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Cérémonies sociales : Un gagne-pain pour certains

Une catégorie de griots et prêcheurs se bousculent aux portillons des familles qui organisent des baptêmes, mariages et funérailles. Ces intrus profitent de ces événements sociaux pour avoir un peu d’argent

 

«Aw ni balimaya» : merci pour votre sens de la fraternité. Cet éloge qui sonne agréablement aux oreilles a été ressassé dans une famille qui venait de perdre un de ses membres,sur un ton de célébration par une griotte qui n’avait pas cerné la gravité de l’instant (nonobstant l’atmosphère de méditation pieuse).

La griotte qui croyait se retrouver à un baptême où elle aurait, à coup sûr, monnayé son talent d’oratrice, s’était trompée sur toute la ligne, en tout cas d’approche (parce qu’il s’agissait bien de funérailles). Cette pratique est symptomatique de l’exploitation faite des cérémonies sociales par certains griots (pendant les baptêmes et mariages) et par certains prêcheurs (lors des funérailles). Ils en font un gagne-pain et s’y invitent abruptement au grand dam des principes de bonne conduite ou de la morale, juste pour avoir un peu d’argent.

Le phénomène suscite de la réaction chez nos compatriotes qui espèrent voir rapidement la communauté mettre de l’ordre dans les choses. Certains, en dressant l’état des lieux, souhaitent qu’on retourne à nos fondamentaux, notamment aux valeurs anciennes de notre société dans laquelle, les griots s’adressaient aux gens avec qui ils avaient des attaches. Aucun prêcheur, sans y être invité à prendre la parole, ne pouvait se permettre de confisquer le micro et (vraiment sans désobliger l’autorité religieuse) de nous saouler avec des inepties.

Malheureusement, la présence de certains griots ou prêcheurs dans les cérémonies sociales est assez récurrente. On vit cette situation un peu partout dans les quartiers de Bamako et dans d’autres localités du pays.

Le plus souvent, les dimanches de la semaine sont consacrés au mariage dans la capitale et dans les autres grandes agglomérations. Comme ce week-end, des hommes et des femmes élégamment mis attendent devant le centre d’état civil de Kalaban Coura, en Commune V du District de Bamako, que l’officier d’état civil unisse les couples pour le meilleur et pour le pire.

En attendant, une griotte, accompagnée d’un joueur de «tamani» ou petit tambour, s’exhibe avec son haut-parleur devant un brelan de dames, visiblement de la Jet set. Elle passe de la pommade à ces gros bonnets. L’une d’entre elle commence à frimer avec des billets craquants. La scène attire d’autres griots, y compris un homme volubile, drapé dans un boubou gris.

Il s’y met aussi à faire l’éloge de la bonne dame qu’elle appellera volontiers «balima mousso», sœur ou cousine. L’élégante dame lui donnera quelques billets de banque et en distribuera même à ses compagnons qui gravitent autour de lui. Ce griot à la moustache et la barbe touffues qui ne connaissait la bonne femme ni d’ève ni d’Adam se retira avec sa fructueuse «moisson» du jour, affichant un large sourire au coin des lèvres.

Il observe un petit temps pour cibler une autre cohorte de femmes et passe à l’attaque. «Bê te deli, bê te kanou. Anw ye djeliyé, anw te bê deli», (on ne fait pas l’éloge de tout le monde, nous sommes des griots). Ces paroles ne semblaient pas avoir d’effet sur ce groupe de femmes, mais pourtant l’une d’elle finit par lui donner un billet de 500 Fcfa qu’il accepta sans faire trop de commentaires.

à la question de savoir si réellement elle connaissait l’homme de caste, la femme qui lui a glissé ce billet répond par la négative. Alors pourquoi lui avez-vous donné votre argent ? Rokia Koné, l’une des femmes de ce groupe s’empresse de justifier. «Ce sont des griots et nous sommes des nobles. Conformément à notre tradition, on ne peut pas refuser de leur donner de l’argent», relève-t-elle.

GRIOTS SANS SOUTIEN-Sur les mêmes lieux, Alassane Kouyaté, âgé de ses 46 ans et Ladji Dramé, 30 ans, se faufilaient entre les véhicules à la recherche de «potentiels oiseaux à plumer», autrement dit de femmes ou d’hommes à qui soutirer de l’argent. Les deux hommes de caste tombent finalement sur un groupe de jeunes. L’un d’entre eux qui portait la tenue militaire est automatiquement ciblé.

