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Boubacar Sidibé : « Les rois de Ségou ou le reflet de notre identité culturelle »

La saga historique est volontairement simplifiée pour toucher un large public afin de faire revivre une période significative de l’histoire du royaume qui domina une grande partie de l’actuel Mali du milieu du 17è au 19è siècles. Dans cet entretien, le réalisateur révèle que son film a été vu par plus de 250 millions de foyers francophones et anglophones à travers le monde

 

L’Essor de la Culture : Plusieurs années après sa sortie et après de nombreuses diffusions, la série les « Rois de Ségou » bénéficie toujours d’un engouement populaire, comme ce fut le cas au mois de février-mars dernier quand le film était sur l’ORTM1. Comment expliquez-vous cela ?

Boubacar Sidibé : Je crois que le succès de cette série réside dans le fait que nos histoires étaient toujours racontées par la tradition orale. Cette série montre une saga historique, volontairement simplifiée pour toucher un large public pour rendre compte d’une période significative de l’histoire du royaume qui domina une grande partie de l’actuel Mali du milieu du 17e au 19e siècle. Elle met en scène ses principales figures, de Biton Coulibaly à N’Golo Diarra et son fils et petit-fils Monzon et Dah. Les Rois de Ségou montre une société où se mêle conquêtes et luttes de pouvoir mais aussi code de l’honneur et savoir-vivre des Bamanans. La saga est soutenue par des comédiens maliens souvent de grande qualité, qui ont su rendre attachants les personnages. Au total, quelque 250 comédiens et figurants ont été requis pour cette série; en un mot c’est ce savant mélange avec des costumes et des parures du maestro feu Kandioura Coulibaly qui tient le spectateur en haleine de bout en bout.

L’Essor de la Culture : Il semble qu’ailleurs, dans de nombreux autres pays, sa diffusion continue d’attirer du beau monde ? Pouvez-vous citez ces pays ?

Boubacar Sidibé : Pour mieux faire connaître le Royaume bambara de Ségou, outre des archives écrites et audiovisuelles, j’ai consulté des historiens et des traditionnistes pour établir un scénario, qui brosse à grands traits la société bamanan. Une histoire qui montre à l’autre qui nous sommes, qui nous valorise et qui valorise nos us et coutumes. Alors j’ai pris la décision finale de faire la série en français. Ce choix a permis à plus de 250 millions de foyers de voir notre histoire sur la chaîne de télévision francophone TV5 Monde. La Chaîne Canal France International a offert la série à 86 télévisions partenaires. Grâce à l’OIF qui a aidé un distributeur français afin qu’une production française puisse être vue sur des télévisions anglophones. La télévision Mnet a diffusé la série avec sous-titre en anglais et elle a été vue par plusieurs pays anglophones. En résumé, la série a été vue dans beaucoup de pays à travers le monde pour la valorisation de nos us et coutumes en un mot pour le rayonnement du Mali à travers sa culture.

L’Essor de la Culture : Pour en revenir au film lui-même, peut-on savoir s’il s’agit d’un documentaire ou d’une œuvre de fiction ?

Boubacar Sidibé : La série les rois de Ségou est une œuvre de fiction de 41 épisodes de 26 mn. On peut situer le premier épisode de la série vers 1715. Le royaume est alors à l’état d’embryon, instable, en proie à d’incessantes querelles entre chefs de village. La population, cible des brigands et autres marchands d’esclaves, est défendue vaille que vaille par les chasseurs-soldats. Le film commence quand les notables décident d’unir leurs forces en se désignant un chef, en l’occurrence Mamari Coulibaly, un chasseur aguerri qui a prêté allégeance à leur «ton» (association des hommes d’une même classe d’âge), et surnommé Biton (fils du ton). On découvre le rôle essentiel du griot royal, constamment éclairé dans ce film. Le « djéli » n’a rien d’un laudateur du puissant mais apparaît plutôt comme le conseiller le plus influent, son garde-fou et son ambassadeur – son double – sans qui le roi ne saurait gouverner. Le rôle des féticheurs et des marabouts est aussi magnifié. Notamment leurs prédictions répétées concernant le jeune N’Golo Diarra qui, de l’avis de tous, est un futur roi. La série traite d’une période de 100 ans : de la fondation du royaume avec Biton Mamary Coulibaly à l’apogée du royaume avec le règne de Dah Diarra fils de Monzon Diarra.

