, il y a plus. Il faut aller au-delà du dire et poser des actes. Poser des actes : Moi, je veux voir Gbagbo Laurent, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié, Guillaume Soro, Charles Blé Goudé et tous les leaders politiques mettre de côté leurs ambitions et dire « ensemble nous allons faire campagne au nom de la cohésion sociale ».

Et vous voudriez que tous ces hommes politiques et vous-même, vous vous retrouviez physiquement autour d’une table ?

Autour d’une table. Le « grand malade » qui est la Côte d’Ivoire a besoin de toutes ses filles et de tous ses fils.

Vous avez été le ministre de Laurent Gbagbo, vous avez été le compagnon de détention de Laurent Gbagbo. Est-ce qu’aujourd’hui, votre parti, le Cojep est l’allié du FPI de Laurent Gbagbo ?

Oui. Cette alliance-là, elle est autour des valeurs que nous partageons qui sont des valeurs de paix, de cohésion sociale. Ce sont des valeurs de démocratie, de liberté individuelle et collective. Pour moi, le FPI est un allié naturel du Cojep que je dirige. Mais au-delà de cela, le Cojep est ouvert à d’autres formations politiques. Parce qu’en ce moment, nous ne voulons pas élever le mur de notre propre enfermement. Nous voulons parler à la Côte d’Ivoire plurielle.

D’où votre rencontre il y a quelques jours à La Haye aux Pays-Bas avec des délégués du PDCI de Henri Konan Bédié ?

Oui. Tout comme je suis prêt à rencontrer aujourd’hui d’autres leaders politiques avec qui je ne partage pas forcément la même opinion sur la Côte d’Ivoire. J’ai parlé au PDCI-RDA [Parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain)], je suis prêt à parler même à mes adversaires.

Vos adversaires, c’est-à-dire ?

Je veux parler du pouvoir en place. Je veux parler d’Alassane Ouattara. Je veux parler de Guillaume Soro. Je veux parler d’Hamed Bakayoko. Nous sommes des adversaires politiques, nous ne sommes pas des ennemis. Nous devons nous parler.

Souvent, vous appelez Laurent Gbagbo « papa ». Est-ce à dire que vous êtes son fils spirituel ?

Oh, je ne peux pas me jeter dans une auto proclamation. C’était un président, c’est un monsieur pour qui j’ai beaucoup de respect, beaucoup d’admiration. Oui, je l’appelle « papa ». Il suffit de l’appeler « papa ».

Vous dites : « le jour où Gbagbo sera fatigué, il nous dira et on va terminer ». Vous considérez-vous un petit peu comme son dauphin politique ?

Oui. Au niveau des idées. Il va falloir maintenant définir ce qu’il lègue. Laurent Gbagbo a toujours dit qu’il n’a pas d’héritage à léguer, même à ses enfants biologiques. Alors nous qui nous réclamons de sa politique, ce qu’il nous lègue, c’est un nom ; ce qu’il nous lègue, ce sont des idées ; ce qu’il nous lègue, ce sont des valeurs. Mais moi, je ne veux pas être un héritier cueilleur, c’est-à-dire quelqu’un qui attend tout bonnement qu’on vienne lui mettre entre les mains une cuillère. Non. Moi, comme le fleuve, je veux faire mon propre lit.

Vous ne voulez pas vous contenter de cueillir le fruit du combat Gbagbo ?

Non. Pas du tout. Je veux faire mon chemin. Cela dit, c’est mon référent politique.

Actuellement, vous êtes comme Laurent Gbagbo en liberté conditionnelle en Europe. Si demain, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) ne fait pas appel, est-ce que vous rentrerez en Côte d’Ivoire ?

Ce sont des questions qui sont liées à la situation que je vis, et sur lesquelles je ne suis pas habilité à me prononcer parce que je respecte ma signature. Devant la Cour pénale internationale, j’ai signé de ne pas me prononcer sur cette question. Souffrez que je n’en dise pas plus, mais je suis Ivoirien, je ne suis pas Hollandais. Ma place est en Côte d’Ivoire et non ailleurs.

