Bien sûr, ils sont tous «bouleversés» par la crise des migrants et les images qu’elle charrie. Devant les militants Les Républicains (LR) réunis à La Baule, François Fillon, Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Nicolas Sarkozy pouvaient difficilement ne pas consacrer une bonne partie de leurs discours à cette actualité qui bouscule l’agenda politique et menace de s’inviter dans les campagnes électorales à venir. Y compris dans la campagne régionale, comme l’a bien compris Bruno Retailleau, candidat Les Républicains à la présidence de la région des Pays de Loire, à la recherche d’une voie de droite entre «le cynisme du FN et l’angélisme de la gauche». Embarrassés par un sujet qu’ils ont quelques scrupules a exploiter de manière trop politicienne, tous les orateurs de La Baule ont dit leur indignation. Et fait entendre leurs différences, moins sur les solutions proposées que la façon de les présenter.

Comme souvent, Nicolas Sarkozy a fustigé son adversaire préféré, cette «pensée unique» qui prétendrait lui interdire d’agir et même de parler de certains sujets, notamment de l’immigration. Allusion implicite à la polémique sur la malheureuse parabole de «la fuite d’eau» qui causa quelques ennuis au patron de LR.

En se présentant comme le pourfendeur de cette «pensée unique», il fait passer des propositions largement partagées à droite comme autant d’audacieuses transgressions. «La pensée unique» serait, selon l’ancien chef de l’Etat, en partie responsable des tragédies des derniers jours, en Méditerranée et sur les routes. Il n’est pas allé plus loin dans sa démonstration sur ce point.

Fustigeant l’impuissance de la communauté internationale en général et de François Hollande en particulier, il suggère que l’Europe n’en serait pas là si son appel de juillet 2012 pour une intervention militaire en Syrie avait été entendu, alors que «Daech n’existait pas encore», et fustige l’incapacité de son successeur à assumer le leadership d’une coalition réellement déterminé à «gagner la guerre contre l’Etat islamique».

DES CENTRES DE RÉTENTION HORS SCHENGEN

Pour les réfugiés, il propose, comme d’autres, la création de «centres de rétention» en périphérie de l’espace Schengen. «En Afrique du Nord, Serbie ou Bulgarie» a-t-il précisé. Pas un mot, en revanche, sur l’initiative d’Angela Merkel qui a fait le choix d’ouvrir les frontières allemandes aux Syriens massés à la frontière hongroise. Pas un mot, non plus, sur la décision de la chancelière et du président français en faveur de «quotas contraignants» au sein de l’Union européenne pour les demandeurs d’asile.

Sarkozy persiste, en revanche, a plaider pour une refondation de «Schengen». Selon lui, le traité européen sur la libre circulation doit être suspendu aussi longtemps que tous les Etats membres n’auront pas «la même politique migratoire». Sans jamais quitter le terrain politique, le président de LR affirme avoir eu «honte en attendant Marine Le Pen» sur les migrants. Convoquant les «valeurs humanistes» de la droite républicaine, il rappelle que «ces hommes et ces femmes sont nos frères dans l’espèce humaine».

Le 28 août, sur TF1, la patronne du FN avait dénoncé le «laxisme» des dirigeants européens : «on essaye de nous faire croire qu’ils sont tous des réfugiés politiques. Pour la plupart ce sont des réfugiés économiques», avait-elle ajouté. Un argument largement repris à La Baule, y compris par Sarkozy.

FILLON «INTRAITABLE AVEC LES FAUX RÉFUGIÉS»

Pour Fillon, l’enfant syrien échoué sur une plage turque est mort parce que l’Europe refuse de parler avec les Russes et les Iraniens pour combattre l’Etat islamique. Selon lui, le gouvernement Français devrait être de «tout faire pour éradiquer l’Etat islamique et ses affidés». Sans céder à la facilité de certains responsables de droite qui réclament à cor et à cri une intervention militaire. «Ne refaisons pas l’erreur des Etats Unis en Irak», a-t-il mis en garde ceux qui vont «jusqu’à proposer d’envoyer la légion en Syrie». L’ancien Premier ministre reconnaît que la France a un «devoir de proteger» ceux qui fuient les massacres en Syrie, sinon, ajoute-t-il, «nous ne serions pas dignes de notre héritage chrétien et de la civilisation européenne dont nous nous réclamons». Comme Sarkozy, il se dit favorable à l’installation, dans les pays proches des zones de guerres, de «lieux d’accueil» où seraient traitées les demandes d’asiles. Et suggère, en contrepartie, d’être «intraitable avec les faux réfugiés».

JUPPÉ VEUT DES ACCORDS DE «CODÉVELOPPEMENT»

Fidèle à son habitude, Alain Juppé a paru nettement moins soucieux de plaire aux militants. Face aux «2 400 morts en Méditerranée» depuis le début de l’année, il appelle au «réveil des consciences», sans céder à la facilité de marquer une frontière infranchissable, entre ceux qui fuient la guerre d’un côté et ceux qui fuient la pauvreté de l’autre. Concernant les premiers, la maire de Bordeaux confie avoir donné au préfet de Gironde son accord pour installer plusieurs familles de réfugiés. Sans surprise, les habitants du quartier concernés ont eu des «réactions de colère». Juppé, chantre de l’identité heureuse, raconte qu’il y a répondu en rendant possible «la fraternisation» entre accueillants et accueillis.

Concernant l’immigration économique, il assure qu’elle peut être «une chance» à condition qu’elle soit régulée sous forme de quotas votés par le Parlement. Tandis que la porte-parole de LR, Lydia Guirous, a cru bien faire en appelant lundi à «la fermeture des frontières», Juppé prévient «qu’aucun mur n’arrêtera les flux migratoires» et que seuls des accords de «codéveloppement» avec les pays sources permettront de régler le problème en profondeur.

Alain AUFFRAY à La Baule

Source: Liberation