L’Essor de la Culture : D’où vous est venu l’idée de mettre à l’écran cette épisode de l’histoire de notre pays ? Par ailleurs comment expliquez-vous le choix de Ségou au lieu du Mandé, du Ouagadou, du Songhoï ou du Kénédougou?

Boubacar Sidibé : J’avais fait une série urbaine de 15 épisodes appelée «Dou/La Famille». C’était la première fois que les Maliens parlaient français dans un film, comme dans d’autres films tournés dans la sous-région. Les gens ont beaucoup apprécié et CFI l’a donné à passer sur 86 chaînes et sur TV5. Deux ans plus tard, en 2006, on a fait une deuxième saison et cela a beaucoup plu aux gens. Je me suis posé cette question : les valeurs et les défauts que les gens ont aujourd’hui, est-ce que ceci n’existait pas déjà dans nos sociétés ? Partout, on dit que les Maliens sont fiers d’eux-mêmes. Alors, je me suis donc penché sur le Bamanan de Ségou. Pendant deux ans, j’ai rapproché les historiens, les traditionalistes et écouté les cassettes évoquantant de l’histoire de Ségou.
C’est un combat de tous les jours, d’essayer de montrer à nos enfants, qui nous sommes, qui nous étions, pour leur montrer le bon chemin. Nous pensons très sincèrement que c’est un moyen puissant de sensibilisation et d’éducation. On ne peut pas non plus gaspiller le peu qu’on gagne en faisant du film spectaculaire, mais plutôt faire quelque chose qui peut profiter à notre société : aider les parents, les familles à façonner nos sociétés. C’est une fierté de pouvoir faire les Askia, le Royaume du Kénédougou, de Samory, etc. Nous, nous avons été formés pour essayer de faire connaître notre culture et le Mali. Maintenant, nous avons ces moyens et la technicité. Ce qui nous manque, c’est le fonds. Les autres vendent leur culture et leur puissance, mais pourquoi pas nous ?

L’Essor de la Culture : La production de ce genre d’œuvre cinématographique requière de grands moyens, aussi bien financiers, matériels, que humains. Combien de personnes avez-vous emmenés sur le terrain ? Les comédiens, figurants, guerriers, sont tous habillés dans des costumes d’époque. Cela a dû coûter cher non ?

Boubacar Sidibé : Nous avons fait les Rois de Ségou avec les moyens du bord. Vous pouvez constater que dans le film, le Roi N’Golo s’est déplacé à pied pour faire la guerre aux Mossis. Cela n’est pas normal, car il devait être à cheval. Faute de moyens, le roi est allé faire la guerre à pied. On rencontre beaucoup de difficultés, mais il faut reconnaître que les Maliens aiment l’art. Les Maliens sont prêts à se sacrifier pour l’art. Je parle des techniciens et des comédiens. Il nous reste la lourde tâche de convaincre les décideurs, les bailleurs, pour qu’ils acceptent de faire des investissements dans les films. Malheureusement, on peine à les avoir. Sinon les comédiens et les techniciens, quand on leur tient le langage de la vérité, tout de suite, ils acceptent de se mettre au travail.
La série a été tournée dans la forêt classée de Tienfala, à 15 kilomètres de Bamako, puis à 200 kilomètres à l’est, en bordure du fleuve Niger, dans le village de N’Gama, près de Ségou. Les costumes aussi, très soignés en bogolan ont été mis à l’honneur. Tout comme les bijoux. Au total, quelque 250 comédiens et figurants ont été requis pour la première saison et autant pour la deuxième saison.

L’Essor de la Culture : Certains critiques reprochent au film d’être différent de la vraie histoire de Ségou. Comment expliquez-vous cela ?