Alassane Kouyaté commence par rendre d’abord hommage à l’Armée malienne, avant d’encenser l’agent de sécurité. Le descendant de Balla Fasséké Kouyaté soutient être dans la logique de sa lignée. Pour lui, il est légitime de parcourir les hôtels de ville à la poursuite de leurs hôtes «diatigui». Il suffit, argumente-t-il, de connaître le nom de famille du noble pour dignement faire son éloge.

Cependant, il regrette que certains nobles se soient transformés en griots pour aussi gagner de l’argent. Alassane explique que ces usurpateurs n’ont pas l’art requis. Ils font des éloges insensés des hôtes lors des mariages et baptêmes. Selon lui, cette imposture fait que le griot perd de plus en plus sa crédibilité dans notre société.

Son compagnon, Ladji Dramé, aussi gérant d’une boutique, affirme que le «djeliya», la fonction de griot, n’est plus rentable du fait que tout le monde en est devenu (même les nobles).«Nous sommes en train de suivre notre héritage, ce n’est pas pour de l’argent. Alors que des nobles vadrouillent dans les quartiers pour se faire passer pour des «griots».

Les parents de Sadio Dramé, un adolescent de 15 ans, sont domiciliés à Kalaban Coro depuis une vingtaine d’années. L’adolescent de teint roux explique avoir développé plusieurs stratégies pour s’inviter dans une cérémonie sociale. Il a une prédilection pour le mariage.

Le dimanche, il circule sur sa vieille moto «X One» avec un tamani à la recherche de concessions où se déroulent un mariage. Dans son repérage, les chapiteaux constituent un élément essentiel d’orientation. Mais parfois, il piste simplement un cortège de mariage jusqu’à destination. Pour le reste, il fait simplement parler son talent.

Le gamin précise que chaque fois qu’une griotte fait les éloges de quelqu’un, il joue son instrument pour accompagner. Dans les situations de «sumu» (chant de louange), je rentre aussi en action. Je m’approche de la personne magnifiée par la griotte ou la cantatrice et joue mon instrument de percussion à son honneur, relève le jeune joueur de tamani.

Selon sa mère, Oumou Sagara, l’argent qu’il gagne est partagé entre les membres de la famille. Une part lui revient aussi pour faire face à ses propres besoins. Mais la mère de famille s’inquiétude parfois quand son fils tarde à revenir au bercail.

Le vice-président du Réseau des communicateurs traditionnels pour le développement (Recotrade), Hamadoun Dagamaïssa, justifie la pratique par la conjoncture. à le croire, cet état de fait pousse les griots à faire une intrusion dans les cérémonies sociales. Il pointe du doigt une certaine catégorie de griots venus des villages et qui manquent de véritables soutiens. Ceux-ci sont contraints d’errer à la recherche de leur pitance.

Le poète traditionnel enseigne que la bonne manière est que le noble invite son griot en cas de nécessité. Le vice-président du Recotrade y ajoute que le noble n’est pas tenu de donner tout de suite de l’argent à son griot. Le responsable des communicateurs traditionnels s’empresse de préciser à cet effet que le griot doit exercer un métier parallèlement à son statut. Malheureusement, constate-t-il, certains n’ont pas d’autres activités génératrices de revenus que les cérémonies sociales.

Il est aussi constant de voir des intrus confisquer le micro pour prêcher lors des funérailles. Ceux qui le font pour une récompense divine se comptent sur les doigts d’une main. La majorité d’entre eux monopolisent le micro pour récolter quelques pièces de monnaie. Puisque nos compatriotes ont des scrupules à contrarier des pratiques qui se rapportent à la religion, les intrus en profitent largement. Il faut admettre que certains font un prêche intéressant. Mais d’autres pas du tout.

Un imam du Badialan en Commune III du District de Bamako que nous avons rencontré chez lui déplore la pratique. L’homme de foi qui a requis l’anonymat explique qu’on ne peut pas continuer à fermer les yeux sur des dérives, prétendument au nom de la religion.

La plupart de ces individus (ces intrus qui prêchent lors des funérailles) ne savent même ni écrire ni lire leur nom en arabe, selon lui. Et pourtant, se désole-t-il, ce sont eux qui s’arrogent le droit de transmettre la parole d’Allah, le Clément et Miséricordieux sans avoir les compétences requises et la capacité d’apporter les explications claires aux fidèles.

L’iman souligne que ces intrus se fourvoient très souvent au point de ne faire que l’éloge de leurs mentors religieux dans leur sermon. Pour lui, il est temps de mettre de l’ordre dans les choses.

Mohamed D.DIAWARA

Source : L’ESSOR

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