En ce jour 1er août 2022, j’ai dû avaler quelques petits morceaux de pain, par crainte de ne pas rater le car de 9 heures (‘’9 h pile’’, insistait l’agent de service rencontré la veille à la gare de Sogoniko). Mais le fameux bus ne sortit de la cour que 1h et 13 mn plus tard, à la grande satisfaction des passagers qui inauguraient ainsi – le cœur en feu – la nouvelle grille tarifaire Bamako-Ségou fixée à 5 000 FCFA, soit une deuxième augmentation en 4 mois, rouspète un agent de la compagnie : «Nous ne comprenons pas le sens de cette deuxième augmentation, car à 4 000 FCFA, nous pouvions couvrir déjà tous nos frais avec 20 personnes sur Bamako-Ségou..»
A peine sortis de la cour, notre joie s’écourte car le car s’arrêtait tous les 200 mètres pour ramasser des clients « retardataires » tout le long de la route. A l’intérieur du bus l’air était chaud, presque torride et une nervosité palpable se lisait sur tous les visages. Nous ne quitterons finalement Niamana qu’à 11h 14mn.
Dans le tumulte qui a suivi ce regrettable désagrément, une cliente embarquée à Yirimandio se défoule bruyamment sur son siège : «Mais que voulez-vous, c’est à cause du manque de respect des horaires fixés par la SOMATRA que nous préférons nous arrêter devant nos quartiers pour attendre le bus. On a toujours dénoncé ces mauvaises pratiques, mais elles ne sont jamais prises en compte par une compagnie qui veut le beurre et l’argent du beurre. Quand le Directeur est né avec une cuillère en or dans la bouche, comment voulez-vous qu’il comprenne nos complaintes.» Et comme répondant en écho à cette amère tirade, un autre passager décline les raisons de son choix : «J’ai toujours aimé les cars de la SOMATRA pour mes voyages Bamako-Ségou, parce que je n’aime pas les excès de vitesse.»
Ma matinée ségovienne commence dans le bureau de mon ami – un vrai – avec ce sens incarné de la franche et sincère amitié. Chez lui, ce mot n’a rien de conventionnel. Sa secrétaire, une jolie dame au teint clair, me sert un café bien corsé avant d’ajouter, tout sourire :
-’’I bissimila ! Yan de ye Ségou ye. Cette ville n’est pareille à aucune autre ville à travers le monde. Ici à Ségou, nous sommes tous comme frères et sœurs grâce aux liens de fraternité et de solidarité toujours incomparables qui lient les uns et les autres. Nous accueillons l’étranger comme si c’était un membre de notre famille’’.
-‘’Madame, tout cela est bien vrai, mais on dit aussi que Ségou est la ville de la trahison (janfa)’’.
– ‘’Oui, on dit ça dans les récits des griots, mais ce Ségou-là n’existe plus aujourd’hui, car autrefois, les modes de dévolution du pouvoir royal s’opéraient toujours dans la violence et la trahison. Tu n’as pas entendu l’histoire des 4441 balanzans ?’’
C’est sur cette petite note d’histoire que je prends congé d’elle en espérant la retrouver le lendemain matin pour une nouvelle partie de thé ou de café, un rituel qui a continué durant tout mon séjour dans cette ville ségovienne, où je compte aussi quelques amis «haut perchés».
Dans cette capitale des balanzans, on trouve aussi de beaux et bons restaurants comme le «Régal» à Angoulême, ce resto alliant coquetterie et appétence des plats est surtout prisé par la classe moyenne ségovienne et la jet set locale. A peine assis, la patronne, le sourire aux lèvres, s’avance délicatement vers moi :
– «Aw bissimila, monsieur, que voulez-vous prendre ? Nos plats sont tous prêts.
– Moi je préfère le tigadègèna (sauce arachide), une sauce communément appelée «sauce malinké».
– Ah vous êtes un malinké ?
-Oui madame !
-Et pourtant vous ne ressemblez pas à un malinké.
-Mais Madame, il faut être comment pour ressembler à un malinké ? -Aujourd’hui, il n’y a pas de sauce arachide, mais demain je vous ferai spécialement cette sauce, sinon en principe, c’était la sauce gombo qui était au programme.
En face de ce Resto, un jeune barbu, la trentaine bien marquée se démène tous les soirs autour d’un petit four pour attirer une modeste clientèle vers ses poulets grillés. Mais attention, soyez très vigilant avant de passer la commande, car une « commande est bien une commande » se défend le « barbudos » qui a fait de la vente de « macaroni » sa seconde spécialité.
Mon séjour ségovien s’achève sur la table d’un autre restaurant chic de la ville. Sur une invitation expresse d’un ami et ancien camarade de la promotion 1976-1979 du lycée Badala connu également sous le nom romanesque de colline du savoir.
B CAMARA, Journaliste
Source: Le Challenger