Boubacar Sidibé : C’est la première fois que j’entends que l’histoire de Ségou a été déformée. Je suis parti à Ségou, mais j’avais peur de partir à Ségou quand j’ai fait le film, parce que je ne savais pas comment ils allaient réagir. J’ai fait à peu près deux ans de recherches, j’ai lu les trois tomes de « L’épopée bambara de Ségou » de Marise Condé ; j’ai pris toutes les cassettes de Daye Baba Diallo, Dr. Fanta Mady Simaga, de Djéli Baba, etc., pour me rapprocher le plus possible de l’histoire de Ségou. Tous ceux que j’ai rencontrés ici à Bamako, après la sortie du film, m’ont dit que c’était bien. Il y a un historien qui m’a appelé sur un plateau et m’a dit : «moi, je n’avais jamais su que Monzon et Dah étaient deux personnalités différentes. On dit Dah Monzon, et j’ai toujours pensé que c’était une seule personne et toi tu as montré dans ton film qu’ils ont tous deux été des rois ».
Quand je suis arrivé à Ségou pour le Salon du livre, en prenant la parole, j’ai demandé pardon à Ségou parce que c’était une œuvre humaine, elle était loin d’être parfaite. Des gens ont pris la parole, des historiens, pour me dire non Boubacar, ce que tu as fait est bien, tu t’es beaucoup plus approché de la réalité que tu ne le penses. Les Ségoviens ne peuvent que te remercier. Mais comme le disent les Bambaras, tous les jours l’oreille va à l’école. Je serais ravi de rencontrer quiconque pense pouvoir me renseigner davantage.

L’Essor de la Culture : Le vestibule de Biton à Sécoro, siège du royaume a été ignoré dans le choix du site de tournage du film, pourquoi ?

Boubacar Sidibé : J’ai décidé de tourner une partie des scènes de la série les Rois de Ségou dans la forêt classée de Tienfala, à 15 kilomètres de Bamako pour avoir le décor du fleuve sans plastique, sans objets modernes et sans bruits de moteur des pirogues. Je voulais avoir un décor et une ambiance comme au temps des rois de Ségou. Le décor de Tienfala était impossible à avoir à Ségou c’est le constat amer que j’ai fait après les repérages.
J’étais l’assistant et le conseiller artistique de Salif Traoré au tournage de Faro à Sécoro. Pendant 40 jours, j’ai sillonné le décor de long et en large et je partais fréquemment sur la tombe de Biton et chez le chef de village. Je n’ai pas retenu ce site.
J’ai décidé de tourner la seconde partie des scènes de la série à 200 kilomètres à l’est, en bordure du fleuve Niger, dans le village de N’Gama, près de Ségou car je devais parler des Rois Biton, N’Golo, Monzon, Dah, Samanyana Bassi, Diakrouna Toto et construire leurs habitats.
Le décor de N’Gama était impossible à avoir à Sécoro : il y avait des panneaux solaires des maisons en tôle et même des poteaux de téléphone. C’est le constat que j’ai fait après les repérages. Ce choix du décor de N’Gama coûtait financièrement à la production mais c’était le prix à payer pour que la série soit crédible.

L’Essor de la Culture : Les difficultés financières et les contraintes techniques constituent le lot de la production de ce genre d’œuvres cinématographiques. Pouvez-vous nous en parler ?

Boubacar Sidibé : La difficulté majeure rencontrée dans la réalisation des Rois de Ségou est d’ordre financier. Mais on ne parle pas de sous quand les gens disent que c’est bien. Quand je regarde, je constate qu’il y a des imperfections. J’ai fait deux ans en Angleterre, je suis parti 6 fois à l’Institut national audiovisuel en France, j’ai eu certaines formations.

Quand je fais un film avec mes moyens, je sais ce que ça va donner. Par contre, si je n’avais pas fait comme ça non plus, ce film n’allait pas voir le jour. Donc, j’ai avalé beaucoup d’amertumes pour que ce film puisse sortir. Je remercie sincèrement les techniciens et les comédiens qui ont accepté de jouer avec les moyens du bord. Sinon, il y a un comédien expérimenté à qui j’ai proposé 700.000 Fcfa pour 15 jours de tournage, il a refusé. Et si moi-même je pouvais gagner le tiers de ce que lui il a refusé pendant tout le temps, ça allait me permettre de le payer et faire le travail. Mais j’ai respecté sa décision malgré le contexte et les réalités du pays. Il n’a pas accepté et il est parti. Mais on a trouvé un autre qui a joué le rôle de Dah. Mais si l’autre l’avait accepté, avec sa formation de l’INA et son expérience, ça allait certainement faire un plus pour le film.

L’Essor de la Culture : Quel est l’avenir de cette série ? Quels sont vos projets de création cinématographique ?

