L’économie est une science exacte. Ou plutôt : l’économie serait une science exacte, sans les aléas de l’économie « parallèle ». Fort heureusement, certains pans de l’économie parallèle laissent tellement de traces que ses valeurs sont connues. On sait par exemple qu’1,5 milliards de litres sortent illégalement de l’Algérie chaque année, ce qui représente 1 milliard de dinars algériens, ou 12,82 millions de dollars, soit 25 % de la production algérienne, transportés dans 600 000 véhicules au-delà des frontières du pays. Le nord du Mali fait partie des premiers bénéficiaires de ce trafic, qui compense les lacunes de l’approvisionnement officiel et permet, tant bien que mal, d’irriguer une région oubliée et d’agir en « main invisible » au service de la population.
Mais l’irruption des djihadistes dans cette zone a bouleversé la donne. En détournant une partie de ces trafics à leurs profits, les terroristes pénalisent la population malienne et s’enrichissent assez pour survivre et poursuivre leurs crimes. Même s’ils ne sont plus très nombreux.
Les trafiquants de carburant ont fait un calcul simple : l’Algérie est classée troisième sur la liste des pays où le prix du carburant est le moins cher au monde. Seuls l’Arabie saoudite et le Venezuela font mieux. En revendant dans les pays voisins jusqu’à trois fois son prix les litres subtilisés, les trafiquants vivent bien. A tel point que le gouvernement algérien en avait fait, il y a près d’un an, un problème national. En juillet, le ministre de l’intérieur Daho Ould Kablia qualifiait le phénomène de « problème tant sécuritaire qu’économique » et prenait un certain nombre de mesures parmi lesquelles le plafonnement de la distribution de carburants au niveau des stations de quelques wilayas de l’ouest algérien.
Une autre décision était prise, pour compléter ces mesures : celle de rendre les frontières aussi hermétiques que possible en augmentant les effectifs policiers et en multipliant les contrôles aux frontières. Mais l’économie parallèle est une pieuvre à mille tentacules, qui s’engouffrent dans le moindre espace et dont les ressources semblent illimitées. La frontière se ferme ? Qu’à cela ne tienne, les trafiquants feront quelques centaines de kilomètres de plus. C’est ainsi qu’une partie importante du carburant de contrebande en provenance d’Algérie rentre sur le sol malien par le Niger.
Il est difficile d’évaluer les montants générés par cette contrebande au nord du Mali. Un calcul mettant en relation le nombre de barils traversant probablement les frontières maliennes depuis Tamanrasset avec les prix de revente intermédiaires dans les stations d’essence temporaires ou sur certains marchés des villes frontalières permet cependant d’estimer à près de 200 000 euros les revenus nets générés par cette filière chaque semaine. Ce sont ces revenus que tentent de ponctionner aujourd’hui les derniers groupuscules djihadistes, pour prolonger la menace qu’ils font planer sur la population du nord. Les trafiquants aujourd’hui complices des terroristes seraient ainsi directement menacés, et avec eux une partie importante de la population malienne qui ne supporterait pas de voir cette « main invisible » tranchée comme beaucoup d’autres par les partisans d’une Charia dévoyée.
Anthony VANDERMEERSCH, pour maliactu