Comme d’habitude, les candidats déclarés à la présidentielle du 29 juillet 2018 rivalisent dans la mobilisation. Ainsi, pour faire le plein du stade du « 26-Mars » de Yirimadio ce 12 mai pour son investiture, Soumaïla Cissé aurait officieusement déboursé entre 300 et 500 millions de F CFA. En tout cas, l’argent a coulé à flot au grand bonheur des jeunes et des adolescents fortement mobilisés pour la circonstance. Mais, d’où les candidats tirent-ils cette manne financière pour épater et appâter les électeurs sur des illusions à la place de vrais projets de société ?
« Les Maliens ne veulent que l’argent des candidats. Ceux qui sont pingres n’attirent que peu de gens, des idéalistes en général. Tu as beau avoir le meilleur programme et utiliser les meilleurs canaux pour le partager, les Maliens ne comptent que les espèces sonnantes et trébuchantes ainsi que les cadeaux en nature généreusement dispatchés ». Le constat est d’un observateur averti de la scène politique malienne.
Et la réalité du terrain est loin de lui donner tort. Maîtrisant cette donne qu’ils ont sciemment créée (pour cacher leur manque de vision politique) et qu’ils entretiennent comme une tare de notre démocratie, les candidats ne cherchent plus à convaincre les électeurs. Mais, plutôt à les « soigner », c’est-à-dire être généreux avec eux.
Tout se passe comme si les Maliens se contentent toujours de quelques jours de bonheur au lieu d’exiger des propositions concrètes pour prendre en charge leurs préoccupations une fois pour toutes.
C’est pourquoi, pendant les campagnes électorales, l’argent coule à flot et fait même la fortune de certains leaders femmes et jeunes, voire leaders religieux et communautaires. Evidemment, ceux qui ont la capacité de mobiliser les foules (pas forcément des électeurs) s’en pourlèchent les bambines.
« J’ai été très heurté par deux vidéos de distribution d’argent lors de l’investiture de Soumi (Soumaïla Cissé) aux abords du stade du ‘26-Mars’« , s’offusque un intellectuel de la diaspora malienne. Et d’ajouter, en enfonçant le clou, « le comble est que le citoyen se rend complice d’une telle mascarade. Il va du côté des leaders qui dépensent sans compter et se plaint après des dérives de l’élu en oubliant que l’obsession de celui qui est élu est de rentrer dans ses sous. Et naturellement, il devient l’otage de ses bailleurs. C’est pourquoi le pays n’avance pas ».
Une situation que certains sociologues et politologues expliquent par le fait que « les citoyens, n’ayant de contact avec les hommes politiques qu’à l’approche des échéances électorales, sont tentés de monnayer assez fort leur vote et celui de leurs familles, car c’est la seule occasion où les hommes politiques sont réellement obligés de les côtoyer ».
Pouvait-il en être autrement dans un pays comme le Mali où le taux d’illettrisme est assez élevé et où les candidats expliquent rarement leur programme dans les langues locales ? Quand ils le font, c’est presque toujours dans une seule langue sous prétexte qu’elle est dominante. Dominante par rapport à quoi et à qui ? Ce qui est suffisamment éloquent pour rejeter le candidat et son programme dans d’autres milieux.
Président élu otage des financements occultes de sa campagne
Comment une campagne électorale est-elle financée ? Autant chercher à savoir comment intégrer les sociétés secrètes comme le « komo ». En effet, si le financement des partis politiques est balisé (loi 05-047 du 18 août 2005 sur le financement des partis politiques), celui du financement d’une campagne électorale se prête à tous les arrangements et à toutes les compromissions. Généralement, pour être président de parti ou candidat d’une chapelle, il faut être riche. Peu importe la façon dont cette fortune est acquise.
« Sous nos cieux, c’est à la capacité de donner à la direction du parti qu’on arrive à influer sur les alliances du parti et même proposer le nom de ministrables », explique Dr. Naffet Kéita politologue. Et le parti au pouvoir est aussi financé par les services et entreprises publics (CMDT, PMU-Mali, INPS, Canam…) dont les responsables puisent dans les caisses, pardon mettent la main à la poche pour garantir leurs fauteuils.
Ensuite les barons et les cadres du parti et de ses alliés sont mis à contribution. Chacun contribuent à la hauteur de la part qu’il attend du « partage du gâteau national » (pouvoir). Et cela de la Primature aux ambassades en passant par les portefeuilles ministériels, les directions nationales ou générales, les postes de PCA, les chefs des grands programmes et projets…
Il y a ensuite les rapaces et les crocodiles : les hommes d’affaires ou opérateurs économiques ! Ils sont les bailleurs de fonds des campagnes politiques en échange des monopoles des produits d’importation (riz, sucre, lait…) le plus souvent exonérés ou l’approvisionnement de l’administration centrale en carburant ou d’autres produits.
Ici, c’est la porte ouverte à toutes les compromissions générant une grande partie des maux (corruption, délinquance financière, etc.) dont se nourrit la mauvaise gouvernance au Mali. A force de vouloir ratisser large pour se donner les meilleures chances de victoire, le président élu devient un otage de ses soutiens véreux (élites, opérateurs économiques…)
Et, généralement, il est plus préoccupé par les promesses faites à ceux-ci qu’à répondre aux vraies préoccupations du peuple. Depuis l’avènement de la démocratie, chaque régime génère un cercle de « milliardaires de la démocratie » (cadres, opérateurs économiques, hauts gradés des Forces armées et de sécurité) dont le seul mérite est d’avoir conséquemment financé la campagne du locataire de Koulouba.
Il ne faut pas non plus minimiser les liens que nos cadres arrivent à tisser à l’extérieur avec certains mécènes de la politique (feu El hadj Omar Bongo Ondimba du Gabon) et, une fois au pouvoir, ce sont leurs sociétés qui raflent tout. Vincent Bolloré et consorts sont passés par là pour implanter de puissants empires financiers se nourrissant des richesses africaines.
En attendant un hypothétique changement par rapport à cette tare démocratique, on ne peut qu’être estomaqué par la place que prend l’argent dans nos élections. Comme le suggère si pertinemment Fousseyni Camara, un intellectuel de la diaspora malienne en France, « il est impératif qu’il soit exigé des candidats un montant fixe à ne pas dépasser, car ça fausse non seulement les résultats de nos élections, mais ça génère des compromissions contre-nature très surprenantes ».
C’est pour cette raison que la corruption et les malversations de toutes sortes dans notre pays sont en tout cas devenues un fléau florissant depuis l’avènement de la démocratie dans notre pays.
Dan Fodio
Le Focus