Tentative de putsch militaire lundi à Ouagadougou. Enlisement des forces françaises au Mali où le gouvernement attaque ouvertement Paris. Le mandat d’Emmanuel Macron s’achève sur un incontestable échec africain
Novembre 2017: à l’Université de Ouagadougou, Emmanuel Macron prononce un discours supposé refondateur. La capitale du Burkina Faso a, sous la longue présidence autoritaire de Blaise Compaoré (1987-2014), joué le rôle de QG de la «Françafrique», tandis que la situation se délitait en Côte d’Ivoire voisine et au Sahel. La chute du parrain Compaoré, cet ex-militaire protégé de Paris, survenue trois ans plus tôt, a relancé la démocratisation. Le nouveau chef de l’Etat français, tout juste élu, affiche alors sa volonté de rupture: «Je ne suis pas venu ici vous dire quelle est la politique africaine de la France comme d’aucuns le prétendent. Parce qu’il n’y a plus de politique africaine de la France! Il y a une politique que nous pouvons conduire, il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d’accord, d’autres non. Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face.»
Paris échoués
La suite est connue. Des étudiants protestent contre la climatisation en panne de leur campus. Pour se voir aussitôt renvoyés par Emmanuel Macron vers leur président, Roch Marc Christian Kaboré… qui vient de s’éclipser de l’amphithéâtre. Quatre ans plus tard, l’épilogue de ce malaise entre l’ancienne puissance tutélaire française et les fragiles autorités du Burkina Faso s’est peut-être déroulé lundi 24 janvier dans le fracas des armes et le chaos d’une journée d’émeutes. Arrêté par des militaires putschistes puis détenu dans une caserne de Ouagadougou, le président burkinabé semble sur le point de connaître un sort identique à celui de son homologue malien décédé le 16 janvier, Ibrahim Boubacar Keïta, renversé le 18 août 2020. Le pari de la France d’installer des gouvernements élus sur fond de guerre contre le terrorisme islamiste et de propagation des trafics (drogue, migrants…) au Sahel semble de plus en plus voué à l’échec: «Le pari fait sur les armées locales et les efforts déployés pour faire revenir les services de l’Etat dans ces pays ont échoué», tranche, pessimiste, la journaliste Isabelle Lasserre dans son essai très pertinent Macron, le disrupteur (Ed. L’Observatoire).
La «Françafrique»: ce terme, Emmanuel Macron ne le supporte pas et il a tout fait pour s’en débarrasser, malgré l’intervention de l’armée française au Mali depuis 2013 et son déploiement en soutien aux forces du G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie, Tchad). «Le rapport de la France à l’Afrique est en train de changer profondément» a-t-il encore répété à ses interlocuteurs lors du sommet France-Afrique d’octobre 2021 à Montpellier, exclusivement consacré à la jeunesse, loin des gouvernements. Problème: la réalité, sur le terrain, est à l’opposé de ce vœu pieux défendu à l’Elysée par le Conseil présidentiel pour l’Afrique constitué en août 2017, aréopage d’experts dominé par des Africains de la diaspora, éduqués loin du continent noir. Les capitales maliennes et burkinabées, contrôlées par une bourgeoisie affairiste liée aux militaires, ne sont plus des tremplins de changement démocratique, mais des métropoles verrouillées, où vit une élite qui a perdu prise avec le pays réel.
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Une crise multiforme
Pire: l’annonce par l’Elysée de la fin programmée de la force Barkhane au Sahel «au printemps 2022» semble avoir accéléré ce délitement. «Le monde rural burkinabé traverse une crise multiforme, avertissait en 2020 un rapport de l’organisation Crisis Group. Avec la chute de l’ancien président Compaoré en octobre 2014, la capacité déjà limitée de l’Etat à maintenir l’ordre dans les campagnes s’est encore affaiblie, et la défiance populaire envers les élites, locales comme urbaines, s’est accentuée sur fond de montée du banditisme, de conflits fonciers et d’apparition de groupes d’autodéfense.» Reste la force brutale, pour laquelle les militaires au pouvoir au Mali ont opté, en autorisant le déploiement des mercenaires russes du groupe Wagner, déjà à l’œuvre depuis 2020 en Centrafrique, où ils sont soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre. «Wagner est là pour soutenir les militaires en faisant croire qu’ils viennent combattre le terrorisme a reconnu le 12 janvier le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Ce qui se passe au Mali est une véritable fuite en avant de la junte au pouvoir qui, au mépris de ses engagements, souhaite confisquer le pouvoir pendant des années.»
Traiter avec des pouvoirs militaires africains, fermer les yeux sur leurs exactions et s’efforcer d’en faire des alliés, comme jadis? Ou défendre coûte que coûte des sociétés civiles prises en otage, tandis que djihadistes et trafiquants continuent de recruter dans les lointaines zones rurales? La fin de quinquennat d’Emmanuel Macron – encore scandée ce week-end par la mort d’un soldat français au Mali lors d’une attaque au mortier du camp de Gao – a tout du calvaire africain.
Source: Le temps