Et si dans cette hypothèse, Laurent Gbagbo rentre et se présente l’année prochaine, est-ce que vous le soutiendrez ?
Attendons de voir les choses venir. Nous n’en sommes pas encore là.

Autre hypothèse : vous rentrez en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo ne se présente pas. Qu’est-ce que vous ferez ? Vous vous présenterez alors ?

Nous n’en sommes pas encore là comme je vous le dis. Pour moi, la vie politique ne se limite pas seulement à des élections présidentielles. Il y a beaucoup à faire en Côte d’Ivoire. Le seul projet que j’ai pour le moment, c’est de servir d’instrument pour la paix en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire a besoin que ses fils se retrouvent pour que la Côte d’Ivoire puisse guérir de ce mal profond.

Ce que vous dites est quelque fois contradictoire. Un jour, vous dites « je ne suis candidat à rien » ; puis, un autre jour sur France 24 par exemple, vous dites : « j’ai des ambitions pour un jour diriger mon pays » ?

Oui. Mais diriger mon pays ne veut pas dire diriger mon pays maintenant. J’ai dit, je ne suis pas pressé. Oui, j’ai des ambitions pour un jour diriger mon pays, mais je ne suis pas pressé.

Laurent Gbagbo, candidat en 2020 ; Charles Blé Goudé, candidat en 2025 ?

Ça, ce sont des si. 2020, 2025 : arrêtons de se comporter comme des charlatans politiques et faisons face à la réalité, réconcilions les Ivoiriens. Je ne suis du tout pressé. Je vais prendre tout mon temps, parce que la précipitation est source d’erreurs.

A 47 ans, on ne prend pas sa retraite, dites-vous…

Non. C’est maintenant que ma vie politique commence. Je suis en construction. Mon parti est en construction. Je prends le temps et je me donne le défi de construire un grand parti qui n’a pas de bastion ni à l’Ouest, ni à l’Est, ni au Nord, mais dont le bastion est la Côte d’Ivoire elle-même.

Et vous, qui avez reçu la visite de délégués d’Henri Konan Bédié à La Haye. Seriez-vous prêt à soutenir une candidature Bédié ?

Pour le moment, ce dont nous parlons, ce sont des questions d’intérêt national telle que la Commission électorale indépendante, telles que la cohésion sociale et la réconciliation. Nous ne sommes pas pour l’instant à soutenir quoi que ce soit.

Dans la vie politique, vous dites : il y a des alliances naturelles et des alliances contre nature. Entre le FPI et le PDCI, et entre le Cojep et le PDCI, c’est plutôt naturel ou contre nature ?

Non. Pour le moment, nous parlons d’alliance de circonstance. Nous ne sommes pas encore à un stade d’alliance où il faut soutenir telle ou telle candidature. En ce qui me concerne, celui qui voudra le soutien de Charles Blé Goudé en 2020 devra convaincre Charles Blé Goudé et ses militants sur la base d’un programme cohérent, d’un projet de société.

On ne sait pas encore si le candidat RHDP sera Alassane Ouattara ou un autre dirigeant de ce parti. Quelle est votre préférence ?

Non. Moi, je n’ai pas de préférence. Je note simplement qu’en Afrique, nos dirigeants ont cette habitude mauvaise, honteuse, de tripatouiller la Constitution juste pour se maintenir au pouvoir. On demande cinq ans, ensuite dix ans, ensuite quinze ans, et on n’en finit jamais.

Est-ce que vous nous dites dès aujourd’hui : en aucun cas, je ne serai candidat l’année prochaine ?

En 2020, je suis candidat à la paix pour le moment et je laisse la latitude à mon parti politique à la veille des élections de pouvoir se prononcer, car je ne peux pas me substituer au Cojep. Dès le premier trimestre de l’an 2020, le Cojep se prononcera.

RFI

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