Boubacar Sidibé : L’avenir d’un film ? Pour moi, un film, c’est comme un enfant que l’on met au monde. Il va faire son enfance, sa vie d’adulte et sa vieillesse. Après les Rois de Ségou, j’ai écrit et réalisé plusieurs séries tels que : Dougouba Sigui ; Yèrèdon Bougou ; Du Galop de l’étalon aux pas de caméléon ; Baayatoul Islamya (Première série islamique du Mali) ; La langues et les dents ; La fiction Penda contre les gangsters de Bamako.
J’ai une certaine expertise dans l’écriture et dans la réalisation de films et séries. J’ai deux séries prêtes depuis 2019 et des jeunes qui sont avec moi ont des projets.

Nous faisons toujours des bénédictions afin que de plus en plus de gens parlent du cinéma et posent les problèmes du cinéma.
Des signes montrent que le cinéma malien a un bel avenir au nombre de ces signes comme : la marque de considération du président de la République Ibrahim Boubacar Keïta, de son épouse, Mme Keïta Aminata Maï
ga, de Mme N’Diaye Ramatoulaye Diallo, ministre de la Culture du Mali, à l’endroit des cinéastes et aux comédiens lors du Fespaco 2019. Souvenez-vous de l’organisation de la Nuit du Mali au programme du Fespaco.

Les cinéastes et les comédiens jouent un rôle important dans l’éveil des consciences, le sens de la responsabilité et du changement de comportement et d’attitude pour une société responsable, le civisme et la citoyenneté. Après la bonne tenue de ces grands évènements en faveur des cinéastes, nous faisons toujours des bénédictions afin que de plus en plus de gens parlent du cinéma et posent les problèmes du cinéma.
Ces signes nous donnent de l’espoir et montrent que le cinéma malien a un bel avenir que le Fonds d’appui à l’industrie viendra matérialiser.

Propos recueillis par

Youssouf DOUMBIA

 

Parcours cinématographique de Boubacar Sidibé

Boubacar Sidibé fait partie des premiers cameramen de l’ORTM depuis les débuts de la télévision dans notre pays en 1983. Pendant 18 ans, il a capté les images pour l’actualité, et les autres productions de la télévision nationale. C’est à partir de 1991 qu’il s’intéresse de près à la réalisation de nombreuses émissions et des créations cinématographiques. Après de nombreuses formations dans la réalisation, l’écriture de scénario, la mise en scène, le montage, la direction photo, la post production et même la gestion, il décide de se lancer dans le tournage des documentaires dans un premier temps avant d’en arriver aux fictions.

Ses thèmes de prédilection sont : l’histoire et la culture, la pauvreté, l’importance du rôle de la femme au sein de la société, la polygamie, l’exode rural, les problèmes de soins de santé dans les hôpitaux, la salubrité et l’hygiène. Il fait une peinture réelle de sa société : ses joies et ses peines, mais aussi ses travers. L’école, la politique, les détournements de fonds dans l’administration, le maraboutage, etc.
Boubacar Sidibé se révèle comme l’un des cinéastes maliens les plus prolixes. Comme le témoignent ses oeuvres « Le pacte social », son premier court métrage réalisé en 1999, « La lutte contre les pauvres » (2002) en passant par le sitcom « Bajènè » de 20 épisodes en 2009 et les séries télévisées « Les aventures de Séko » en 2000, « Dou » en 45 épisodes en 2006 et la série télévisée à caractère historique « les Rois de Ségou » en 2012. Ses films, finement écrits et parfois pleins d’humour, sont imprégnés de la culture malienne et africaine, pétris d’adages et de métaphores savoureuses.

Entre autres créations ou adaptations :
– 2000 : N’Tronkélé
– 2002 : Sanoudjè
– 2004 : Dou (première saison)
– 2006 : Dou (deuxième saison)
– 2007 : Le fou du village
– 2008 : Bajènè (deuxième saison)
– 2009 : Bajènè Deuxième saison)
– 2010 : Les Rois de Ségou (première saison)
– 2012 : Les Rois de Ségou (deuxième saison)
– 2013 : Dougouba Sigui, une série de 26 épisodes
– 2014- 2015 : Yèrèdon Bougou une série de 84 épisodes
– 2017 : Du Galop de l’étalon aux pas de caméléon, une série de 22 épisodes
– 2017 Baayatoul Islamya, une série de 52 épisodes
– 2018 La langue et les dents, une série 26 épisodes
– 2018 : Penda contre les gangsters de Bamako, une série 26 épisodes

Source : L’ESSOR

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